Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

Dès lors, la mairie du palais va rester pendant près d’un siècle la propriété des descendants de Pépin l’Ancien, dont le fils, Grimoald, n’hésite pas à faire assassiner le successeur. Otton, en 643, et à arracher à Sigebert III un acte d’adoption en faveur de son propre fils, Childebert (dès lors surnommé l’Adopté), au nom duquel il règne, en fait, de 656 à 662, date de son élimination probable par les Neustriens.

Rendus prudents par l’échec de cette tentative prématurée d’usurpation, les Pippinides attendent dès lors près d’un siècle pour la renouveler avec succès. Pendant cette longue période, sous la direction successive des descendants communs d’Arnoul et de Pépin l’Ancien, c’est-à-dire Pépin le Jeune, dit de Herstal, et Charles Martel, respectivement fils et petit-fils d’Ansegisel et de Begga, ils se constituent une large clientèle en pratiquant une politique de concessions foncières. Charles Martel prononce la confiscation des biens d’Église, dont il attribue les revenus à ses guerriers, affaiblissant par là même la seul puissance capable de s’opposer à la sienne à l’intérieur du regnum Francorum, celle du clergé.

C’est cette politique qui permet à Pépin de Herstal de reprendre le contrôle de la mairie d’Austrasie dès 680, puis de remporter en 687 la victoire décisive de Tertry, qui lui assure également les mairies de Neustrie et de Bourgogne, qu’il abandonne parfois à son deuxième fils, Grimoald II afin de laisser à ces royaumes un semblant d’autonomie.

Un moment ébranlée par la crise successorale de 714 et par ses conséquences (assassinat de Grimoald II à Liège ; disparition de Pépin de Herstal au terme d’une longue maladie ; régence de sa veuve, Plectrude, au nom de son petit-fils Théodoald, âgé seulement de six ans ; révolte victorieuse de la Neustrie), la puissance des Pippinides est rapidement restaurée par un bâtard. Charles Martel, né vers 685 des amours de Pépin de Herstal et d’Alpaïde. Vainqueur des Neustriens et de leur nouveau maire Rainfroi à Amblève en 716, puis à Vincy en 717, des Frisons et des Saxons en 719-720, enfin des Aquitains à Angers en 724, disposant par ailleurs du trésor de Pépin de Herstal, dont il enlève la garde à Plectrude en 717, Charles possède dès lors les moyens nécessaires pour restaurer l’unité de l’État franc, en particulier en procédant à la sécularisation des biens de l’Église et en venant finalement à bout de la résistance de tous ses adversaires germaniques, qu’ils soient bavarois, alamans (730), saxons (720-738) et frisons (733-784).

Mais c’est surtout par les victoires qu’il remporte sur les musulmans, notamment à Poitiers, où il écrase en 732 les forces de l’émir d’Andalousie, ‘Abd al-Raḥmān, qu’il acquiert un prestige d’une autorité assez grande pour fonder en légitimité sa dynastie, sans aller pourtant jusqu’à la substituer à celle des Mérovingiens, qu’il s’efforce, au contraire, de faire survivre à elle-même à travers des souverains d’ascendance douteuse : Clotaire IV, Chilpéric II, l’homme des Neustriens, et Thierry IV. Un moment hésitant, puisqu’il s’abrite à son tour, entre 743 et 751, derrière la souveraineté théorique d’un « fantôme de roi, Childéric III » (Louis Halphen), le second fils et successeur de Charles Martel, Pépin le Bref (né v. 715), franchit le pas décisif en se faisant attribuer en 751 la dignité royale, contrairement à la tradition franque, mais avec l’accord du pape Zacharie. L’approbation de ce dernier est d’ailleurs soulignée par la cérémonie de Soissons, qui, à l’habituelle « élection » populaire par acclamation, ajoute une onction sainte qui fait du nouveau monarque l’élu de Dieu, l’oint du Seigneur et donc son mandataire sur la terre. Par un curieux paradoxe, l’usurpation carolingienne, sublimée par le sacre, aboutit à donner à la fonction royale une dimension divine qui en exalte le détenteur.


La formation de l’Empire carolingien


L’œuvre de Pépin le Bref

En fait, l’événement de 751 n’a fait qu’officialiser un transfert de pouvoirs des Mérovingiens aux Carolingiens, transfert pratiquement réalisé en 737 lorsque Charles Martel décide de gouverner seul l’assemblée du regnum Francorum et, surtout, en 741 lorsqu’il se résout à procéder au partage du royaume entre ses fils Carloman et Pépin, le premier recevant l’Austrasie, l’Alamannie et la Thuringe, le second la Neustrie, la Bourgogne et la Provence.

Dès cette époque, et avant même l’abdication de Carloman en 747, la régénération du regnum Francorum est entreprise sur le triple plan religieux (rétablissement des assemblées synodales et de la hiérarchie ecclésiastique), administratif et monétaire (remise en vigueur des droits régaliens), politique et militaire (restauration de l’ordre franc en Aquitaine, en Bavière et en Alamannie aux dépens des ducs nationaux ; reconquête de la Septimanie sur les musulmans). Tout naturellement, cette œuvre se poursuit au lendemain de l’événement de 751, qui consacre l’alliance capitale de la dynastie carolingienne avec l’Église, alliance qui se renforce à la suite du second sacre de Pépin le Bref par le pape Etienne II, venu le rencontrer à Ponthion, puis à Saint-Denis en 754.

Mieux que tout autre acte, ces deux sacres montrent que la puissance des Carolingiens repose non seulement sur leur richesse foncière, sur la fidélité souvent intéressée de leur clientèle et « sur l’intelligence et l’audace des fondateurs de la dynastie », mais aussi sur leur « alliance avec l’Église » (Pierre Riché).

Cette alliance a pour contrepartie l’intervention de Pépin le Bref en Italie afin d’y défendre les intérêts de la papauté contre la menace lombarde. Par là même se trouve amorcée la politique d’expansion carolingienne, dont le résultat fut cette dilatatio regni célébrée par Éginhard et qui entraîna parallèlement la « dilatation » de la chrétienté jusqu’à l’Elbe.


L’armée

L’instrument d’exécution de cette politique est l’armée, constituée par la réunion des hommes libres du Regnum, que le souverain requiert chaque année par un ordre d’appel (ban de l’ost) auquel nul ne peut se soustraire sous peine d’une amende de 60 sous. Fort coûteux, puisque chaque combattant doit assumer seul les frais de son équipement, de sa nourriture et de ses déplacements, ce service doit être allégé en 808, les propriétaires possédant moins de quatre manses étant désormais exemptés du service militaire personnel et assujettis seulement à se grouper pour fournir à l’ost un homme armé pour quatre manses.