Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afghānistān (suite)

Les régions méridionales sont plus contrastées. Au sud-est, des chaînons complexes, de directions variées, divergent de l’Hindū Kūch et vont se raccorder aux monts Sulaymān par la chaîne ouest-est du Safid Kūh (4 760 m), à la frontière pakistano-afghane, où s’ouvre la passe de Khaybar (1 030 m), porte traditionnelle de l’Inde. Ils enserrent entre leurs masses cristallines et primaires de hauts bassins, vers 1 800 m d’altitude (plaines de Kaboul, de Kūh-i Dāman), remplis de dépôts lacustres néogènes. Ces hauts bassins, abrités, médiocrement arrosés (Kaboul, 348 mm) par des pluies de saison froide, ont des températures hivernales assez basses (Kaboul, – 1,3 °C en janvier) ; mais l’été s’y rafraîchit et devient supportable (Kaboul, 24,4 °C en juillet). Les chaînes de l’extrême sud-est reçoivent en été les dernières pluies de la mousson indienne et sont couvertes à l’état naturel d’une forêt humide complexe, où dominent entre 1 200 et 1 800 m des chênes et, au-dessus, jusque vers 3 300-3 500 m, des pins et des déodars.

Au sud-ouest, la dégradation aride est beaucoup plus marquée. Au-delà des chaînes de direction S.-O. - N.-E. qui s’accolent à l’arc montagneux central et l’épaississent, des plaines s’inclinent assez régulièrement vers les profondes cuvettes endoréiques du Sīstān, où va se perdre le fleuve Hilmand, issu de l’Hindū Kūch. Les pluies, de saison froide, dépassent encore 200 mm dans les piémonts (Kandahar, 224 mm ; Harāt, à l’ouest des montagnes centrales près de la frontière iranienne, 231 mm), mais tombent à moins de 100 mm dans la partie centrale des cuvettes (Farāh, dans le Sīstān, 75 mm), dont la végétation est désertique. L’hiver y est assez tiède (Kandahar, moyenne de 5,3 °C en janvier), mais l’été est étouffant (Kandahar, 31,5 °C et Farāh, 34,4 °C en juillet).


Les populations et les genres de vie

L’Afghānistān est une extraordinaire mosaïque de peuples. Les différentes ethnies correspondent pour une part à des régions naturelles bien individualisées, mais se chevauchent également largement. Elles expriment surtout des épisodes successifs de l’évolution culturelle et anthropo-géographique du pays.

Les Afghans proprement dits (ou Pathans) parlent le pachto, langue du groupe iranien. Ils occupent toutes les régions méridionales du pays, au sud et au sud-ouest de l’Hindū Kūch, et débordent largement au-delà de la frontière pakistanaise (un tiers environ de l’ethnie se trouve au Pākistān, d’où le problème du « Pachtūnistān » [ou « Paṭhānistān »] posé par l’existence de ces éléments irrédentistes à l’intérieur du Pākistān). Ils constituent 50 à 55 p. 100 de la population de l’Afghānistān. L’ethnie afghane s’est individualisée sans doute à la suite de l’expulsion, vers les déserts du sud du pays, de populations originellement agricoles et sédentaires de l’arc montagneux central ; chassées par le contrecoup des invasions mongoles, elles durent passer au nomadisme dans un milieu beaucoup plus aride. De grandes confédérations nomades, Durrānīs (entre Harāt et Kandahar) et Rhalzays (ou Ghalzays) [entre Kandahar et Kaboul], ont été ainsi à l’origine des principautés afghanes, installées dans les grandes oasis de Kandahar et de Kaboul, d’où devait sortir aux xviiie et xixe s., l’État afghan. Belliqueuses et ayant encore conservé les cadres de la structure tribale, la plus grande partie des populations de langue pachto pratiquent aujourd’hui un semi-nomadisme à court rayon d’action, associé avec l’agriculture irriguée dans les fonds de vallée. On estime qu’il doit subsister encore environ deux millions de grands nomades dans cette partie méridionale du pays.

L’arc montagneux central est occupé par toute une série de groupes dont le trait commun (au moins dans le centre et dans l’est, qui, très élevés, ont constitué un foyer de résistance sédentaire aux pénétrations nomades) est d’être formés d’anciennes populations sédentaires, profondément enracinées dans ces montagnes, où elles pratiquent une agriculture intensive et minutieuse dans les fonds de vallée, associée à une vie pastorale à court rayon sur les pentes voisines. Mais l’Ouest, moins massif, a été beaucoup plus perméable aux nomades, et l’on peut définir toute une gradation entre vieux sédentaires et populations plus mobiles, plus ou moins bédouinisées.

Les Kāfirs, ou Nūristānīs, constituent, dans les montagnes au nord-est de Kaboul, la couche la plus stable et la plus archaïque. Ils parlent une langue du groupe indo-aryen. En petit nombre (sans doute une centaine de milliers de personnes), ils sont cantonnés certainement depuis deux à trois millénaires dans leurs vallées inaccessibles. Restés païens jusqu’à la fin du xixe s. (d’où leur nom traditionnel de kāfir = païen, et le nom de Kāfiristān donné à leur pays), ils ont été soumis à l’État afghan, puis convertis à l’islām, en 1896 seulement, par l’émir ‘Abd al-Raḥmān khān, qui donna alors officiellement à leur contrée le nom de Nūristān (« pays de la lumière »). Depuis cette date ils ont commencé à s’intégrer à la communauté afghane, émigrant notamment vers les villes comme marchands de charbon de bois ou artisans du bois, métiers qu’ils avaient portés à un haut degré de perfection dans leurs vallées restées très boisées.

Les Tadjiks, de langue persane, habitent la plus grande partie de l’Hindū Kūch au nord de Kaboul, ainsi que les provinces du Badakhchān et du Wākhān au nord-est de la montagne, où ils constituent la population primitive.

Les Hazāras, également de langue persane, occupent toute la partie centrale de l’arc montagneux médian, à l’ouest de Kaboul. Ils résultent de la symbiose entre des éléments mongols assez nombreux infiltrés dans la montagne lors des invasions mongoles et un fonds de population agricole autochtone iranienne, qui a réussi à s’imposer et à assimiler linguistiquement et culturellement les envahisseurs. La population hazāra garde cependant beaucoup de traits particuliers, dans son type physique (souvent franchement mongoloïde) et dans son genre de vie : son agriculture est moins savante et moins soignée que celle des Tadjiks, notamment quant aux techniques de fumure et d’irrigation ; sa vie est plus mobile (usage de la yourte de feutre comme habitat temporaire d’été). Cette originalité est renforcée par son appartenance à la secte chī‘ite, alors que la grande majorité des habitants de l’Afghānistān est sunnite. Les Hazāras, comme les Kāfirs, n’ont été soumis à l’autorité afghane que par ‘Abd al-Raḥmān khān à la fin du xixe s. Beaucoup plus nombreux que les Kāfirs (un à deux millions de personnes), ils ont déjà alimenté un fort courant d’émigration vers Kaboul.