Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bulgarie (suite)

Entre les deux guerres

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui s’achève pour la Bulgarie dans un climat de démoralisation et d’espoirs déçus, les lettres se trouvent privées de leurs plus illustres représentants, les protagonistes de la Pensée et Ivan Vazov. Une nouvelle génération d’écrivains prendra la relève entre les deux guerres, période où l’art narratif connaîtra de très belles réalisations, dues surtout à Elin Pelin et à J. Jovkov, l’un et l’autre peintres du village bulgare, vers lequel convergent les meilleurs talents. Un autre foyer d’attraction sera offert par l’histoire nationale, qui permet une évasion vers le passé glorieux. En poésie, l’on assiste à l’épanouissement d’un courant symboliste et à l’apparition d’œuvres à tendances sociales nettement prononcées. Dans ses nouvelles et ses nombreux contes, dont certains sont de vrais chefs-d’œuvre, Elin Pelin (1877-1949), a axé son intérêt sur les paysans de la région de Sofia, parmi lesquels il était lui-même né. Avec un art sobre et suggestif, il évoque les peines journalières et les joies modestes dont est tissée la vie de ses personnages, créant souvent des portraits d’un saisissant relief. Mais la révélation de cette période demeure Jordan Jovkov (1880-1937), maître inégalé de la langue et du style, qui a doté la prose bulgare de ses modèles les plus achevés. Alliant la finesse de l’observation à une profonde sensibilité, Jovkov répand un souffle de noblesse et de poésie sur la vie quotidienne des paysans doux et patients qui peuplent son œuvre. Dans ses pièces, dans ses contes, réunis en des recueils comme Légendes de la Stara Planina (1927), Soirées à l’auberge d’Antimovo (1928), le Chant des roues (1933), il exalte la beauté, dont la magie s’exerce aussi bien sur d’humbles laboureurs que sur de farouches voïvodes. Parmi les meilleurs chantres du village, on peut retenir les noms de Konstantin Petkanov (1891-1952), Angel Karalijčev (né en 1902), Krum Velkov (1902-1960), Georgi Karaslavov (né en 1904), Orlin Vasilev (né en 1904), Ilija Volen (né en 1905). La vie de la cité a trouvé un juge impitoyable en la personne de Georgi Stamatov (1869-1942) et une peinture plus nuancée avec Konstantin Konstantinov (1890-1970), V. Poljanov (né en 1899), Svetoslav Minkov (1902-1966). La petite ville, avec ses menues intrigues, s’est attachée un conteur spirituel, Čudomir (1890-1967), qui a laissé toute une galerie de types savoureux. Les sujets historiques marquent plus particulièrement les œuvres de Stojan Zagorčinov (1889-1969), dont le beau roman Jour dernier, jour du Seigneur (1931-1934) présente un large tableau de la vie au xive s., de Nikolaj Rajnov (1889-1954) et de Fani Popova-Mutafova (née en 1902). Au théâtre, Stefan Kostov (1879-1939) remporte de brillants succès avec la comédie de mœurs et la satire sociale.

Certains vers de Javorov annoncent déjà la poésie symboliste, qui, fécondée par l’expérience des courants occidentaux et russe, mais gardant son caractère propre, ne s’affirmera avec ses revues et ses poètes qu’après la Première Guerre mondiale. Parmi les mieux doués de ces artisans de vers d’une harmonie nouvelle, de ces créateurs d’images inattendues, se distinguent Teodor Trajanov (1882-1945), Nikolaj Liliev (1885-1960), Dimčo Debeljanov (1887-1916), Ljudmil Stojanov (1886-1973) et Hristo Jasenov (1889-1925).

Le rayonnement qu’exerce la révolution russe, les difficultés économiques de l’après-guerre favorisent l’épanouissement d’une poésie prolétarienne dont les représentants les plus célèbres sont Geo Milev (1895-1925), Hristo Smirnenski (1898-1923), qui exprime sa sympathie aux déshérités et sa foi en l’avènement du socialisme, Nikola Vapcarov (1909-1942), qui, animé des mêmes sentiments, témoigne d’une technique plus originale. Quelques beaux poèmes de Asen Razcvetnikov (1897-1951) et de Nikola Furnadžiev (1903-1968) se rattachent également à cette veine révolutionnaire. Sans se préoccuper d’idéologies ni d’écoles, s’exprime en des vers où l’intensité de l’émotion va de pair avec la maîtrise de la forme le puissant talent d’une femme, Elisaveta Bagrjana (née en 1893), qui, dès son premier recueil, l’Éternelle et la Sainte (1927), conquiert la célébrité.


Après la Seconde Guerre mondiale

Avec l’instauration d’un régime de démocratie populaire, la vie littéraire subit un profond bouleversement. Sur le modèle soviétique, le réalisme socialiste est érigé en dogme absolu. Les écrivains, en exaltant les mérites du parti, les vertus de la collectivisation des terres, l’enthousiasme que suscite la construction d’un barrage ou d’une usine, doivent contribuer à l’édification de la nouvelle société. En revanche, les pouvoirs leur prodiguent honneurs et aide matérielle, et manifestent à leur égard une sollicitude que l’on n’avait, malheureusement, jamais connue auparavant. Les premières réalisations, cependant, furent jugées plutôt décevantes. Les œuvres historiques, où le recul dans le temps permet plus d’indépendance, ont connu une vogue particulière. Les dernières années marquent un assouplissement de la doctrine, dont les heureux effets n’ont pas tardé à se faire sentir. Une génération de poètes de talent s’expriment avec moins de contrainte, et plusieurs d’entre eux mériteraient d’être cités. Retenons parmi ceux qui sont devenus déjà classiques les noms de Veselin Hančev (1919-1966), de Valeri Petrov (né en 1920) et de Blaga Dimitrova (née en 1922), qui s’affirme comme poétesse aussi bien que comme romancière. Le conte et le roman sont représentés avec bonheur par Emilian Stanev (né en 1907), Dimităr Dimov (1909-1966), Bogomil Rajnov (né en 1919), Nikolaï Hajtov (né en 1919), Jordan Radičkov (né en 1929). Mais c’est Dimităr Talev (1898-1966) qui a enrichi cette période de ses plus belles créations, en particulier par son roman tétralogique J’entends vos voix, où, brossant un tableau de la vie en Macédoine à la fin du xixe s., il crée des personnages dont le pathétique intérieur, lié à la gravité de certains thèmes, donne au roman une résonance épique. Dans le roman historique s’affirme dernièrement avec succès Vera Mutafčieva (née en 1929), chez qui la documentation la plus solide se marie à un style souple et entraînant.

R. B. et N. C.