Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bulgarie (suite)

La résistance aux Turcs

Les Bulgares ne se résignèrent jamais. Peu de temps après la soumission de la Bulgarie par les Turcs se fit jour le mouvement des haïdouks qui combattaient l’arme à la main les oppresseurs. Ils formaient des détachements, nommés « drujina » ou « četa », commandés par des « voïvodes ». Normalement, ces détachements comptaient de 20 à 30 combattants, mais il y en avait qui en comptaient de 300 à 500. Les haïdouks protégeaient les chrétiens, punissaient les conquérants pour les outrages à l’honneur, les pillages et les massacres, les juges pour les verdicts injustes, les sipahis pour leur cruauté. Ils combattaient aussi les troupes régulières turques, en leur dressant des guets-apens ou en les attaquant la nuit. Les sources historiques relatent les exploits des haïdouks bulgares et de leurs voïvodes, hommes (Čavdar, Strahil, Manuš, Laluš, Velko) ou femmes (Bojanka, Sirma, Todorka). Les autorités turques déployèrent de grands efforts pour détruire les haïdouks en leur opposant des troupes régulières ; mais le mouvement ne cessa de s’accroître et finit, vers le milieu du xixe s., au moment de la création d’un mouvement de libération nationale organisé, par se confondre avec ce dernier.

La résistance des Bulgares à l’autorité féodale turque s’exprima aussi par des révoltes populaires. Moins de dix ans après l’asservissement de la Bulgarie par les Turcs, un grand soulèvement, ayant à sa tête les princes Constantin et Frujin, éclata en 1404 dans les terres situées au nord-ouest du pays. Quarante années plus tard, en 1443-44, au moment où le roi polonais Ladislas III avait traversé le Danube et pénétré dans les terres bulgares, la population bulgare se souleva de nouveau. Victorieux près de Varna, les Turcs profitèrent de l’occasion pour se livrer à des massacres en masse, forçant de nombreux Bulgares à émigrer. Après les grands succès des Turcs, qui s’emparèrent de Constantinople en 1453 et atteignirent Vienne en 1529, plusieurs tentatives d’insurrection des Bulgares furent réprimées. Malgré cela, des soulèvements eurent lieu en Mésie et dans la région de Sofia en 1594, en 1595 et en 1598. À Tărnovo, on proclama roi Šišman III, mais cette révolte se solda, elle aussi, par un échec.

Dans la plupart des cas, les chefs insurrectionnels essayaient d’obtenir l’aide des États chrétiens d’Europe. Les évêques catholiques bulgares et des personnalités politiques comme Petăr Parčevič (1612-1674) et Petăr Bogdan (1601-1674) déployèrent vainement une grande activité pour obtenir l’aide de l’Autriche et d’autres pays européens. En 1686 et en 1688 éclatèrent des soulèvements à Tărnovo et à Čprovci, mais, en l’absence d’une aide militaire venant de l’étranger, ils furent réprimés dans le sang. Pourtant, cet échec ne découragea nullement le peuple. En 1689, au moment de l’offensive des troupes autrichiennes dans les Balkans, les Bulgares de la Macédoine de l’Est se révoltèrent et élirent leur roi. En 1737 eut lieu un autre soulèvement des Bulgares des terres occidentales.

Au xviiie s., au cours des guerres que les souverains russes Pierre le Grand et Catherine II menèrent contre la Turquie, le mécontentement du peuple bulgare ne fit que s’accroître. L’identité de religion et l’affinité de langues et de cultures des Bulgares et des Russes avaient affermi au sein du peuple bulgare la conviction que sa libération du joug turc devait se faire avec l’aide russe. Pour cette raison, les émigrants bulgares cherchaient refuge surtout en Russie méridionale ; les plus hardis s’engageaient comme volontaires dans l’armée russe.


La Renaissance bulgare

Phénomène national dû au développement intérieur social et économique du pays, la Renaissance bulgare fut déterminée par la décomposition des rapports féodaux dans l’Empire ottoman et par l’essor de l’industrie et du commerce. Le moine Paisij de Hilendar (v. 1722-1798?), l’évêque Sofronij de Vraca (1739-1813), entre autres, furent les interprètes des aspirations populaires au cours de cette période. Dans son Histoire des Slaves bulgares (1762), accessible à tous et écrite dans un style vivant, Paisij édicta les trois mots d’ordre fondamentaux de l’époque : étudier le passé héroïque du peuple, conserver jalousement la conscience nationale, manifester un attachement profond à la langue maternelle.

Les vieilles écoles des monastères et les ateliers artisanaux à caractère religieux ne pouvaient plus satisfaire les besoins accrus des artisans et des commerçants devenus aisés. L’évolution générale de la vie imposait la nécessité de la fondation d’écoles capables de donner une instruction plus large, des connaissances utiles pour l’activité commerciale. Les ecclésiastiques eux-mêmes donnèrent la priorité à l’instruction sur la religion. C’est ainsi que l’évêque Sofronij de Vraca conseilla à ses compatriotes de ne pas donner de l’argent aux monastères et aux moines, mais de bâtir des écoles. Le manque d’instituteurs imposa d’adopter de l’Occident la méthode mutuelle, dite « de Bell et Lancaster », selon laquelle un maître, aidé des élèves les plus avancés, enseignait en même temps dans plusieurs classes.

Un savant, Petăr Beron, composa en 1824 son Abécédaire au poisson, petite encyclopédie contenant les connaissances indispensables dans les divers domaines de la science ainsi que des méthodes modernes d’enseignement et d’études. L’école de Gabrovo, fondée en 1835, devint un foyer de la nouvelle instruction bulgare ; elle prépara des instituteurs et composa des manuels destinés aux établissements d’enseignement du pays.

À cette époque, le peuple bulgare menait également la lutte pour l’indépendance de l’Église et de la culture nationale contre le patriarcat grec de Constantinople. Les évêques et les prêtres grecs levaient, en effet, de lourdes taxes sur le peuple bulgare. En effectuant le service religieux en langue grecque et en ouvrant des écoles également grecques, le clergé grec avait entrepris l’hellénisation progressive de la population.