Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique (suite)

Savoir choisir

Des options multiples s’offrent aux Africains : voie du capitalisme libéral, voie du socialisme scientifique, voie non capitaliste du socialisme africain. Le choix entre ces possibilités ne dépend pas seulement des préférences idéologiques, liées elles-mêmes aux conjonctures politiques, mais encore des potentialités socio-économiques. Ainsi va s’établir une distinction judicieuse entre un socialisme de doctrine propre aux pays capables de réaliser un développement capitaliste (tel le Ghāna) et un socialisme de pauvreté où la misère exclut l’éventualité d’une voie capitaliste (comme au Mali). En cas d’échec, les premiers risquent donc de retourner au capitalisme, les seconds d’opter pour le socialisme révolutionnaire. Le choix idéologique doit être réaliste. Ainsi, les conditions historico-géographiques peuvent imposer des stades de transition durant lesquels le capitalisme peut jouer un rôle. C’est pourquoi la voie non capitaliste choisie par la plupart des leaders africains reste souvent prudente dans la politique des nationalisations et fait appel aux pays capitalistes pour assurer le décollement de leur économie. Enfin le choix doit s’opérer en accord avec les masses informées, surtout animées, et conformément aux exigences d’une unité africaine bien comprise.


Savoir se définir

Puisque le développement, fait total par excellence, implique le culturel, il suppose une option fondamentale : la construction de soi ou, comme on aime le répéter, la « conversion des mentalités ». Entre le maintien inconditionnel de la tradition hautement civilisatrice, certes, mais incompatible avec les exigences de l’économie moderne et son rejet systématique tel que l’exigent certains marxistes, il peut y avoir place pour une solution plus efficace et plus constructive. Or, dès avant l’indépendance, la « situation coloniale » a laissé place à la « situation condominiale » caractérisée par le dualisme ancien-moderne déjà dénoncé à propos de l’économie : un tel déchirement ne saurait évidemment être érigé en système. Si bien que l’Africain d’aujourd’hui doit éviter trois obstacles : le maintien du passé, sa condamnation totale, l’acceptation passive du dualisme actuel. Il y a là une tâche particulièrement délicate. Disloqué par une alternative qu’aucune création originale ne vient dépasser, coupé de sa tradition, mal adapté aux nouveaux besoins du monde moderne, l’Africain conscient doit pourtant refuser de se laisser imposer artificiellement une culture bâtie hors d’Afrique et chercher à se mettre en état de retrouver, ou de créer une nouvelle culture, c’est-à-dire une nouvelle manière de s’exprimer. Il s’agit d’emprunter à la tradition et à l’Occident, tout en les dépassant au profit d’une synthèse originale et dynamique. Développer l’Afrique, ce n’est pas seulement rompre avec l’impérialisme, planifier, injecter des capitaux, rajeunir les techniques, diversifier les cultures, introduire l’industrialisation, c’est encore travailler à l’unité africaine, c’est surtout créer une culture profondément enracinée dans les masses populaires et capable de dominer la civilisation technicienne. Après la négritude, qui n’est peut-être qu’un mode de réaction anticolonialiste et surcompensatoire, la néo-négritude animera l’Africain de demain.

Cette construction de la personnalité africaine de demain exige une réforme profonde du système éducatif, non seulement dans les programmes et les méthodes, encore calqués sur ceux d’Europe, mais surtout dans les fins : créer désormais des hommes utiles et non plus des diplômés sans emploi ; faire des citoyens responsables et non des revendicateurs aigris. Elle suppose encore l’élaboration d’une idéologie réaliste et populaire qui justifiera les décisions gouvernementales et expliquera les comportements collectifs.

Il est bien sûr difficile de se prononcer sur l’avenir socio-économique de l’Afrique. D’abord parce que celui-ci lui échappe partiellement (fluctuations économiques internationales, détérioration des termes de l’échange). Ensuite parce que l’inventaire des richesses est loin d’être achevé (la découverte de l’uranium peut transformer un pays jusqu’ici déshérité comme le Niger) et que les indépendances authentiques ne sont pas toutes acquises (Afrique portugaise, Sud-Ouest africain). Enfin, l’instabilité politique qui règne toujours demeure responsable des imprévisibles changements d’orientation idéologique. Les aléas de la conjoncture internationale et l’avènement encore récent des États négro-africains à l’indépendance ne permettent pas de pronostic sérieux.

L.-V. T.

 Cheikh Anta Diop, les Fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire (Présence africaine, 1960). / R. Dumont, L’Afrique noire est mal partie (Éd. du Seuil, 1962). / J. Ziegler, Sociologie de la nouvelle Afrique (Gallimard, 1964). / M. Rodinson, Islam et capitalisme (Éd. du Seuil, 1966). / L’Afrique en devenir (« Prospective », no 13, P. U. F., 1966). / L.-V. Thomas, le Socialisme et l’Afrique (le Livre africain, 1966-67, 2 vol.). / M. Merle et coll., l’Afrique noire contemporaine (A. Colin, 1968). / B. Vinay, L’Afrique commerce avec l’Afrique (P. U. F., 1968). / Y. Bénot, Idéologies des indépendances africaines (Maspero, 1969). / J.-P. N’Diaye, Élites africaines et culture occidentale (Présence africaine, 1969) ; la Jeunesse africaine face à l’impérialisme (Maspero, 1971). / P. Gourou, l’Afrique (Hachette, 1970). / S. Amin, l’Afrique de l’Ouest bloquée. L’économie politique de la colonisation, 1880-1970 (Éd. de Minuit, 1971).


La découverte de l’Afrique

Toute la bordure septentrionale de l’Afrique a été plus ou moins intégrée à la zone d’influence des grandes civilisations de l’Antiquité : les rivages méditerranéens du continent étaient bien connus. Puis les Arabes acquirent une connaissance précise de l’intérieur, jusqu’aux grands empires noirs de l’Afrique occidentale. Ils connurent également fort bien les côtes orientales, qui ne furent pas non plus ignorées des Chinois. Pour les Européens, l’Afrique resta longtemps un « continent mystérieux », dont seules les côtes atlantiques, pourvoyeuses d’esclaves, étaient visitées. L’exploration de l’intérieur ne se fera systématiquement, par eux, que tard dans le xixe s. et précédera de très peu l’entreprise coloniale.