Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Busoni (Ferruccio) (suite)

Busoni subit tout d’abord la double influence de Brahms et de Liszt, qui marque la première partie de sa production, couronnée par le monumental Concerto pour piano et orchestre avec chœur d’hommes conclusif (op. 39, 1904), d’inspiration à la fois italienne et allemande. Il conserva sa vie durant un culte pour Bach, dont il opéra d’innombrables transcriptions (les célèbres Bach-Busoni), mais auquel il rendit aussi un hommage dans sa Fantasia contrappuntistica (1910), essai d’achèvement de l’Art de la fugue, qui ne connut pas moins de six versions. Épris de nouveauté, il exprima des vues audacieuses et prophétiques dans son Essai d’une nouvelle esthétique musicale, qui fit sensation et déclencha des polémiques. Dans de brèves mais saisissantes compositions pianistiques (Sonatina seconda, 1912) ou orchestrales (Berceuse élégiaque, 1909 ; Nocturne symphonique, 1912), il s’affirma comme un pionnier de l’atonalité. Mais son sens latin de la clarté et de la mesure l’amena à prôner, surtout à la fin de sa vie, un « nouveau classicisme », dont les maîtres à penser étaient aussi bien Mozart que le Verdi de Falstaff (dont l’influence est nette dans l’opéra Arlecchino), tendance annonçant celle de toute la musique européenne de l’entre-deux-guerres. Le Doktor Faust demeure l’expression la plus complète, à la fois hautaine et bouleversante, de cette personnalité complexe. Cet opéra doit sa puissance d’émotion à son caractère très certainement autobiographique. Busoni ne s’inspira nullement de Goethe, mais du jeu de marionnettes du xvie s., qui est à l’origine de tous les autres Faust. Doué d’un très grand talent littéraire, Busoni, outre les livrets de ses quatre opéras (en allemand), laisse un grand nombre d’essais et d’études d’un intérêt capital.

Les œuvres principales de Busoni

Opéras : Die Brautwahl (1908-1910 ; 1re représentation en 1912), Turandot (1917), Arlecchino (1914-1916 ; 1re représentation en 1917), Doktor Faust (1916-1924 ; représenté en 1925).

Orchestre : Concerto pour violon (1897), Concerto pour piano avec chœur d’hommes (1904), Turandot (suite symphonique, 1904), Berceuse élégiaque (1909), Nocturne symphonique (1912), Fantaisie indienne pour piano et orchestre (1915), Rondo Arlecchinesco (1916), Sarabande et cortège (de Faust) [1919].

Musique de chambre : 2 quatuors, 2 sonates pour violon et piano.

Mélodies : 5 lieder d’après Goethe (1918-1924).

Piano : Élégies (1907-1908), 6 sonatines (1910-1920), Fantasia contrappuntistica (1910-1922), Indianisches Tagebuch (1915), Toccata (1921), Klavierübung (1923).

H. H.

 F. Busoni, Entwurf einer neuen Ästhetik der Tonkunst (Leipzig, 1907). / E. J. Dent, Ferruccio Busoni, a Biography (Londres, 1933). / E. Debusmann, Ferruccio Busoni (Wiesbaden, 1949). / H. H. Stuckenschmidt, Ferruccio Busoni (Zurich, 1967).

Butler (Samuel)

Écrivain anglais (Langar, Nottinghamshire, 1835 - Londres 1902).


Dire « des choses que personne en Angleterre n’ose prononcer, et que cependant il est urgent de faire connaître ». Ainsi peut se schématiser le plan tout entier de la vie et de l’œuvre de Samuel Butler en un siècle aussi solidement installé dans ses institutions et satisfait de lui-même que le fut celui de la reine Victoria. On restreindrait toutefois d’une manière abusive le champ de sa pensée en ne considérant que son aspect négatif, tel qu’on le découvre dans The Way of All Flesh (Ainsi va toute chair, 1903). Par la froide fureur qu’il apporte à y attaquer la cellule familiale au travers du révérend Theobald et de sa femme Christina, il semble avant tout s’y livrer à une tentative désespérée d’exorcisme des « démons » qui ont étouffé sa jeunesse et l’ont conduit jusqu’en Nouvelle-Zélande pour échapper à la contrainte paternelle. D’une portée plus universelle apparaissent les écrits où il fait le procès d’autres valeurs tout aussi solidement éprouvées et consacrées par la tradition. Sa suspicion à l’égard de la théologie se manifeste déjà avec éclat dans Erewhon (1872). Il y dénonce la religion, réduite à des rites, l’Église, qui, oubliant Dieu, se transforme en une quelconque entreprise sociale, et les pasteurs, enlisés dans le temporel et qui bornent leur ministère à vendre en musique, contre espèces, de vagues promesses de bonheur. Poursuivant plus avant son travail de destruction (The Fair Haven [le Bon Port], 1873), il met en doute dans Erewhon Revisited (Retour à Erewhon, 1901) l’essence même de la foi. À son regard, la croyance au surnaturel est fondée sur la superstition et engendre à son tour de nouvelles superstitions. Dans ces deux ouvrages — dont le second connut un succès que n’avait pas laissé prévoir l’accueil fait aux précédents par le grand public —, Samuel Butler ne se borne pas à la seule critique des idées religieuses. À la manière de Swift dans les Voyages de Gulliver, sous le couvert de la peinture d’un monde imaginaire, il va prouver l’absurdité de vérités qui paraissaient définitivement admises, en les présentant sous forme soit transposée, soit inversée, de telle sorte que le lecteur, pris de vertige, voit avec angoisse son monde rassurant se dérober sous ses pieds. C’est ainsi qu’il nous fait le tableau d’une étrange société où les gens riches et heureux reçoivent des récompenses, tandis que les pauvres, les faibles sont punis et où les défauts et les vices se soignent, alors que les maladies sont passibles des rigueurs de la loi. Mais c’est peut-être sa position à l’égard de la science, son grand cheval de bataille pendant trente ans, qui peut sembler la plus intéressante. Ayant cru un moment trouver dans l’Origine des espèces de Darwin la solution de remplacement à la religion, Samuel Butler constate assez vite que cette doctrine de l’évolutionnisme ne le satisfait pas non plus (Life and Habit [la Vie et l’habitude], 1877 ; Evolution Old and New [l’Évolution ancienne et nouvelle], 1879). Il soutient, lui, et avec force, le travail de la mémoire inconsciente, le rôle de l’intelligence en face de la sélection purement mécanique (Unconscious Memory [la Mémoire inconsciente], 1880). En effet, si ses idées, malgré leur caractère explosif et un humour vigoureux proche parent de celui de Bernard Shaw, atteignirent peu le lecteur victorien, plus sensible à l’émotion qu’à la logique cérébrale, le monde moderne a sans doute mieux jugé son génie. Les uns retrouvent des griefs d’une actualité brûlante dans sa satire des structures périmées ou oppressantes de la société, les autres lui savent plus simplement gré d’avoir introduit dans une civilisation trop imbue d’elle-même le sentiment de la relativité de toutes choses.

D. S.-F.

 J. B. Fort, Samuel Butler. Étude d’un caractère et d’une intelligence (Didier, 1936). / G. D. H. Cole, Samuel Butler (Londres, 1952).