Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Celui-ci, Toucouleur qui, passant par Sokoto au retour du pèlerinage de La Mecque, avait épousé une fille de Bello, commença de prêcher au Fouta-Djalon vers 1850, se heurta devant Médine, en 1857, aux Français, qui l’écartèrent du Sénégal, et créa de Bamako à Tombouctou l’Empire toucouleur, avec sa capitale de Ségou sur le Niger. Il disparut en 1864. Son fils Ahmadou lui succéda.

Ainsi, pendant que les Européens évitaient de s’engager dans une politique de conquêtes et de rivalités, recherchant avec les chefs de la côte des accords favorables à leur commerce et à leurs principes antiesclavagistes, au Soudan l’islām groupait les peuples, créait de nouveaux États et manifestait un puissant dynamisme, dont l’énergie, après la conversion forcée des animistes, se perdait en guerres intestines. Les rivalités entre réformateurs ont souvent gêné les explorateurs et se retrouvent dans le récit des voyages du plus génial d’entre eux, Heinrich Barth, envoyé par la Société royale de géographie de Londres en 1850-1855.

En Afrique orientale, des mouvements de peuples d’une ampleur considérable se sont prolongés après la fin du xve s. Des Nilotiques se sont lentement propagés en Ouganda et dans la région des grands lacs. Livingstone, le premier Européen qui explora le pays (1859-1866), puis Speke et Grant, qui découvrirent les sources du Nil, furent surtout frappés par les ravages que les razzias d’esclaves produisaient parmi les agriculteurs ou les pasteurs sans défense.

Les Arabes, qu’on en rendit responsables dans les milieux antiesclavagistes, ne se conduisaient cependant pas autrement que les Européens au temps de la traite. Ils occupaient les côtes, dont les ports relevaient pratiquement de l’empire d’Oman depuis le milieu du xviie s. Contrôlant une partie de la route des Indes, cet empire s’allia aux Anglais au xixe s. Le « Sayyīd » Sa‘īd (1806-1856) transféra sa capitale de Mascate à Zanzibar en 1832. Il y développa des plantations de girofliers et un marché d’esclaves qui resta prospère, malgré les limitations négociées par les Anglais, jusqu’à sa fermeture en 1873. Les commerçants de la côte opéraient avec des tribus courtières. Celles-ci, pour se procurer de l’ivoire, importèrent de plus en plus d’armes à feu. Les fusils permirent aussi aux Noirs qui les acquéraient de multiplier les razzias ou de se tailler des royaumes, comme celui de Msiri au Katanga. Les esclaves étaient employés au transport de l’ivoire avant d’être vendus sur la côte et entassés sur les boutres qui les emmenaient soit à Zanzibar, soit, en contrebande, vers l’Arabie ou le golfe Persique. L’accroissement de la demande de l’ivoire en Europe, où les couteaux à manche d’ivoire, les billards et les pianos se répandirent, poussa les commerçants égyptiens à s’orienter également vers le nord de l’Ouganda, où ils concurrencèrent les Arabes.

À la fin de cette longue période de réorganisation des peuples africains par rapport aux influences étrangères qui s’intensifièrent sur la périphérie du monde noir, on constate un progrès considérable de l’islām. Les missions chrétiennes, épisodiques jusqu’à la formation des grandes sociétés missionnaires protestantes anglaises ou allemandes au début du siècle et catholiques françaises à partir de 1850, progressaient moins vite, sauf en Afrique du Sud.


Colonisation et décolonisation


La volte-face européenne

Trois quarts de siècle de colonisation suffirent à faire basculer vers l’Occident cette Afrique promise à l’islām. Les causes de la volte-face qui amena les puissances européennes à se partager un continent dont l’exploration n’était pas achevée sont diverses. La poussée démographique qui avait peuplé l’Amérique du Nord, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Le Cap semblait pouvoir être orientée vers l’Afrique noire, à partir du moment où des régions saines s’y offraient. Vers 1880, on vantait la richesse du Fouta-Djalon ; Leroy-Beaulieu pensait que le Sahara, irrigué, nourrirait de 10 à 20 millions de colons ; on commençait à découvrir les hauts plateaux, peu peuplés, d’Afrique orientale. L’espoir de trouver des mines, comme autrefois en Californie, en Australie et récemment en Afrique du Sud, où le diamant avait attiré un « rush » d’immigrants entre 1867 et 1876, encourageait les candidats à l’aventure. La difficulté était d’atteindre ces pays, défendus par des côtes malsaines, par la forêt vierge ou par le désert. Mais, précisément vers 1880, on savait que la technique triomphait des obstacles naturels. Puisqu’on avait percé l’isthme de Suez (1869), on saurait aussi créer des systèmes d’irrigation, fixer les itinéraires de bateaux à vapeur démontables. Et puisque les Américains avaient vaincu le désert et les montagnes Rocheuses en construisant le premier chemin de fer transcontinental (1872), on saurait réunir l’Algérie au Sénégal, au Niger et au Tchad ou Le Cap au Caire. De vastes perspectives s’ouvraient aux ingénieurs, aux économistes et aux financiers, qui s’effrayaient moins des énormes investissements nécessaires à la colonisation, puisque, d’une part, les mines pourraient en assurer l’amortissement et que, d’autre part, la formule, imaginée par Lesseps, de la Compagnie universelle faciliterait l’appel à l’épargne internationale.

À ces considérations s’ajoutèrent les contingences de la politique et de la diplomatie européennes. Jusque vers 1880, en effet, les grandes puissances s’étaient surtout inquiétées de maintenir un équilibre qui empêchât l’hégémonie de l’une d’entre elles. Les zones de rupture de cet équilibre avaient été le Rhin et l’Italie jusqu’à la formation des unités allemande et italienne, et, tout au long du siècle, la question d’Orient. Celle-ci comprenait une rivalité austro-russe dans les Balkans, une rivalité anglo-française en Égypte et une rivalité anglo-russe à Constantinople, dans les Détroits, qui commandaient, comme l’Égypte, un accès de la route des Indes. Dans ce jeu de l’équilibre constamment menacé et rétabli, auquel excellaient les diplomates, l’Afrique noire n’intervenait pas. Les Affaires étrangères l’abandonnaient à la Marine, qui prenait les initiatives, passait avec les chefs noirs des traités qu’un simple décret suffisait à ratifier. Les ministres des Affaires étrangères, qui, en général, faisaient fonction de présidents du Conseil, ne limitaient l’activité de leurs collègues que lorsque l’initiative prise risquait de compromettre l’équilibre. L’Afrique noire formait en quelque sorte un théâtre d’opérations secondaires, que les diplomates abandonnaient aux marins et aux administrateurs des colonies, en exerçant sur eux une censure lointaine et quelque peu dédaigneuse.