Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Camus (Albert) (suite)

Une vie

En 1871, la famille Camus opte pour la France et, quittant l’Alsace, va s’installer en Algérie. Le fils, Lucien, ouvrier agricole, épouse Catherine Sintès, Espagnole de Majorque. Deux garçons naissent de cette union.

Albert, le second, voit le jour à Mondovi, près de Constantine, le 7 novembre 1913. Il n’a pas un an lorsque son père est mortellement blessé à la première bataille de la Marne : « [...] mort au champ d’honneur, comme on dit. En bonne place, on peut voir dans un cadre doré la croix de guerre et la médaille militaire » (l’Envers et l’endroit).

La jeune veuve s’installe avec ses deux enfants et sa mère à Alger, dans le quartier des pauvres, faisant des ménages pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle « donne son argent à sa mère. Celle-ci fait l’éducation des enfants avec une cravache. Quand elle frappe trop fort, sa fille lui dit : « Ne frappe pas sur la tête », parce que ce sont ses enfants, et elle les aime bien. »

De 1918 à 1923, Camus fréquente l’école primaire communale du quartier Belcourt, où un instituteur, Louis Germain, discerne les aptitudes du petit Albert et se consacre à lui, remplaçant le père. L’enfant réussit au concours des bourses de l’enseignement secondaire : il entre alors au lycée Mustapha d’Alger. Il est respecté de ses condisciples à cause de ses multiples talents, qui font oublier sa pauvreté ; on l’appelle affectueusement « le petit Prince » ; avec son professeur Jean Grenier naît une amitié qui durera jusqu’à la mort. Bachelier, Camus commence la classe de lettres supérieures, vivant avec intensité sur tous les plans, lorsqu’il est atteint par la tuberculose : « Une grave maladie m’ôta provisoirement la force de vie qui, en moi, transfigurait tout » (Carnets).

Grâce à des prêts d’honneur, il peut cependant reprendre ses études et s’inscrit à la section de philosophie de l’université d’Alger ; il obtient un diplôme d’études supérieures sur le sujet Néo-platonisme et pensée chrétienne. Mais l’université n’est pas pour lui une tour d’ivoire : il exerce divers métiers, se marie, divorce peu après ; il adhère au parti communiste, puis démissionne lors du pacte entre Staline et Pierre Laval ; il fonde la maison de la culture d’Alger et la troupe « Théâtre du travail ».

Pour cette troupe, avec plusieurs camarades, il compose un drame antifasciste, Révolte dans les Asturies, devenant ainsi un écrivain engagé. Les représentations sont interdites par le gouvernement général. Dès ce moment, l’œuvre et la vie de Camus se confondent dans la naissance d’un « message ».

En 1937, il publie un recueil de nouvelles autobiographiques et symboliques auquel il travaille depuis plus de deux ans : « Pour moi, je sais que ma source est dans l’Envers et l’endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction. » Mais Pascal Pia l’engage comme journaliste à Alger républicain, et Camus apprend son métier, écrivant des articles dans tous les genres. Il publie notamment un compte rendu de la Nausée, admirant le talent de Sartre, mais déplorant sa perspective de la vie. Il donne alors un second recueil de nouvelles, Noces, écho du premier (« Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure »), puis, avec quelques amis, il fonde la revue Rivages, qu’il veut consacrer à une certaine forme de civilisation, aux antipodes de celle de Sartre : « Ce goût triomphant de la vie, voilà la vraie Méditerranée. » Il fait alors la connaissance de Malraux, mais, à la suite d’un reportage sur la misère en Kabylie, il doit quitter l’Algérie. En mai 1940, à Paris, il termine l’Étranger, vivotant d’un modeste emploi à la rédaction de France-Soir. En juin, il se replie avec le journal à Clermont-Ferrand, où il rédige l’essentiel du recueil le Mythe de Sisyphe. Vers la fin de l’année, il épouse Francine Faure, une Oranaise. En 1941, il retourne en Algérie, à Oran, où il met la dernière main au Mythe de Sisyphe, puis il entame la Peste. Rentré en France vers la fin de l’année, il se jette dans la Résistance active : « C’était un matin, à Lyon, et je lisais dans un journal l’exécution de Gabriel Péri. » Il participe aux activités du réseau « Combat » pour la collecte de renseignements et l’organisation de la presse clandestine.

Sur les instances de Malraux, les éditions Gallimard publient l’Étranger en juillet 1942. Mais Camus a une grave rechute de tuberculose, et il se prépare à rejoindre Francine à Oran pour sa convalescence, lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Le couple restera séparé jusqu’à la Libération.

La parution du recueil d’essais philosophiques le Mythe de Sisyphe (1943) est marquée par le succès et l’incompréhension. Nombre de critiques rapprochent de la pensée de Sartre un ouvrage où Camus écrit : « Je prends ici la liberté d’appeler suicide philosophique l’attitude existentielle. »

Camus devient cependant le délégué de « Combat » dans la fusion des mouvements de Résistance ; il publie clandestinement deux Lettres à un ami allemand et, le 24 août 1944, pendant les batailles de rues pour la libération de Paris, donne l’éditorial du premier numéro du journal Combat, sorti de la clandestinité. Tandis que Marcel Herrand crée, au théâtre des Mathurins, avec Maria Casarès dans le rôle de Martha, le Malentendu, qui connaît un semi-échec, Camus, codirecteur de Combat, veut donner au journal, et à toute la presse issue de la Libération, un visage nouveau : « Pour des hommes qui, pendant des années, écrivant un article, savaient que cet article pouvait se payer de la prison et de la mort, il est évident que les mots avaient une valeur et qu’ils devaient être réfléchis » (Actuelles I). En septembre 1945 naissent ses deux enfants, Jean et Catherine Camus. Quelques jours plus tard, la première de Caligula au théâtre Hébertot est un triomphe, mais on ne sait pas très bien si le succès est dû au texte de la pièce ou à la révélation, dans le rôle principal, d’un acteur de génie, Gérard Philipe. L’année suivante, Camus, qui a eu quelques difficultés avec le F. B. I., est accueilli chaleureusement par les universités américaines. Il se charge de la publication des œuvres inédites de Simone Weil, mais il n’arrive pas à faire prévaloir ses vues à la direction de Combat, avec lequel il rompt lors de sa prise de position contre la répression d’une révolte à Madagascar par l’armée française : c’est un échec personnel et la mort d’un idéal. En juin 1947, la Peste reçoit dès sa publication un accueil enthousiaste de la critique et du public, mais Camus semble n’éprouver qu’une sorte de désenchantement.

Cet état d’esprit est renforcé par un voyage en Algérie, suivi de l’échec, au théâtre Marigny, de l’État de siège, mis en scène par J.-L. Barrault. Camus voyage au Brésil en 1949. Dès son retour, à la fin août, il doit s’aliter et ne se relève que le 15 décembre, pour assister à la première de sa pièce les Justes, qui remporte un succès.

Affaibli, il travaille au ralenti, publie un recueil de ses articles Actuelles I. Puis un second ensemble d’essais philosophiques paraît sous le titre de l’Homme révolté, origine d’une vaste, longue et amère polémique.

Camus fait en 1952 un nouveau séjour en Algérie et, à son retour, rompt définitivement avec Sartre. Il met en chantier des nouvelles et adapte pour la scène les Possédés, de Dostoïevski.

Après Actuelles II (1953), il réunit des textes écrits depuis 1939 sous le titre de l’Été (1954) : « Ce monde est empoisonné de malheurs et semble s’y complaire. Il est tout entier livré à ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur. N’y prêtons pas la main. Il est vain de pleurer sur l’esprit, il suffit de travailler pour lui. »

Le 22 janvier 1956, il lance à Alger un courageux Appel pour une trêve civile en Algérie : « Pour intervenir sur ce point, ma seule qualification est d’avoir vécu le malheur algérien comme une tragédie personnelle et de ne pouvoir, en particulier, me réjouir d’aucune mort, quelle qu’elle soit. »

En septembre, il met en scène au théâtre des Mathurins son adaptation de Requiem pour une nonne, de William Faulkner, et publie son dernier roman, la Chute.

En 1957, il donne un nouveau recueil de nouvelles, l’Exil et le royaume. Le 17 octobre, il reçoit le prix Nobel. Il dédie ses Discours de Suède à l’instituteur Louis Germain. Mais Actuelles III, recueil des articles sur l’Algérie, souffre d’une conspiration du silence. Camus fait un nouveau voyage en Grèce ; sa santé donne de nouveau de l’inquiétude.