Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Afrique noire (suite)

La datation, dès lors, devient difficile. Elle peut résulter du recoupement de la tradition orale par les données des fouilles archéologiques ou de l’étude des systèmes agraires, de l’extension des plantes, dont on connaît l’époque d’introduction, des techniques, de l’astronomie, qui permet de préciser la date d’une éclipse, de la géologie, qui apprécie celle d’une éruption volcanique, etc.

Une difficulté supplémentaire vient de la mobilité des populations et de l’instabilité dans le temps des groupes ethniques, dont quinze cents au moins sont recensés actuellement. L’ethnie ne peut se définir ni par la race, ni par la langue, ni même par les croyances religieuses. Elle est essentiellement consciente d’appartenir à un même groupe, se manifeste par la référence de ses membres à un ancêtre commun et par leur participation à certaines coutumes ou cérémonies. Son contenu est donc culturel. Mais un groupe nombreux peut se diviser et donner naissance à des ethnies nouvelles. Des étrangers peuvent être progressivement assimilés par le groupe auprès duquel ils se sont installés. Les noms même que leurs voisins donnent à une même ethnie varient et diffèrent parfois de celui qu’elle-même a adopté. On s’explique ainsi que bien des sociétés décrites par des voyageurs anciens n’existent plus. Et si l’extrême dispersion de certaines ethnies peut renseigner sur leurs migrations, leurs traditions, peu précises sur leur origine, ne permettent ni de fixer l’époque de leur établissement actuel ni d’apprécier la culture des populations qu’elles ont remplacées ou avec lesquelles elles ont fusionné.

Des techniques modernes de datation, la dendrologie et surtout le carbone 14, ont cependant permis de grands progrès. Avec la multiplication des fouilles et une collaboration de plus en plus étroite entre les spécialistes des différentes sciences intéressées au passé de l’Afrique noire, on peut espérer que les zones d’ombre qui recouvrent encore la plus grande partie du passé se résorberont.


Les Noirs

L’Afrique a peut-être été le berceau, ou l’un des berceaux, de l’humanité. À l’heure actuelle, les squelettes les plus anciens de l’Homo sapiens ont été trouvés en Afrique orientale. Le Noir est le dernier venu des représentants des grandes races dont les anthropologues identifient les ossements en Afrique. Son origine est encore incertaine. On le rencontre d’abord au nord de la forêt équatoriale, à une époque où le Sahara méridional était plus humide qu’aujourd’hui. Refoulant les chasseurs pygmées, le Noir s’est progressivement répandu dans la zone soudanaise. Les linguistes reconnaissent une parenté entre toutes les langues soudaniennes parlées par les Noirs au nord de l’équateur. Au sud, où les langues noires sont du type bantou, la pénétration a été plus récente ; elle se situe peut-être au ier s. de notre ère. Contournant la forêt équatoriale, les Bantous se sont progressivement répandus dans les régions occupées par des Pygmées et des Bochimans. Les migrations de ces peuples sont complexes et encore mal connues. Elles ont probablement été lentes, et elles paraissent liées à l’expansion des plantes cultivées, venues d’Asie dans la vallée du Nil et au Fayoum. Ignorant la roue, limités dans l’utilisation de la bête de somme par la mouche tsé-tsé — dont les méfaits sont encore attestés au Sénégal au xixe s. —, les Bantous ont dû se déplacer par petits groupes. Ils pratiquaient la chasse et la pêche, complémentaires d’une agriculture limitée au mil et au riz, un élevage extensif et un artisanat centré sur la poterie et la forge. Ils sont allés de régions épuisées vers les terres vierges, refoulant des populations paléonigritiques plus anciennes ou fusionnant avec elles, découvrant ou s’appropriant des techniques nouvelles. Ils ont laissé peu de traces sous un climat qui effaçait les constructions de roseaux et de pisé ; les termites ont eu raison des édifices en bois.

L’anthropologie et l’archéologie découvriront leur outillage, leurs terres cuites et leurs ossements dans les innombrables tumuli qui furent leurs villages ou leurs tombeaux. Elles ont ainsi ressuscité la civilisation de Nok, dont les terres cuites mises au jour sur le plateau de Jos, en Nigeria du Nord, remontent au Ier millénaire av. J.-C., et celle des Saos, qui précédèrent, vers le xie s. de notre ère, les Haoussas dans la région du Tchad. Mais ces fouilles, dont il faut attendre beaucoup, sont lentes et coûteuses.

L’ethnographie a révélé l’extrême cohérence des structures sociales. Cela explique sans doute que les Noirs ne se soient pas aventurés sur les pistes transsahariennes, dominées par les chameliers blancs, ou sur l’Océan. Ils se livraient à la pêche côtière et reçurent dès l’Antiquité la visite de bateaux arabes ou indiens, qui utilisaient la mousson. S’ils ne se sont pas aussi aventurés en haute mer, c’est que, sans doute, comme au Congo et au Dahomey, ils croyaient que l’Océan était le séjour des morts. L’étude des rites et des coutumes de ces sociétés, où l’individu isolé n’existe pas, peut donc, autant que celle des techniques, expliquer les itinéraires complexes de ces migrations.


L’Abyssinie

Dans une région, cependant, au sud de l’Égypte et en Abyssinie, des chronologies existent depuis l’Antiquité. Dès le IIIe millénaire av. J.-C., des commerçants égyptiens, que l’on rencontre aussi sur les côtes de l’Érythrée et de la Somalie, ont fréquenté le pays de Couch, au nord de la Nubie. Ils y cherchaient de l’or, de l’ivoire, de l’encens et des bois durs. Ce sont des Égyptiens qui ont construit la forteresse de Kerma, près de Dongola, pour le prince de l’État de Couch au début du IIe millénaire. La Nubie tout entière fut colonisée par les pharaons de la XVIIIe à la XXe dynastie, au temps de l’Empire thébain. Au début du Ier millénaire, le pays de Couch devint indépendant et, pendant environ treize siècles, domina non seulement en Nubie, mais encore en Égypte, où l’on recense cinq de ses rois parmi des pharaons de la XXVe dynastie. La capitale, Napata, fut ensuite transférée à Méroé. Sur les monuments de ce site, des inscriptions en écriture cursive, méroétique, encore peu déchiffrable, attestent la prospérité de cet État au moment du déclin de l’Égypte.