Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Canada (suite)

Avec la génération suivante, celle des fils des émigrés loyalistes, commence la véritable littérature canadienne de langue anglaise. Oliver Goldsmith (1794-1861), fils d’un émigré yankee, dans son poème The Rising Village (1825), décrit la formation d’un village de loyalistes réfugiés : la première cabane menacée par les Indiens, l’arrivée d’immigrants, la construction de l’église et de la taverne, l’installation du docteur et de l’instituteur, enfin l’épanouissement d’un village prospère et loyal au roi d’Angleterre. C’est le premier poème canadien. Frances Broole (1724-1789), épouse de l’aumônier presbytérien de la garnison de Québec, avait publié à Londres, en 1769, un roman par lettres, The History of Emily Montagne, qui décrit la société de Québec et qu’on considère parfois improprement comme le premier roman canadien. Le premier romancier canadien semble plutôt être John Richardson (1796-1852). Après une vie mouvementée de soldat, il compose des romans historiques à la manière romanesque de Walter Scott et de Fenimore Cooper : Wacousta (1832), inspiré par le soulèvement indien de 1763, et The Canadian Brothers (1840), sur la guerre de 1812. Thomas Chandler Haliburton (1796-1865), après des traités géographiques (A General Description of Nova Scotia, 1823), choisit la satire et invente le personnage de Sam Slick, horloger itinérant yankee qui critique et exploite la paresse et la crédulité des Canadiens. Créé dans The Clockmaster or the Sayings and Doings of Sam Slick of Slicksville (1835), repris dans d’autres livres (Sam Slick in England, 1843 ; Sam Slick’s Wise Saws, etc.), Sam Slick devient un personnage très populaire jusqu’aux États-Unis. Deux sœurs anglaises, Catharine Parr Traill (1802-1899) et Susanna Moodie (1803-1885), émigrées au Canada en 1832, décrivent la vie des pionniers dans des ouvrages qui sont en partie des romans, en partie des traités d’économie domestique : The Backwoods of Canada (1836), The Female Emigrant’s Guide (1854), The Canadian Crusoe (1852), Roughing it in the Bush (1852).

Pendant la période coloniale, John Howe, directeur du Nova Scotia Magazine (1789-1792), et surtout son fils, Joseph Howe, homme politique et directeur de l’Acadian Magazine or Literary Mirror (1830-1833), où Sam Slick paraît en feuilleton, jouent un rôle important dans la cristallisation littéraire du sentiment national. En 1864 paraît à Montréal un recueil de poèmes canadiens, anthologie réunie par Edward Hartley, qui expose dans sa préface la nécessité de créer une poésie à la fois nationale et esthétiquement valable. Parmi les poètes canadiens, Hartley accorde une attention particulière à Charles Sangster (1822-1893), romantique byronien inspiré par le paysage canadien (The Saint Lawrence and the Saguenay, 1856). Alexander McLachlan (1818-1896), dit « le Burns canadien », ouvrier écossais émigré, critique la société européenne et voit dans le Nouveau Monde la possibilité de créer une communauté fondée sur l’amour et la science (The Spirit of Love, 1846 ; Poems, 1856 ; Lyrics, 1858). Charles Heavysege (1816-1876) compose de longs poèmes d’inspiration biblique, dont le plus connu est Saul (1857), et imite le Corbeau d’Edgar Poe dans The Owl (1864). Charles Mair (1838-1927), dans son drame poétique Tecumseh (1886), évoque la marche de l’homme blanc vers l’Ouest et marque nettement la fin de l’époque coloniale.


Du protectorat à 1920

En 1867, l’accession du Canada au statut de protectorat est liée à un développement du sentiment national qui s’exprime dans la littérature et qu’annonce le succès de magazines comme The Literary Garland (1838-1851). La génération née en 1860 marque un essor de la littérature canadienne, particulièrement en poésie. La formation du « Group of the Sixties », qui réunit les poètes Charles Roberts, Bliss Carman, Archibald Lampman, Duncan C. Scott, entraîne la poésie canadienne vers une inspiration délibérément nationale. Charles Roberts (1860-1943) domine un demi-siècle de littérature canadienne. Fier de sa terre natale, il compose des poèmes franchement nationalistes (Canada, An Ode for the Canadian Confederacy). Un peu trop rhétoriques, ceux-ci sont négligés aujourd’hui, mais Roberts est encore lu pour ses excellentes histoires d’animaux. Son cousin Bliss Carman (1861-1929) unit un sens musical du rythme poétique et une sensibilité lyrique à l’égard de la nature canadienne (The Ships of Yule, Low Tide on Grand Pré). Mais son inspiration est gâchée par des prétentions philosophiques, qui mêlent le culte d’un esthétisme païen et fin de siècle (The Pipes of Pan, 1906) à l’exaltation de la bohème vagabonde (Songs from Vagabondia, 1894). Carman a composé également des essais assez confus sur les rapports de l’esthétique et de la vie (The Kinship of Nature, 1904 ; The Poetry of Life, 1905). Membre du même groupe, Archibald Lampman (1861-1899), allergique à la civilisation urbaine, se réfugie dans la nature, qu’il chante en vers néo-classiques. Très influencé par la poésie de Keats, il prouve que le traitement de sujets canadiens n’exclut pas l’emploi des formes classiques (Among the Millet, 1888 ; Lyrics of the Earth, 1899). Duncan Campbell Scott (1862-1947), secrétaire aux Affaires indiennes, trouve son inspiration dans les régions les plus sauvages du Canada, parmi les tribus indiennes que son métier lui a appris à connaître (New World Lyrics and Ballads, 1905). Du « Group of the Sixties », c’est celui dont la réputation a le mieux résisté au temps. Isabella Valancy Crawford (1850-1887) compose des vers plus originaux, d’un lyrisme intense. Mais son inspiration ne paraît pas plus « canadienne » que celle du poète George Frederick Cameron (1854-1885). Dans ses vers, Francis Sherman (1871-1926) paraît très influencé par le mouvement préraphaélite anglais (Matins, 1896 ; Prelude, 1897). Marjorie Pickthall (1884-1922) compose quelques-uns des plus beaux poèmes canadiens. Poétesse difficile, mêlant un fort sentiment religieux à un esthétisme fin de siècle (The Drift of Pinions, 1913), elle s’inspire pourtant aussi du martyre des jésuites canadiens.