Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cancer (suite)

1. Les médicaments alcoylants. Une première classe, très importante, est celle des médicaments alcoylants. Ces substances possèdent un ou plusieurs groupements alcoyles très réactifs ; avides d’électrons, ceux-ci sont prompts à se combiner avec des systèmes biologiques riches en électrons par une réaction de déplacement. Le résultat de ces réactions est d’inactiver les systèmes biologiques ainsi alcoylés.

Les Moutardes azotées sont les représentants les plus importants de cette classe. La Moutarde à l’azote classique, méthyl-bis-β-chloréthylamine, est un analogue de l’ypérite, l’azote remplaçant l’atome de soufre. De nombreux autres produits ont été préparés, et on retiendra l’intérêt qui s’attache aux Moutardes aromatiques, d’une part, et aux Moutardes sucrées, d’autre part.

Très proches des Moutardes, les cyclophosphamides sont très largement utilisés. Les chercheurs allemands eurent l’idée de produire un composé inactif sous sa forme de transport dans l’organisme, qui se transformerait en composé actif à son point d’application. Par couplage de la substance avec une « molécule conductrice » appropriée, la sélectivité de l’action peut être accrue, les risques secondaires de toxicité, diminués. Aussi le cyclophosphamide inactif in vitro est hautement actif in vivo, ce qui a été mis en évidence tant dans l’expérimentation animale que chez l’Homme. Une des hypothèses du mécanisme possible d’action des Moutardes à l’azote résidant dans la formation d’une cyclisation intramoléculaire qui aboutit à un cation onium cyclique (cation très réactif en milieu organique avec les groupes carboyls et aminés de certaines protéines), on a été amené à étudier les dérivés ayant une formule apparentée, plus particulièrement les éthylène-imines.

Les dérivés de l’éthyl-imine sont divers. Le premier utilisé a été la tri-éthylène-mélamine, dont on peut rapprocher le tri-éthylène-phosphoramide et le thio-tri-éthylène-phosphamide. L’adjonction d’un radical quinone a permis la préparation des éthylène-imine-quinones, dont le mécanisme d’action est double, poison du fuseau par la quinone, alcoylant par le radical éthylène-imine.

2. Les poisons du fuseau (le fuseau est le guide des chromosomes lors de la mitose). Ils ont été les premiers connus, puisque c’est à propos de la colchicine que Dustin décrivit le mécanisme de cette action. Il semble que la plupart des produits extraits des plantes colchicine, Pervenche, agissent par ce mécanisme.

3. Les antimétabolites. Ils se partagent en deux grandes classes selon que cette action s’exerce sur l’un des facteurs de croissance de la cellule ou sur les matériaux de la cellule elle-même.

À la première catégorie appartiennent essentiellement les antifoliques, antagonistes de l’acide ptéroyl-glutaminique.

Dans la deuxième se rangent les antagonistes des bases naturelles puriques et pyrimidiques, parmi lesquels on reconnaît des antipurines et les antipyrimidines. Parmi les antipurines, la 6-mercaptopurine interfère avec diverses réactions concernées dans le métabolisme des purines, leur effet principal consistant en l’inhibition de la transformation de l’hypoxanthine en adénine et guanine. La thioguanine, contrairement à la 6-mercaptopurine, est incorporée dans l’ADN et l’ARN, conduisant aussi à la synthèse d’un ADN anormal.

Les autres pyrimidines inhibent l’incorporation de la thymidine dans l’ARN (5-fluoro-uracile). Certains de ces corps chimiques de synthèse ont également une action antivirale.

Des antagonistes des acides aminés ont également été préparés (azaserine de la l-glutamine).

• Voie d’introduction. Selon que l’on utilise la voie générale ou des voies particulières, deux grandes classes peuvent être distinguées.

Voie générale. Les différents médicaments que l’on vient de décrire sont donnés par voie orale ou parentérale. Le rythme des administrations peut être continu ou intermittent. Les administrations discontinues permettent, à toxicité hématologique et générale égales, d’administrer des doses totales de médicament beaucoup plus élevées. Le meilleur exemple en est fourni par le méthotrexate, donné de façon intermittente dans le traitement d’entretien de la rémission des leucémies aiguës lymphoblastiques.

Voies particulières. De très nombreux travaux ont été consacrés à des essais de chimiothérapie locale selon plusieurs méthodes principales : intraséreuse ou intracavitaire, qui permet souvent de contrôler une pleurésie ou une péritonite néoplasique ; intrarachidienne, qui permet presque toujours d’obtenir la rémission d’une localisation méningée d’une leucémie ; intra-artérielle, soit par la méthode de circulation extracorporelle, soit en perfusions artérielles directes, continues ou discontinues (pompes portatives) ; intralymphatique, enfin, encore à l’étude.

• Effets sur les différentes formes de cancers. L’analyse des résultats des chimiothérapies des leucémies et des sarcomes des tissus hématopoïétiques a établi les deux notions suivantes :
1. De nombreux médicaments exercent une action générale. Tel est surtout le cas des médications alcoylants. Ainsi les diverses Moutardes, généralement peu employées dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique, sont capables d’en provoquer la rémission. Ainsi encore, la tri-éthylène-mélamine peut exercer une action sur un très grand nombre de leucémies et de sarcomes ;
2. Certains médicaments exercent une action tout à fait élective. Le busulfan, excellent médicament de la leucémie myéloïde chronique, est inefficace en dehors de cette maladie. La 6-mercaptopurine, bon médicament des leucémies aiguës et des leucémies myéloïdes chroniques, est inefficace si elle est administrée à des sujets atteints de maladie de Hodgkin. Bien plus, un changement très limité dans la molécule des alcaloïdes de la Pervenche permet d’obtenir deux substances : l’une, la vincristine, est d’action assez étendue et surtout efficace dans les leucémies aiguës lymphoblastiques ; l’autre, la vinblastine, est d’action plus limitée et agit presque uniquement dans les maladies réticulaires (maladie de Hodgkin, réticulosarcome), et aussi dans certains cancers. Ces données ne peuvent être complètement transposées à la chimiothérapie encore balbutiante des tumeurs solides, mais une ébauche de classement, fondée sur l’inégale efficacité des médicaments chimiques du cancer, peut être tentée.
a) Médicaments exerçant une action élective et vigoureuse sur certains cancers. Cette efficacité peut être le fait soit du mécanisme même d’action du médicament, soit du type cytologique de la tumeur. Ainsi, les médicaments immuno-suppresseurs, et avant tout le méthotrexate et l’actinomycine D, exercent une action très heureuse sur le chorio-épithéliome féminin et sont capables, dans certains cas au moins, d’en obtenir la guérison (plus des trois quarts des cas selon Hertz). Ainsi encore, l’actinomycine D, généralement très peu efficace, exerce une action remarquable sur la tumeur de Wilm (cancer du rein) de l’enfant.
b) Médicaments exerçant une action imparfaite, mais souvent utile. Un dérivé des éthylène-imines, le thiotépa, exerce une action utile sur divers épithéliomas glandulaires, particulièrement l’épithélioma de l’ovaire et celui du sein. La vincaleucoblastine est un bon médicament aussi des épithéliomas du sein avec métastases. Les cancers du côlon et du rectum sont assez sensibles au 5-fluoro-uracile.
c) Médicaments faiblement ou inconstamment actifs. À cette classe appartiennent les produits qui sont employés lorsque chimiothérapie et radiations ne peuvent plus être envisagées en raison soit de la nature de la tumeur, soit de son extension loco-régionale, ou bien surtout de sa généralisation. Ainsi sont utilisés les cyclophosphamides, les éthylène-imine-quinones, la vincaleucoblastine, certains antibiotiques.
d) Enfin, les polychimiothérapies des tumeurs solides méritent d’être rappelées ; les constatations actuelles ne permettent pas de conclusions formelles, mais ne sont pas décourageantes et doivent conduire à une étude comparative qui permettra de préciser et d’assurer les effets exacts de la méthode employée.

C. J.