Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Calder (Alexander) (suite)

Les « mobiles »

L’année suivante, en effet, Calder expose, galerie Vignon, ses premiers mobiles (ainsi baptisés par Marcel Duchamp*), dont la moitié (soit une quinzaine environ) sont actionnés par un moteur que le visiteur, à son gré, peut mettre en marche. L’exposition fait sensation, non sans raison, puisque Calder, dans une voie différente de celle de Moholy-Nagy* (le précurseur du lumino-cinétisme), a abouti là où les constructivistes russes avaient échoué une douzaine d’années auparavant. Surtout à partir du moment où le sculpteur américain découvre que la présence des moteurs n’est pas indispensable et même nuit au lyrisme de sa démarche. Le principe du mobile s’affirme bientôt dans son extrême simplicité : c’est une peinture constituée d’un ensemble de plans coloriés (le noir, le rouge et le blanc dominent), qui ne devient sculpture qu’à la faveur du mouvement. Si ce mouvement est imposé par un moteur, le mobile connaît deux états opposés, selon que le moteur fonctionne ou non : la vie et la mort. Si, au contraire, la sculpture est animée comme les feuilles d’un arbre le sont par le vent, la rupture n’intervient jamais, et il y a continuité entre les phases de calme et d’agitation de l’air : l’œuvre suggère alors un perpetuum mobile extrêmement fluide, quelque chose comme une vie éternelle. Techniquement, cela implique non seulement une étude subtile du centre de gravité de la sculpture, que celle-ci soit suspendue au plafond ou qu’elle possède un pied, mais aussi une claire estimation de la figure à trois dimensions que créera le mobile en mouvement. D’où tout un jeu délicat de relations entre les formes et les couleurs des éléments découpés dans la tôle et réunis par des fils de fer, cette ferraille, une fois animée, ayant la rare propriété de se transformer en poésie pure.


Les « stabiles »

L’instinct de Calder a dû le prémunir de bonne heure contre l’excès de charme de ses mobiles, auxquels il doit de jouir d’une popularité dont n’approche aucun autre sculpteur moderne. Ses stabiles (baptisés cette fois par Arp) semblent en prendre exactement le contre-pied : non seulement ils ne bougent pas et se donnent d’emblée comme sculptures, mais ils sont pesants, généralement noirs, volontiers énormes et menaçants. Monstrueux chiens de garde, papillons funèbres colossaux, noires araignées malintentionnées. Il convient de remarquer que si les stabiles sont à peu de chose près contemporains des mobiles, les premiers furent beaucoup plus longs que les seconds à trouver leur statut. Sans doute l’agressivité était-elle moins nécessaire à Calder que la grâce ! L’opposition et la complémentarité des deux formules peuvent être aussi ressenties comme un dialogue entre le matériel et le spirituel. Mais, récemment, les cas de combinaison entre les deux types se sont multipliés : leurs implications antagonistes font bon ménage dans la vie comme dans l’œuvre de Calder, le bon géant qui a un pied en Amérique (à Roxbury, Connecticut) et l’autre en France (à Saché).

J. P.

 J. J. Sweeney, Alexander Calder (New York, 1943 ; trad. fr. Calder, l’artiste et l’œuvre, Maeght, 1972). / Calder, Catalogue d’exposition (Musée national d’art moderne, Paris, 1965). / H. H. Arnason, Calder (Princeton, 1966). / A. Calder, An Autobiography (New York, 1966 ; trad. fr. Autobiographie, Maeght, 1972). / G. Carandente, Calder, mobiles et stabiles (A. Michel, 1968). / M. Bruzeau et J. Masson, Calder à Saché (Cercle d’art, 1975).

Calderón de la Barca (Pedro)

Poète dramatique espagnol (Madrid 1600 - id. 1681).


Il est né d’une famille où se mêle au sang castillan de la Montaña (près de Santander) le sang d’ancêtres wallons venus du Hainaut (autour de Mons). Cette famille appartient aux classes moyennes lettrées, qui s’arrogent alors en Espagne le statut de la noblesse et sans doute défendent leurs récents privilèges et leur échelle de valeurs avec une ferveur et une intransigeance que l’on ne trouve certes pas dans la haute aristocratie. Le jeune Pedro fait ses études au Collège impérial des Jésuites (à Madrid), excellente école tant pour les humanités que pour l’orthodoxie sociale et religieuse. Un oncle lui réservant certaine part dans les bénéfices d’une chapellenie, il est envoyé à l’université d’Alcalá de Henares (1614). À la mort de son père (1615), il passe à l’université de Salamanque, où il fait son droit canon.

L’année 1620 marque l’éveil de sa vocation littéraire : il participe à un concours poétique en l’honneur de saint Isidore le Laboureur, patron de Madrid. Mais une mauvaise affaire, une rixe dans la rue suivie de mort d’homme, le contraint à vendre avec ses frères une charge de greffier de finance (1622) et à prendre du service auprès du connétable de Castille. Ainsi commence sa longue carrière de courtisan. En 1623, Calderón donne sa première comédie, Amor, honor y poder (l’Amour, la puissance et l’honneur). Il écrit dès lors pour la scène du palais royal.

Mais le jeune caballero n’a pas fini de jeter sa gourme. Au cours d’une nouvelle rixe, il viole la clôture d’un couvent de religieuses. Un célèbre prédicateur bien en cour saisit l’occasion pour fulminer contre le monde du théâtre et le théâtre lui-même, tanière de tous les vices. Calderón lui réplique dans sa comédie El príncipe constante (le Prince martyr), sans doute plus profondément efficace qu’un sermon de style baroque. Vers ces mêmes années (1629), il « dépeint » dramatiquement la célèbre Rendición de Breda (siège et reddition de Breda, aux Pays-Bas), que Vélasquez avait déjà célébrée dans son tableau les Lances.

En 1635, le roi lui demande d’inaugurer, par une fête à grand spectacle, son nouveau palais du Buen Retiro. À cette occasion, Calderón brise les conventions de la comédie traditionnelle, celle de Lope de Vega, qui rappelait encore les tréteaux populaires. En effet, dans El mayor encanto, Amor (l’Amour magicien, 1635), la musique, les décors et les costumes jouent avec le texte pour faire un ensemble cohérent et une représentation complète, à la fois spectacle et littérature. Il s’agissait des tentations d’Ulysse et de ses compagnons matelots dans l’île où régnait Circé avec ses nymphes.

Le roi accorde alors à Calderón la cape et l’épée de l’ordre de Saint-Jacques (1636-37), et Calderón amorce une carrière militaire. Il se bat contre les Français de Richelieu à Fontarabie (1638) et leurs alliés, les Catalans révoltés, à Tarragone et ailleurs (1640-1642). Retiré de l’armée, il passe au service du duc d’Albe.

Or, depuis 1634 au moins, il écrivait des « autos sacramentales », ces représentations allégoriques en l’honneur du saint sacrement que les municipes des villes et des villages donnaient chaque année à l’occasion de la Fête-Dieu. Là encore, il renouvelle le genre en recourant à une mise en scène italienne (machinerie) et à la musique.

De 1644 à 1648 et au-delà, les théâtres ferment leurs portes pour marquer tant les deuils dans la famille royale que l’effondrement de l’État depuis la terrible défaite de Rocroi (1643). Calderón se tait.