Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

caricature (suite)

L’univers de Jérôme Bosch* est peuplé de diableries, de monstres étranges. Bruegel* le Vieux met en scène un « monde à rebours » que traversent encore les métamorphoses médiévales. Giuseppe Arcimboldi (1527-1593) a réussi à se servir de légumes et de fruits de son jardin pour composer des figures plaisantes et des allégories. Mais c’est un autre Italien, Annibal Carrache*, qui est l’auteur généralement reconnu des premiers portraits peints dans une intention nettement caricaturale.

Au xviie s., Jacques Callot* a gravé en maître, avec une légèreté rien qu’apparente, les Misères de la guerre et toutes sortes de scènes de mœurs, des Bohémiens aux Gueux ; Abraham Bosse* a fourni à Théophile Gautier le modèle du Capitaine Fracasse. Et William Hogarth*, moralisateur autant que peintre et graveur, a présenté, dans le décor de Londres, une version sans complaisance de la comédie humaine.

Les Essais de papillonneries humaines de Charles de Saint-Aubin (1721-1790), gravés à l’eau-forte, le font à juste titre tenir pour un des annonciateurs du surréalisme. Philibert Louis Debucourt (1755-1832), Carle Vernet*, Louis Léopold Boilly (1761-1845) sont des observateurs fins mais indulgents des mœurs. Bien différent est Goya*. Son implacable portrait de Charles IV et sa famille est un des plus hauts chefs-d’œuvre de la caricature peinte, mais on lui doit aussi les bouleversantes gravures des Caprices et des Disparates, qui suffiraient à légitimer sa gloire.

L’Anglais Thomas Rowlandson*, illustrateur des Voyages du docteur Syntax, fut, au détriment des Français, un des caricaturistes les plus violents. Son compatriote James Gillray (1757-1815) parvient à le surpasser, en férocité mais non en art, contre la Terreur et contre Napoléon. En France, la caricature, au temps de la Révolution, fut généralement anonyme, beaucoup plus passionnée que réellement admirable. De l’optimisme à la colère en passant par l’ironie, on fulmina : contre monsieur et madame Veto, l’aristocrate et l’émigré, l’ennemi désarmé ou en armes, tout en riant parfois, sinistrement, des horreurs de la guillotine.


Du xixe siècle à nos jours

Inventée en 1796 par Alois Senefelder, la lithographie va déterminer dans l’art de la caricature un tournant décisif. Jusqu’alors, l’artiste était tenu de confier ses dessins au graveur de reproduction, d’où un risque d’affaiblissement du trait. Désormais, il opère directement sur la pierre calcaire ou le papier report. La technique nouvelle, plus expéditive et moins coûteuse, favorisera l’essor de maintes publications illustrées, procurant une arme de plus au journalisme politique.

Au premier rang des caricaturistes « démolisseurs de la bourgeoisie » se place Honoré Daumier* : « Un des hommes les plus importants, écrivait Charles Baudelaire, non seulement de la caricature, mais encore de l’art moderne. » Parmi les autres polémistes, il faut citer Charles Philipon (1806-1862), fondateur de la Caricature, du Charivari et du Journal amusant, qui ridiculisa Louis-Philippe en assimilant la forme de son visage à celle d’une poire. Il y eut Henri Monnier (1799-1877), à qui Joseph Prudhomme, monument de niaiserie solennelle, doit son immortalité. Inventèrent également des types mémorables : Charles Joseph Traviès (1804-1859), père de Mayeux, bossu vantard en dépit de ses vices ; Sulpice Guillaume Chevalier, dit Gavarni (1804-1866), et son Thomas Vireloque, chiffonnier philosophe.

La vie parisienne, ses élégances et ses dessous ont inspiré Edme Jean Pigal (1794-1873), le galant Eugène Lami (1800-1890), Alfred Grévin (1827-1892), auteur de l’Almanach des Parisiennes avant de fonder son fameux musée de cire. Les Fleurs animées de J. I. I. Gérard, dit Grandville (1803-1847), ont captivé les premiers surréalistes. Gustave Doré (1832-1883) se montre, dans son interprétation du Moyen Âge, un précurseur de l’humour noir. Amédée de Noé, dit Cham (1819-1879), et André Gosset de Guines, dit André Gill (1840-1885) — les grosses têtes sur un petit corps —, sont également à citer parmi bien d’autres, de même que l’Anglais George Cruikshank (1792-1878), le Suisse Rodolphe Toepffer (1799-1846), les Allemands Wilhelm Busch (1832-1908), fantaisiste étourdissant des Fliegende Blätter, et Adolf Oberländer (1845-1923), précurseur d’Emmanuel Poiré, dit Caran d’Ache (1859-1909). Il ne conviendrait pas davantage d’oublier Jean-Pierre Dantan (1800-1869), sculpteur de petits bustes des célébrités, dont il popularisera sans méchanceté les traits (Hugo, Balzac, Rossini, Frédérick Lemaître, etc.).

La photogravure, à son tour, a profondément modifié les conditions matérielles de l’exercice du métier de caricaturiste ou de dessinateur humoristique. Dès 1841, on avait réussi à transposer sur papier les documents fournis par la photographie. On imprime aujourd’hui, simultanément, textes typographiques et clichés photogravés, si bien que les journaux ont presque tous leurs dessinateurs attitrés. En France comme à l’étranger, depuis une centaine d’années, l’histoire de la caricature politique s’est confondue, au jour le jour, avec, celle des événements et des hommes. Les thèmes traditionnels ont continué d’être exploités, avec ou sans hargne : domestiques et bourgeois, médecins, militaires, gens de justice, snobs et gens du monde, vedettes des lettres, du spectacle, des arts... La technique du dessin elle-même a considérablement évolué ; abandonnant l’estompe et les hachures, on demande au trait et à la tache l’expression du contour et des volumes, de l’idée et du sentiment, à l’exemple, dans une certaine mesure, des graveurs japonais et en particulier d’Hokusai*, dont le style vif et concis a influencé Henri de Toulouse-Lautrec*.

Parmi les artistes modernes qui ont manifesté, en France, la plus remarquable ardeur de personnalité, citons Jean-Louis Forain (1852-1931), Alexandre Steinlen (1854-1923), Adolphe Willette (1857-1926), Charles Léandre (1862-1934), Georges Goursat, dit Sem (1863-1934), Jean Veber (1864-1928), Hermann-Paul (1864-1940), Abel Faivre (1867-1945), Albert Guillaume (1873-1942), Leonetto Cappiello (1875-1942), Francisque Poulbot (1879-1946), Gus Bofa (1883-1968), Chas Laborde (1886-1941), H.-P. Gassier (1883-1951) ; plus près de nous, Jean Pennès, dit Sennep (né en 1894), William Nolgrove, dit Grove (né en 1901), Albert Dubout (1905-1976), Jean Effel (né en 1908), Maurice Henry (né en 1907), longtemps lié au groupe surréaliste du « Grand Jeu ».