Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Bulgarie (suite)

Aux environs de 1860 s’affirment en Bulgarie des idées plus franchement révolutionnaires, avec une génération d’écrivains visant non plus seulement à éduquer le peuple et à obtenir une Église indépendante, mais à secouer le joug turc par la lutte armée. Le mérite d’avoir le premier formulé nettement ce programme révolutionnaire revient à Georgi Rakovski (1821-1867), qui, malgré ses faibles dons d’écrivain, exerça une action déterminante sur ses contemporains par ses articles de presse et son poème le Voyageur dans la forêt (1857). À ce courant d’idées révolutionnaires se rattachent Ljuben Karavelov (v. 1835-1879), auteur de nombreuses nouvelles, dont la meilleure est les Bulgares du temps jadis (1872), et Hristo Botev (1848-1876), qui est la plus puissante personnalité de la Renaissance bulgare et l’un des plus grands poètes de la Bulgarie. Particulièrement populaires sont demeurées les poésies où Botev exalte la mémoire de héros nationaux comme Hadži Dimităr ou Vasil Levski et celles où il chante son idéal patriotique, socialiste et révolutionnaire, auquel il sacrifia héroïquement sa vie, à l’âge de vingt-sept ans, en combattant contre les Turcs.


La littérature après la Libération

À la littérature de la Renaissance bulgare, qui avait été essentiellement une littérature de combat, succède une littérature plus nettement dominée par des préoccupations esthétiques. La liaison est assurée par des écrivains dont la jeunesse a été fortement marquée par les années de lutte et qui sont ballottés entre une vision nostalgique du passé et une attitude plutôt critique à l’égard d’un monde nouveau, dépourvu, à leurs yeux, d’idéalisme. De leurs prédécesseurs, ils héritent la conscience de leur mission d’éducateurs, si bien qu’ils assument volontiers le rôle d’animateurs et de pionniers.

Celui qui incarne le mieux les tendances de cette génération d’écrivains est Ivan Vazov (1850-1921), qui, poète, romancier, auteur dramatique, apparaît comme la figure la plus représentative des lettres bulgares modernes. Un demi-siècle d’heurs et de malheurs vécus par son peuple se reflète dans ses nombreux recueils de poésies, dont l’un des plus populaires est l’Épopée des oubliés (1881-1884), où il a immortalisé le souvenir de ceux qui avaient suscité l’élan vers la liberté et souvent sacrifié leur vie pour elle. Les plus beaux poèmes d’inspiration intime forment le recueil J’ai senti le parfum des lilas (1919). Écrivain d’un coloris réaliste, Vazov a laissé un héritage considérable de romans, de contes et de nouvelles, parmi lesquelles les meilleures sont celles où il fait revivre des types truculents, observés dans sa jeunesse, comme Hadži Ahil (1882), les Compères (1885) ou encore Sans feu ni lieu (1883), où il dépeint avec une sympathie mêlée d’humour le milieu des émigrés bulgares de Roumanie. Mais son talent s’exprime bien plus richement dans le roman Sous le joug (1889-90), traduit en une quarantaine de langues, où, puisant largement dans ses propres souvenirs, Vazov brosse un vaste tableau de la vie des Bulgares à la veille de la libération du joug turc et évoque l’évolution des esprits, qui les conduit à l’insurrection d’avril 1876, étouffée dans le sang. Le théâtre de Vazov, presque exclusivement inspiré de l’histoire du Moyen Âge bulgare, a fait école. La gloire de Vazov a quelque peu relégué dans l’ombre les mérites d’autres écrivains de sa génération, comme Zahari Stojanov (1850 ou 1851-1889), auteur des Mémoires sur les insurrections bulgares (1884-1892), Konstantin Veličkov (1855-1907), Stojan Mihajlovski (1856-1927), profondément imprégné, comme Vazov et Veličkov, de culture française et demeuré célèbre surtout par ses satires, qui l’ont fait surnommer « le Juvénal des Balkans ». Mihalaki Georgiev (1854-1916) et Todor Vlajkov (1865-1943) sont des conteurs savoureux qui, ainsi que Anton Strašimirov (1872-1937), se rattachent à cette lignée d’écrivains.


Les « jeunes » contre les « vieux »

Vers la fin du siècle s’affirment des tendances d’un renouveau littéraire, exprimées par une génération d’écrivains plus jeunes et pénétrés de culture occidentale, dont la tribune deviendra la revue la Pensée (1892-1907) et parmi lesquels les plus connus sont, avec le fondateur de la revue, le Dr K. Krăstev, Penčo Slavejkov, P. Javorov et P. Todorov. Ces écrivains réagissent contre la littérature trop étroitement nationale qu’avaient créée leurs aînés, en particulier Vazov, et aspirent à une recherche psychologique approfondie et à un plus grand souci de la forme. Porte-parole de la nouvelle esthétique, poète original, homme d’une grande rigueur de caractère, Penčo Slavejkov (1866-1912) a profondément marqué la vie culturelle de son époque. Ses poèmes, où la richesse de la pensée rivalise avec la beauté de la forme et dont l’âme humaine reste le principal centre d’intérêt, même lorsqu’il s’inspire du folklore ou de l’histoire nationale, sont publiés dans Chansons épiques (1896-1898), Rêve de bonheur (1907), Dans l’île des Bienheureux (1910). Slavejkov a consacré un long poème, l’Hymne sanglant (1911-1913), à l’insurrection de 1876. Mais celui qui, grâce à une virtuosité exceptionnelle et à une rare puissance d’évocation, a élevé le plus haut la poésie bulgare, c’est Pejo Javorov (1878-1914). Musicien prestigieux du vers, soit qu’il imite la chanson populaire ou qu’il exprime sa sympathie aux malheureux, soit que, modelant les mots sur une étonnante infinité de rythmes, il épanche son âme tourmentée, Javorov demeure le plus grand poète lyrique bulgare. Les recueils Poésies (1901), Insomnies (1907), En poursuivant l’ombre des nuages (1910) réunissent l’œuvre de ce poète, qui, dans le théâtre, fait acte de novateur, en substituant le drame psychologique au traditionnel drame historique. Petko Todorov (1879-1916) a, lui aussi, enrichi le théâtre de quelques belles pièces, mais son nom est surtout associé aux Idylles, des récits qui sont de véritables poèmes en prose, où il met en scène des paysans rêveurs qui portent souvent un message symbolique et traduisent la vision que l’auteur a de la réalité. La Pensée fait connaître les premiers vers du poète épicurien Kiril Hristov (1875-1944). Un autre collaborateur de cette célèbre revue, qui incarne l’une des périodes les plus heureuses des lettres bulgares, est Aleko Konstantinov (1863-1897), le spirituel créateur de « Baj Ganju », un provincial enrichi, qui promène de capitale en capitale son sans-gêne, ses manières frustes et son âpre parcimonie.