Calder (Alexander) (suite)
Les « mobiles »
L’année suivante, en effet, Calder expose, galerie Vignon, ses premiers mobiles (ainsi baptisés par Marcel Duchamp*), dont la moitié (soit une quinzaine environ) sont actionnés par un moteur que le visiteur, à son gré, peut mettre en marche. L’exposition fait sensation, non sans raison, puisque Calder, dans une voie différente de celle de Moholy-Nagy* (le précurseur du lumino-cinétisme), a abouti là où les constructivistes russes avaient échoué une douzaine d’années auparavant. Surtout à partir du moment où le sculpteur américain découvre que la présence des moteurs n’est pas indispensable et même nuit au lyrisme de sa démarche. Le principe du mobile s’affirme bientôt dans son extrême simplicité : c’est une peinture constituée d’un ensemble de plans coloriés (le noir, le rouge et le blanc dominent), qui ne devient sculpture qu’à la faveur du mouvement. Si ce mouvement est imposé par un moteur, le mobile connaît deux états opposés, selon que le moteur fonctionne ou non : la vie et la mort. Si, au contraire, la sculpture est animée comme les feuilles d’un arbre le sont par le vent, la rupture n’intervient jamais, et il y a continuité entre les phases de calme et d’agitation de l’air : l’œuvre suggère alors un perpetuum mobile extrêmement fluide, quelque chose comme une vie éternelle. Techniquement, cela implique non seulement une étude subtile du centre de gravité de la sculpture, que celle-ci soit suspendue au plafond ou qu’elle possède un pied, mais aussi une claire estimation de la figure à trois dimensions que créera le mobile en mouvement. D’où tout un jeu délicat de relations entre les formes et les couleurs des éléments découpés dans la tôle et réunis par des fils de fer, cette ferraille, une fois animée, ayant la rare propriété de se transformer en poésie pure.
Les « stabiles »
L’instinct de Calder a dû le prémunir de bonne heure contre l’excès de charme de ses mobiles, auxquels il doit de jouir d’une popularité dont n’approche aucun autre sculpteur moderne. Ses stabiles (baptisés cette fois par Arp) semblent en prendre exactement le contre-pied : non seulement ils ne bougent pas et se donnent d’emblée comme sculptures, mais ils sont pesants, généralement noirs, volontiers énormes et menaçants. Monstrueux chiens de garde, papillons funèbres colossaux, noires araignées malintentionnées. Il convient de remarquer que si les stabiles sont à peu de chose près contemporains des mobiles, les premiers furent beaucoup plus longs que les seconds à trouver leur statut. Sans doute l’agressivité était-elle moins nécessaire à Calder que la grâce ! L’opposition et la complémentarité des deux formules peuvent être aussi ressenties comme un dialogue entre le matériel et le spirituel. Mais, récemment, les cas de combinaison entre les deux types se sont multipliés : leurs implications antagonistes font bon ménage dans la vie comme dans l’œuvre de Calder, le bon géant qui a un pied en Amérique (à Roxbury, Connecticut) et l’autre en France (à Saché).
J. P.
J. J. Sweeney, Alexander Calder (New York, 1943 ; trad. fr. Calder, l’artiste et l’œuvre, Maeght, 1972). / Calder, Catalogue d’exposition (Musée national d’art moderne, Paris, 1965). / H. H. Arnason, Calder (Princeton, 1966). / A. Calder, An Autobiography (New York, 1966 ; trad. fr. Autobiographie, Maeght, 1972). / G. Carandente, Calder, mobiles et stabiles (A. Michel, 1968). / M. Bruzeau et J. Masson, Calder à Saché (Cercle d’art, 1975).