Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Jusqu’au début du xviie s., l’exportation d’esclaves vers l’Amérique ne semble pas avoir dépassé 200 000 personnes. La demande américaine s’enfla ensuite très vite, et l’exportation atteignit 1 million de personnes au xviie s. et plus de 4 millions au xviiie s. Au cours des quatre siècles de la traite, qui se prolongea en fait jusque vers 1870, le nombre des esclaves débarqués en Amérique a été d’environ 9 millions. Les pertes en cours de route ont été en moyenne, au plus, de 16 p. 100. L’Afrique a donc perdu environ 11 millions de ses habitants. Lorsqu’on tente de mettre ces chiffres en relation avec la population — évidemment non recensée à l’époque — des régions intéressées, il ne semble pas que ce commerce ait considérablement affaibli l’Afrique. Les pays les plus sollicités au xviiie s. (Gold Coast, Dahomey, Bénin) sont ceux où la population est aujourd’hui particulièrement dense. Au cours de ces quatre siècles, le tiers des esclaves fut débarqué au Brésil, la moitié aux Antilles et dans le nord de l’Amérique du Sud. Les États-Unis en reçurent peu, mais la croissance naturelle fut importante sur leurs plantations. Les prix de l’esclave ne cessèrent d’augmenter. En 1789, un Noir adulte et sain valait de 2 000 à 2 200 livres, soit plus de 20 000 francs actuels.

En Afrique, ce commerce contribua certainement à valoriser les côtes, où, avant l’arrivée des Européens, on ne pratiquait que la pêche du poisson ou du coquillage-monnaie. Les tribus du nord du golfe de Guinée s’enrichirent et se livrèrent au courtage avec l’intérieur, dont les chefs cherchèrent l’accès direct aux côtes. Dans le Sud, les princes du Congo et du Bénin hésitèrent entre la conservation des hommes, qui, utilisés comme soldats, cultivateurs, domestiques ou victimes de sacrifices aux mânes des ancêtres, contribuaient à leur puissance, et leur échange contre des armes et d’autres produits européens, également précieux. On s’explique ainsi la collaboration immédiate avec les négriers des tribus inorganisées et la réticence des rois du Congo et du Bénin.

Avec le développement de la traite, cependant, le besoin d’armes, l’habitude de consommer l’alcool, le tabac et l’usage des tissus européens l’emportèrent. Le commerce côtier réagit sur l’organisation politique de l’Afrique occidentale. De nouveaux États s’organisèrent en fonction de la traite. Le royaume akan de Krinjabo, dans la Côte-d’Ivoire actuelle, se forma vers 1725 et s’efforça de contrôler le commerce des chefs d’Assinie, qui avaient entretenu des relations avec la France à la fin du xviie s. Le puissant État achanti, de même, se forma autour de sa capitale de Koumassi, qui contrôla le marché d’esclaves de Manso, à 30 milles de Cape Coast Castle et où se fournissaient les tribus côtières en relation avec les Européens. Son cinquième roi, Osei Toutou (1695?-1712), lui donna ses institutions. Après sa victoire sur les Denkyéras de la côte, il entra en relation directe avec les Hollandais, qui lui payèrent désormais les loyers de leurs concessions d’Axim et d’Elmina. (V. Achantis.) Au Dahomey, le roi d’Allada, Dogbari-Genou, ayant été déposé dans des conditions obscures vers 1620, se retira loin des contacts côtiers et fonda une nouvelle monarchie à Abomey*. Rejetant les institutions tribales, il édifia une monarchie absolue, avec perception d’impôts réguliers, et renonça à la traite pour former une armée permanente. Son petit-fils, Agadja (1708-1740), conquit Allada et Ouidah (1724-1727), mais ne put vaincre l’État esclavagiste voisin d’Oyo. Il finit par recourir, lui aussi, à la traite, sans doute pour se procurer des armes. Mais celle-ci devint monopole d’État à Ouidah, où un fonctionnaire spécial contrôla l’activité des factoreries européennes. La longue vassalité d’Abomey à l’égard d’Oyo (1730-1790) favorisa le développement de ce commerce en limitant le recrutement de l’armée. Les États d’Oyo et les Yoroubas*, héritiers des vieilles civilisations de Nok et d’Ife*, se livrèrent également au commerce des esclaves.


La réaction antiesclavagiste

Sous l’influence des idées philosophiques du xviiie s., les opinions publiques européennes prirent progressivement conscience de la cruauté de la traite. Les Anglais, alertés par la prédication de John Wesley, fondateur de l’Église méthodiste, adoptèrent vis-à-vis des Noirs la même attitude, fraternelle et paternaliste, que les quakers. Le plus actif d’entre eux, Granville Sharp, obtint du procureur général William M. Mansfield le fameux jugement de 1772, d’après lequel il ne pouvait y avoir d’esclaves sur le sol britannique. Les quelque 15 000 Noirs qui s’y trouvaient désormais sans maîtres posèrent le problème du Noir pauvre. Sharp pensa le résoudre en les envoyant créer des plantations en Afrique et démontrer ainsi qu’on pouvait y faire un commerce aussi rentable que le « commerce honteux » de la chair humaine. Une compagnie privée, alimentée par des subventions bénévoles, expédia en 1787 un premier convoi en Sierra Leone. Un « Comité pour l’abolition de la traite des esclaves » fut fondé en 1787, à peu près au même moment que la société française des « Amis des Noirs ». Son représentant à la Chambre des communes, William Wilberforce, déposa un projet de loi qui ne fut voté qu’en 1807. Le gouvernement reprit alors les installations de la compagnie de Sierra Leone à Freetown. L’interdiction de la traite, recommandée aux signataires du traité de Vienne en 1815, devint effective dans l’Empire français à partir de 1821, en Espagne et au Portugal, subventionnés par les Anglais, entre 1815 et 1842. S’inspirant de l’exemple britannique, une société américaine préconisa aussi le retour en Afrique des Noirs libres et créa la petite colonie du Liberia* en 1816.

L’abolition de l’esclavage fut décrétée dans l’Empire britannique en 1833, pour prendre effet en 1838, dans l’Empire français en 1848, aux États-Unis en 1862, à Cuba en 1886 et au Brésil en 1888. La fermeture des débouchés américains mit un terme à la traite atlantique, qui avait continué, en contrebande, malgré les interdictions et les contrôles organisés par la croisade antiesclavagiste. (V. esclavage.)