Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

burlesque (suite)

Un autre problème consiste à préciser les rapports du burlesque et du réalisme (dont le nom, en tant que tendance littéraire, ne remonte d’ailleurs qu’au xixe s.). Ces deux courants semblent aux antipodes l’un de l’autre si l’on retient, pour le premier nommé, comme il convient de le faire, le caractère de gratuité, mais il est arrivé souvent que l’outrance dans la peinture des réalités quotidiennes ait fait verser l’auteur dans la charge, outre les traits stylistiques communs, par exemple, aux romans de Scarron et de Furetière, d’une part, et, de l’autre, à leurs « petits vers ».

En gros et provisoirement, on peut avancer qu’une œuvre burlesque est une œuvre d’un comique forcé dans le récit, les caractères ou le ton, ou dans tous ces éléments. Certes, Boileau a distingué (Au lecteur, en tête du Lutrin, 1674) deux genres opposés de burlesque et s’est vanté d’être l’initiateur du second, où « une horlogère et un horloger parlent comme Didon et Énée », mais ce genre-là est plus clairement défini, comme on fait généralement de nos jours, par le terme d’héroï-comique (non pas au sens de « juxtaposition », comme faisait Saint-Amant, mais à celui de « comique sous l’allure héroïque ») ; l’action y est mesquine, les personnages médiocres et le ton emphatique. Enfin, ce genre est nécessairement d’intention parodique.


Aperçu historique

C’est au registre qui vient d’être défini qu’appartient le combat des grenouilles et des rats, la Batrachomyomachie, que l’Antiquité osa attribuer à Homère. Au ve s. av. J.-C., le drame satyrique grec, en introduisant dans une action héroïque le chœur bouffon des satyres, pratique le mélange des tons, ce qui paraît essentiel au burlesque au sens strict. À plus forte raison y ressortissent les pièces de la « comédie ancienne », dont Aristophane* est le seul auteur qui nous ait laissé plus que des fragments. On sait qu’on y trouve la fantaisie jointe à la grossièreté, la parodie des tragiques et l’allusion contemporaine, la profusion de l’invention verbale et le comique de mises en scène échevelées : dans les Grenouilles (jouées en 405), Dionysos, le propre dieu des Spectacles, prêt à se rendre dans l’au-delà, cherche à être informé des « ports, boulangeries... hôtelleries chez qui il y a le moins de punaises ». À Rome, les masques grotesques des atellanes faisaient sans doute rire le peuple avant le premier mot de la pièce. Plaute, bien que ses modèles soient pris à la « comédie moyenne » ou à la « comédie nouvelle », plus retenues que l’« ancienne », pour ses moyens parfois assez gros, notamment dans les rôles d’esclaves, mais surtout pour la richesse inventive de sa verve, doit être cité (iiie-iie s. av. J.-C.). Plus tard (ier s. apr. J.-C.), la prose de Pétrone admet, surtout pour caricaturer l’affranchi Trimalcion, l’emploi détonnant du latin vulgaire (le Satyricon). Le Grec de Syrie Lucien (iie s. apr. J.-C.) a écrit, entre autres œuvres, des récits parodiques de voyages dans l’autre monde, où les ombres sont vêtues de toiles d’araignées, où Platon et les stoïciens sont exclus du séjour des bienheureux (Histoire vraie), où les satrapes vendent des harengs et où Philippe de Macédoine exerce le métier de savetier (Nécromancie), renversement de valeurs dont se souviendra Rabelais. C’est également un récit parodié des voyages hors de ce monde que nous offre un curieux récit irlandais (manuscrit du xive s., le texte pouvant être très antérieur) intitulé la Vision de Mac Conglinné, où est décrit un véritable pays de cocagne, thème qu’on trouve aussi dans diverses littératures du Moyen Âge. Burlesques encore sont les récits, ou branches, qui composent le Roman de Renart, par la transposition fantaisiste et plaisante du monde humain dans le règne animal. Les chansons de geste elles-mêmes (que parodie grossièrement le petit poème d’Audigier) contiennent parfois des épisodes destinés à faire rire, notamment quand apparaît Rainouart armé de son tinel (massue). Pour ce qui est du dialogue, et sans parler du monologue comique (par exemple le Dit de l’herberie de Rutebeuf, boniment d’un charlatan, xiiie s.), la fête de l’âne associait, en pleine église, à du latin sérieux un chant français cocasse ; quant à la sotie — censée jouée par des fous, tel est le sens de sots —, elle peut se permettre des extravagances. Dans les mystères eux-mêmes, les soldats, les bourreaux, les diables font souvent rire. Il arrive que l’action du drame religieux soit commentée par un fou, et de quelle façon ! C’est ce personnage qui est le père du clown élisabéthain et du gracioso de la « comédie » espagnole, qui figure jusque dans la Dévotion à la Croix de Calderón. Une mention particulière doit être faite des fatrasies, petits poèmes qui reposent, si l’on peut dire, sur le manque voulu d’enchaînement des mots employés, donc sur l’absurdité.

En Italie, le début du xvie s. offre une variété particulière de burlesque, l’Histoire macaronique (1517) de Merlin Coccaie, pseudonyme de Folengo. C’est une sorte de roman de chevalerie échevelé, où prennent place notamment toute une série de voyages dans d’autres mondes. Ce récit est écrit dans un italien pseudo-latinisé, langue hétéroclite qui constitue une sorte de cas limite du comique linguistique, procédé burlesque très répandu d’Aristophane à nos jours en passant par Plaute, Pathelin, Rabelais, Shakespeare et Molière : on sait qu’il consiste à faire parler des étrangers ou des patoisants dans leur langue, ou bien dans celle du contexte, qu’ils écorchent, ou encore dans des idiomes imaginaires.

Un an avant l’œuvre de Folengo paraissait le Roland furieux, dont le cardinal d’Este devait caractériser, un peu vertement, ce que nous nommerions des inventions « farfelues », telle la description de la Lune, où Astolphe va chercher la raison perdue de Roland.

Rabelais est évidemment un des maîtres du burlesque ; ses récits cumulent la parodie, l’outrance, la fantaisie inventive et l’étonnante invention verbale, le tout destiné, quel que soit souvent le sérieux des idées émises, à provoquer, comme chacun sait, le rire, « propre de l’homme ».