Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cambodge (suite)

Un grand roi allait pour un temps reprendre le gouvernement de son pays, le prince Ang Duong, frère cadet du roi Ang Chan II. Couronné à la fin de l’année 1847 après une période de batailles, sur le territoire cambodgien, entre les armées siamoises et vietnamiennes, et après l’élaboration difficile d’un traité conclu entre les trois parties, Siam, Viêt-nam et Cambodge, le roi Ang Duong fut assez lucide pour comprendre que ce répit ne pouvait qu’être temporaire et que le destin de son pays le conduirait, à plus ou moins brève échéance, à une absorption pure et simple par ses deux voisins rivaux, avec le Mékong pour ligne de partage.

Il semble que, jusqu’alors, malgré l’apparition des étrangers, en particulier celle des Occidentaux (Portugais, Espagnols, Hollandais, Anglais et Français), dans le Sud-Est asiatique, le Cambodge soit resté étonnamment centré sur ses problèmes intérieurs, trop graves et trop urgents il est vrai pour lui permettre une politique d’ouverture. Le contexte international de l’histoire ne s’en développait pourtant pas moins à proximité du Cambodge : les guerres anglo-birmanes, l’influence anglaise au Siam, les entreprises françaises au Viêt-nam et au Laos, en un mot le processus d’une rivalité politique franco-anglaise dans les pays de l’Asie méridionale donnait une dimension nouvelle aux luttes qui ensanglantaient le Cambodge, terrain de bataille entre le Siam et le Viêt-nam.

Le roi Ang Duong décida en 1854 d’envoyer un émissaire auprès du consul de France installé à Singapour, afin d’attirer l’attention de la France sur la situation de son pays. L’envoyé était porteur d’une lettre adressée à Napoléon III, rédigée par le roi sur les conseils de Mgr Miche, alors vicaire apostolique du Cambodge.

En 1855, Charles de Montigny, ministre chargé de mission au Siam et en Chine, reçut de Napoléon III l’ordre de répondre à la requête du roi Ang Duong en concluant avec lui un traité de commerce et d’alliance. Mais la maladresse du ministre et les embûches dressées par les Siamois firent échouer ce projet. Déçu et fatigué, Ang Duong demanda à la cour de Bangkok de lui renvoyer son fils aîné, le prince Norodom. Il écrivit une seconde lettre à Napoléon III, se contentant de lui signaler que les territoires annexés par le Viêt-nam étaient « vraiment terres cambodgienne ».

Norodom succéda à son père en 1859 et dut faire face aussitôt à une rébellion de son frère, le prince Votha. Ce n’est qu’avec l’aide de Mgr Miche que Norodom, qui s’était réfugié au Siam, put revenir dans sa ville d’Oudong, en 1862. Le 11 août 1863, le roi plaça son royaume sous la protection de la France et, en 1864, se fit solennellement sacrer à Phnom Penh, qui redevint capitale royale.


Le protectorat français

À travers ces vicissitudes, la culture cambodgienne avait cependant survécu. Le bouddhisme de l’école du Sud, le hīnayāna, ou theravāda, était la religion nationale, représentée par un clergé hiérarchisé, fortement implanté. Les pagodes, ou vat, étaient non seulement des temples et des monastères, mais aussi des écoles où les jeunes Cambodgiens, traditionnellement tenus de faire un stage religieux, apprenaient la lecture, l’écriture, les textes sacrés et les principes moraux. La construction des grands monuments avait cessé, mais partout s’élevaient des stūpa, ou reliquaires bouddhiques. Le théâtre, la danse et la musique, les thèmes de la littérature populaire, contes, légendes et chansons, avaient continué sinon de s’épanouir, tout au moins de se maintenir à l’abri de contaminations extérieures.

Avec l’avènement du roi Norodom Ier (1859-1904), une véritable renaissance cambodgienne s’amorça, en même temps qu’une ouverture du Cambodge à des influences nouvelles. Norodom avait été profondément « siamisé » à la cour de Bangkok, et c’est lui qui introduisit dans son pays la congrégation siamoise des bonzes thommayuth, « attachés à la doctrine ». D’autre part, il voyagea en Extrême-Orient, découvrit le développement du commerce européen dans les mers du Sud. Frappé de la stagnation du Cambodge dans le contexte asiatique, il promulgua en 1877 une série d’ordonnances tendant à réformer l’administration provinciale, à réorganiser le système fiscal, la magistrature, l’enseignement, les privilèges et les charges des membres des trois maisons princières constituant la maison royale. Enfin, il abolit l’esclavage.

Mais ces réformes n’allèrent pas sans susciter une résistance de la part de nombreux mandarins. C’est alors que Jules Ferry, président du Conseil, mal informé des réalités cambodgiennes, ou orienté par des rapports tendancieux, décida de donner à la tutelle de la France l’aspect officiel d’un véritable protectorat, et chargea Charles Thompson, gouverneur de la Cochinchine, de mettre en place les nouvelles institutions.

Le résultat de cette opération fut catastrophique au début : le roi Norodom crut que le gouvernement français n’avait d’autre but que de supprimer la royauté au Cambodge et d’instaurer une colonie. Un véritable coup de force fut monté par Thompson en juin 1884. Une insurrection s’ensuivit, qui dura de novembre 1884 à janvier 1887, s’étendit à tout le pays et opposa douloureusement Cambodgiens et Français sur un malentendu.

Le gouvernement français ne tarda pas à reconnaître son erreur. Une politique nouvelle, l’acquiescement du roi, le respect de la France pour les institutions khmères devaient créer en 1887 l’unanimité nationale. Bien plus, c’est au lendemain de cette épreuve que semblent s’être instaurés un profond sentiment d’unité khmère et la volonté d’intégrer le pays dans un programme de développement moderne.

Sous le règne de Sisovath (de 1904 à 1927), frère cadet de Norodom, le Cambodge, avec l’aide de la France, réussit à reconquérir une partie des territoires annexés par le Siam. Famines, épidémies, guérillas, incidents de frontières furent relégués dans le passé. L’originalité même de la civilisation khmère fut mise en lumière par la France. L’œuvre accomplie notamment par les archéologues de l’École française d’Extrême-Orient est l’une des plus belles œuvres culturelles qui aient jamais été menées à bien.