Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Buxtehude (Dietrich) (suite)

C’est également vers l’Italie que Buxtehude se tourne lorsqu’il écrit des sonates à trois d’un style corellien. Pour le clavecin, il a laissé 2 toccate, 5 airs variés et 19 suites qui relèvent de l’esthétique française. Dans la musique d’orgue, on trouve trois types d’œuvres : des préludes et des fugues, des chorals, des canzoni et des canzonettes ; ces dernières disent avec quelle application Buxtehude a lu ricercari et canzoni vénitiens, et combien il aime à se tenir à la rigueur de l’écriture polymélodique des Italiens. Il conçoit le choral d’orgue de trois manières, car, s’il écrit comme les organistes du Nord des variations sur des thèmes de choral — variations qui, par l’intermédiaire de J. A. Reinken, des. Scheidt et de J. P. Sweelinck, remontent jusqu’aux virginalistes anglais —, il a beaucoup exploité le prélude de choral ornant plus ou moins le thème au soprano et il s’est également complu dans un commentaire du choral qui relevait de la pure fantaisie. Les grandes œuvres décoratives, enfin, appartiennent au système de la chaconne, de la passacaille et finalement du prélude et de la fugue. Le prélude est fait d’une alternance d’éléments récitatifs et de fragments polyphoniques fondés sur un même thème. La fugue, qui suit, comporte une série d’expositions avec ou sans contre-sujet ; elle ne profite pas encore de l’organisation formelle que Bach saura lui donner. En somme, tout en appartenant à l’école du nord de l’Allemagne, Buxtehude n’oublie pas l’effort des organistes de l’Allemagne du Sud : il reconnaît qu’il leur doit quelque chose. Toute son œuvre instrumentale, comme celle de Johann Jakob Froberger, tend à une synthèse entre les trois esthétiques allemande, française et italienne. En cela, Buxtehude fait partie des plus grands précurseurs de J.-S. Bach.

N. D.

 A. Pirro, Buxtehude (Fishbacher, 1913). / W. Stahl, Dietrich Buxtehude (Berlin, 1937 ; 2e éd., 1952). / N. Dufourcq, Bach, le maître de l’orgue (Floury, 1948).
On peut également consulter la notice d’O. Alain sur l’Œuvre d’orgue de Buxtehude (intégrale de l’œuvre d’orgue enregistrée, Erato, 1970).

Buzzati (Dino)

Écrivain italien (Belluno 1906 - Milan 1972).


L’œuvre de Buzzati est là pour nous rappeler qu’il existe, en marge des courants réalistes et néo-réalistes, tout un filon fantastique de la littérature italienne contemporaine. Si Buzzati en est le représentant le plus connu, notamment en France, il ne doit pas faire oublier les noms d’Anna Banti, de Nicola Lisi, de Tommaso Landolfi, de Giuseppe Dessi, d’Italo Calvino et, plus récemment, d’Emilio De’ Rossignoli, écrivains dont l’imagination est plus originale et l’écriture plus rigoureuse. Sans doute, à cet égard, est-il excessif d’aller chercher, comme on l’a fait, des parentés à l’œuvre de Buzzati du côté de Poe, d’E. Jünger et de Kafka. Plutôt qu’un métaphysicien, Buzzati pourrait être défini comme un technicien de l’angoisse et du bizarre, et son œuvre innove moins qu’elle n’illustre, avec une incontestable habileté, un genre d’emprunt. Le parallèle, parfois suggéré, avec Julien Gracq paraît déjà plus pertinent, surtout à propos du roman le Désert des Tartares (1940), qui valut à Buzzati la célébrité et dont le thème et le décor, en dépit d’une écriture beaucoup plus dépouillée, évoquent d’assez près le Rivage des Syrtes. Ses deux romans précédents, Barnabo des montagnes (1933) et le Secret du Bosco Vecchio (1935), créaient au contraire une atmosphère de fable nordique par un paysage grandiose de cimes neigeuses et de forêts, peuplées de forces mystérieuses qui, d’un roman à l’autre, finissaient par s’incarner, non sans quelque volontaire cocasserie, en autant de génies et de créatures magiques. Mais déjà la structure de Barnabo met en jeu quelques-uns des thèmes qui inspireront à Buzzati ses récits les plus personnels : l’attente vide, la déception et le renoncement, la peur irréductible à l’analyse de ses causes, l’élucidation du mystère conçue comme profanation. Il en est ainsi, avec I Sette Messaggeri, Paura alla Scala, Il Crollo della Baliverna, L’Uccisione del drago, récits publiés dans les recueils homonymes : I Sette Messaggeri (1942), Paura alla Scala (1949), Il Crollo della Baliverna (1954), rassemblés en 1968 sous le titre général Sessanta Racconti, traduit en français par les Sept Messagers. En 1963, Buzzati publie coup sur coup En ce moment précis, journal intime pathétique dans sa sécheresse, et Un amour, qui déconcerta la critique par sa description, réaliste jusqu’à la provocation, des amours d’un quinquagénaire et d’une fillette. Entre-temps, l’Image de pierre (Il Grande Ritratto, 1960), roman de science-fiction où se mêlent alchimie et cybernétique, trahissait l’épuisement de la veine fantastique de Buzzati, dont les contes, d’autre part, s’orientent de plus en plus vers la satire politique antimoderniste (le K. [Il Colombre, 1966]).

Mais l’activité de Buzzati, journaliste de profession (au Corriere della Sera de Milan) est loin de se limiter au récit fantastique. On lui doit aussi des fables pour enfants (la Fameuse Invasion des ours en Sicile, 1965), des poésies burlesques (Il Capitano Pic e altre poesie, 1965), des scénarios de cinéma (Il Viaggio di G. Mastorna, en collaboration avec Federico Fellini) et surtout nombre de textes pour le théâtre, dont le plus célèbre est Un cas intéressant (1953), adapté en France par Albert Camus, et plusieurs livrets d’opéra, en un acte, sur des musiques de Luciano Chailly (Procedura penale, 1959 ; Ferrovia sopraelevata, 1955 ; Il Mantello, 1960 ; Era proibito, 1963) et Riccardo Malipiero (Battono alla porta, 1963). Buzzati a également signé des décors de théâtre, notamment pour le Mai musical florentin (1960), la Scala et la Piccola Scala de Milan. Sa vocation figurative est en effet aussi ancienne que sa vocation littéraire. Son œuvre picturale et graphique est d’ailleurs inséparable de son œuvre narrative : non seulement elle en illustre les thèmes ou les prolonge par une imagerie surréaliste, mais elle s’est toujours présentée comme une recherche de la narration par l’image, recherche fondée sur une interaction de l’image et de sa légende, et qui a orienté Buzzati vers une interprétation originale de la bande dessinée : Poèmes bulles (Poema a fumetti, 1969).

J.-M. G.

 M. Brion, Art fantastique (A. Michel, 1961). / M. Esslin, The Theater of the Absurd (Londres, 1962 ; trad. fr., le Théâtre de l’absurde, Buchet-Chastel, 1963). / B. Alfieri, Dino Buzzati pittore (Milan, 1967). / F. Gianfranceshi, Dino Buzzati (Turin, 1967).