Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Canada (suite)

(Saint-Casimir-de-Porneuf 1900 - Québec 1975). Avant d’écrire, Alain Grandbois a couru le monde. Et c’est par des histoires de voyageurs qu’il s’est fait d’abord connaître : Né à Québec, biographie romancée de Louis Joliet (1933), et les Voyages de Marco Polo (1942) ; il y pratique une prose brillante, imagée, un peu hachée, à la manière de Paul Morand, dont l’influence se fait aussi sentir sur son recueil de nouvelles, Avant le chaos. Mais il avait déjà fait imprimer en Chine, à Han-k’eou, une plaquette de vers hors commerce. Et ses Îles de la nuit (1944) firent de lui, d’emblée, le maître des jeunes qui aspiraient à rénover la poésie ; il participa la même année à la fondation de l’Académie canadienne-française. Rivages de l’homme suivra en 1948, et l’Étoile pourpre en 1957. L’ensemble a été groupé en un volume de Poèmes en 1963 aux Éditions de l’Hexagone.


Anne Hébert

(Sainte-Catherine-de-Portneuf 1916). Fille du critique Maurice Hébert et cousine de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert a eu sa jeunesse assombrie, après une enfance heureuse, par la maladie et par des deuils (dont la mort de son cousin), qui lui inspirent la mélancolie de son premier recueil, les Songes en équilibre (1942). Elle collabore à diverses revues, et sa pensée comme son expression atteignent à un maximum de condensation dans le Tombeau des rois (1953), qu’avait précédé en 1950 un volume de contes, eux aussi d’une poésie tragique, le Torrent (1950). Des séjours fréquents à Paris ont sans doute contribué à infléchir son inspiration, qui, après l’angoisse de la solitude et de la mort, exprimera une redécouverte de la vie : le tournant est visible dans son roman les Chambres de bois (1958), dont le personnage principal, une femme, ressent la nostalgie de l’enfance comme une prison qu’elle finit par rejeter. Sa nouvelle inspiration se déploie dans Mystère de la parole, seconde partie de l’ouvrage où les Éditions du Seuil grouperont ses poèmes en 1963, mais le tragique domine en 1970 dans son roman Kamouraska. Anne Hébert a donné au théâtre le Temps sauvage, réédité en 1967 avec la Mercière assassinée et les Invités au procès.


Émile Nelligan

(Montréal 1879 - id. 1941). Si Garneau est à l’origine de la littérature canadienne, Nelligan incarne son initiation à la poésie moderne. Fils d’un immigrant irlandais et d’une Canadienne française, il commence à écrire des vers dès le collège, et il en publie dans les revues à partir de 1896. En 1897, il entre à l’école littéraire de Montréal, où il lit plusieurs de ses poèmes et où sa Romance du vin lui vaut un triomphe le 26 mai 1899. Mais les névroses de ses auteurs favoris sont trop pour sa fragilité mentale ; il « sombre dans l’abîme du rêve », comme il le craignait et l’annonçait : interné à la retraite Saint-Benoît (9 août 1899), puis à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, il y passera ses quarante dernières années sans retrouver ses facultés. La publication de son œuvre, recueillie et préfacée par Louis Dantin en 1904, le rend célèbre ; une édition plus complète et critique paraîtra en 1952.


Gabrielle Roy

(Saint-Boniface, Manitoba, 1909). Née dans l’Ouest, établie à Montréal depuis 1939 après un séjour de près de deux ans en Angleterre et en France, puis à Québec depuis son mariage en 1952, Gabrielle Roy a acquis d’un coup la célébrité en 1945 avec Bonheur d’occasion, roman de la misère à Montréal, qui a fait d’elle la première lauréate canadienne du prix Femina. Son populisme se retrouvera dans Alexandre Chênevert (1954), qui raconte la vie d’un caissier. Mais Gabrielle Roy a aussi évoqué les paysages de son enfance et la griserie de la nature vierge dans la Petite Poule d’eau (1950), dans Rue Deschambault (1955) et dans deux romans, où cette évocation prend une valeur de mythe et de symbole, la Montagne secrète (1961) et la Route d’Altamont (1966).


Littérature canadienne de langue anglaise

Il n’existe pas de littérature canadienne au sens où il y a une littérature anglaise, espagnole ou française. Cela est dû non seulement au statut longtemps colonial du pays, mais aussi à la division linguistique, chaque communauté tendant à lire des écrivains anglais ou français plutôt que canadiens, et les écrivains canadiens cherchant à s’imposer à Londres, à New York ou à Paris en en suivant les modes littéraires.

L’écrivain canadien souffre d’un « complexe provincial ». Il est tenté d’en sortir soit en exagérant son « canadianisme » jusqu’à tomber dans un régionalisme agressif, soit en cherchant un succès cosmopolite aux dépens de l’inspiration authentiquement canadienne, comme c’est le cas de la romancière Mazo De La Roche, dont le public international ignore souvent qu’elle est canadienne. À ces difficultés s’ajouta longtemps la rigueur morale et l’intolérance religieuse des colons canadiens, pour qui l’art avait des aspects diaboliques. Ces obstacles à une littérature nationale expliquent que ce n’est qu’au xxe s. que la littérature canadienne s’émancipe de son état colonial pour accéder à l’indépendance.


La période coloniale

Les premiers ouvrages canadiens sont, comme dans toute l’Amérique, des récits d’exploration, des traités religieux et politiques, des manuels techniques qui ne relèvent pas de la littérature. La littérature canadienne de langue anglaise apparaît à la fin du xviiie s. Elle est liée à la Révolution américaine.

Après la Déclaration d’Indépendance, environ 40 000 loyalistes américains, fidèles à la couronne britannique, se réfugient au Canada. Hostiles à l’indépendance américaine et aux idéologies de démocratie et de libéralisme qui l’inspirèrent, ils fondent leur « canadianisme » sur une loyauté militante à l’Angleterre et à l’Ancien Régime européen — ce qui marque les origines de la littérature canadienne de langue anglaise d’une teinte conservatrice, que la communauté française, tout aussi hostile à la « philosophie des lumières » et à la Révolution française, alliées de Washington, ne fera rien pour contrebalancer. Jonathan Odell, Yankee né dans le New Jersey, réfugié dans le Nouveau-Brunswick en 1784, compose ainsi des vers satiriques contre la Révolution américaine (The Loyal Verses of Dr. John Odell).