Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Capétiens (suite)

Les origines : le temps des Robertiens (861-987)

En 861, l’empereur carolingien Charles le Chauve confie à Robert le Fort un vaste commandement militaire englobant les comtés d’Angers, de Tours et sans doute ceux du Mans, de Chartres et d’Orléans, à charge pour lui de mettre la Neustrie à l’abri des envahisseurs bretons et surtout normands. Tué par ces derniers au cours de la bataille de Brissarthe (866), Robert le Fort laisse deux enfants en bas âge, Eudes et Robert.

Momentanément écartés de la succession paternelle, par Charles le Chauve, au profit d’Hugues l’Abbé, second époux probable de la veuve de Robert le Fort, les fils de ce dernier recueillent leur héritage neustrien à la mort de leur beau-père avant de s’illustrer à leur tour dans la lutte contre les Normands. Ayant défendu glorieusement Paris contre ces derniers en 885-886, le comte Eudes reçoit de l’empereur Charles le Gros de larges pouvoirs en Francia occidentalis, sur laquelle lui-même et son frère Robert Ier règnent respectivement de 888 à 898 et de 922 à 923 en alternance avec les Carolingiens Charles le Gros (884-887) et Charles le Simple (898-923).

La reconnaissance même mitigée du premier d’entre eux par l’empereur carolingien Arnoul (ou Arnulf) dès 888 crée ainsi au profit des Robertiens une tradition monarchique qui se renforce avec l’élection à la Couronne de Raoul de Bourgogne (roi de 923 à 936), gendre de Robert Ier, et beau-frère du comte de Paris Hugues le Grand. Également duc de France, Hugues règne en fait jusqu’à sa mort, en 956, sous le couvert des Carolingiens Louis IV d’Outremer (roi de 936 à 954) et Lothaire (roi de 954 à 986).


L’avènement des Capétiens

Aussi n’est-il pas étonnant qu’à la disparition du dernier Carolingien, Louis V, les grands vassaux du nord de la Loire aient songé à élire roi le duc de France Hugues Capet (987), souche des trois dynasties de souverains (Capétiens, Valois, Bourbons) qui se succédèrent sur le trône de France jusqu’en 1848, c’est-à-dire pendant près d’un millénaire, et dont les branches collatérales devaient régner plus ou moins longtemps sur les royaumes de Naples, de Hongrie et d’Espagne.


Domaine royal et grands fiefs

Désireux de conserver leur indépendance de fait à l’égard du pouvoir royal et de se réserver une éventuelle possibilité d’accéder à leur tour à la Couronne, les princes féodaux avaient porté leur choix sur le moins richement possessionné d’entre eux. Dans un royaume dont l’Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône marquent approximativement les limites orientales, et qui englobe, par ailleurs, au sud des Pyrénées le comté de Barcelone jusqu’à l’embouchure de l’Ebre, Hugues Capet n’exerce, en effet, une autorité directe que sur un « domaine royal [...] disparate, dispersé, incohérent » (C. Petit-Dutaillis). Celui-ci comprend d’abord des terres de faible superficie, héritées en partie des Robertiens (Orléanais et Paris ; pays d’Etampes, d’Arpajon, de Poissy, de Senlis ; port de Montreuil-sur-Mer), en partie des Carolingiens (palais royaux d’Attigny, de Compiègne, de Verberie, etc.) et à l’intérieur desquelles l’autorité du roi est souvent contestée par de hardis petits seigneurs qui le défient du haut de donjons réédifiés en pierre au xie s.

En fait, l’essentiel du domaine royal est constitué par des droits que le roi possède soit en tant que propriétaire foncier, soit en tant que suzerain ou souverain et pour lesquels on distingue ceux qui constituent le domaine immuable (censives, rentes foncières et perpétuelles) et ceux qui forment le domaine muable, car source de revenus irréguliers. Ces derniers comprennent à la fois les revenus en nature ou en argent que lui procure l’exploitation de ses terres, ceux qu’il tire de la levée sur ses vassaux des diverses aides féodales, ceux, enfin, qu’il retire de l’exercice de ses droits régaliens : profits de justice, taxes sur la circulation et les marchés, émission de la monnaie, régale surtout, qu’il perçoit sur les évêchés (15 à 25) et sur les monastères royaux (9 à 51), dont il dispose en tant que maître du temporel et des sièges. L’exercice de ces droits assure donc au roi l’essentiel de ses revenus, dont le montant, estimé à 228 000 livres parisis par an au temps de Louis VII, était loin d’être négligeable dès l’époque même d’Hugues Capet, auquel il fournissait déjà d’importants moyens d’action à l’encontre de ses grands vassaux.

La puissance territoriale et financière de ces derniers apparaît pourtant considérable en 987, puisque les plus importants d’entre eux gouvernent de vastes principautés féodales qui recouvrent l’essentiel du royaume. Au nord, le comte de Flandre, maître aussi de l’Artois, contrôle en effet les terres où vont s’épanouir, entre Escaut et mer du Nord, les grandes villes marchandes et drapantes de Gand, de Bruges, d’Ypres, de Douai et d’Arras ; au cœur du royaume, la maison de Blois-Champagne enserre d’autant plus dangereusement le domaine royal que ses possessions (Chartres, Blois, Meaux et Troyes) sont réunies vers 1023 dans la seule main d’Eudes II de Blois. Plus à l’ouest, le duché de Normandie et le comté d’Anjou constituent déjà de puissantes principautés solidement organisées ; leur existence ne menacera pourtant gravement celle des Capétiens que lorsque la Normandie se sera définitivement unie en 1106 à l’Angleterre, occupée en 1066 par Guillaume le Conquérant et que lorsque l’Anjou se sera fondue à la Normandie et à l’héritage d’Aliénor d’Aquitaine pour constituer finalement, au milieu du xiiie s., l’immense empire des Plantagenêts*, qui s’étire de l’Écosse aux Pyrénées et de l’Atlantique à l’Auvergne. Malgré leur extension territoriale considérable, les duchés de Bretagne et d’Aquitaine de même que les comtés de Toulouse et surtout de Barcelone ne représentent pas un danger analogue pour la survie du domaine capétien, en raison soit de leur éloignement géographique, soit de l’indifférence de leur prince à l’égard de leur souverain. Pour des raisons différentes (dissensions intestines, intervention des Robertiens dès le xe s.), il en est de même du duché de Bourgogne, pourtant plus proche. Mais, malgré l’existence de ces zones de moindre opposition, il n’en reste pas moins vrai que le domaine royal apparaît d’une exiguïté d’autant plus inquiétante pour son avenir que les grandes principautés féodales l’enserrent dans un anneau territorial qui, des Pyrénées à la Flandre, se referme sur Paris. Que les Capétiens aient survécu à ces menaces et qu’ils aient même réussi finalement à dilater leur domaine aux dimensions de leur royaume n’en semble que plus remarquable.