Büchner (Georg) (suite)
Après l’arrestation de son ami Karl Minnigerode à Giessen, Büchner rentra, pour le semestre d’hiver 1834-1835, à Darmstadt chez ses parents. Il y écrivit son premier drame, la Mort de Danton (Dantons Tod), en cinq semaines, dans un état d’exaltation passionnée et avec la crainte constante d’être lui-même arrêté. Il a encore le temps d’envoyer au poète Gutzkow, éditeur d’une revue qu’il estime, Phönix, le manuscrit de son drame et il reçoit un avis à comparaître devant le juge d’instruction de Darmstadt. Il prend alors la décision de fuir et quitte sa ville le 1er mars, passe la frontière sans papiers et arrive à Strasbourg le 9. Il ne devait plus revenir en Allemagne.
De mars 1835 à octobre 1836 à Strasbourg, Büchner travaille intensément : il présente un mémoire pour le doctorat es sciences ; il écrit sa comédie Léonce et Léna, il commence Woyzeck, traduit deux drames de Victor Hugo, en compose un autre, perdu, sur Pietro Aretino et trouve aussi le temps d’écrire une nouvelle sur Lenz.
En octobre 1836, il va s’établir à Zurich dans l’espoir d’y enseigner les sciences ; il y donne avec succès un premier cours, mais tombe presque aussitôt malade, saisi d’une sorte d’épuisement. Le typhus l’emporte le 19 février 1837.
La nouvelle où il retrace la fuite du poète Lenz dans les Vosges, au moment où il sent sa raison vaciller et va se confier au docteur Oberlin, est probablement son œuvre la plus achevée ; pourtant, toute l’actualité de Georg Büchner tient à des drames et à sa comédie.
Avec la Mort de Danton, il a voulu donner le modèle du réalisme historique au théâtre. L’histoire est pour lui le lieu d’un conflit de forces, il veut les analyser et les peindre avec toute l’objectivité du savant.
Déjà les contemporains avaient été saisis par la force du tableau qu’il a fait de la rivalité entre Robespierre et Danton, comme de la fin des Dantonistes. Plus vivant au milieu du xxe s. qu’aucune autre pièce du temps, ce drame est aussi le meilleur qu’ait inspiré la Révolution française.
Les dramaturges modernes ont accordé plus d’attention encore au Woyzeck, qui n’est pourtant qu’une ébauche, mais dont le sujet était parfaitement neuf et qui réunit déjà quelques-unes des innovations qu’exploiteront les modernes. Woyzeck est un pauvre homme, traité par tous comme s’il était un objet, alors qu’en vérité lui seul est un être de chair et de sang. Il aime Marie, il n’est pas vertueux et il dit simplement, avec des mots qui annoncent Brecht : « La vertu est belle, mais moi je suis un pauvre gars. »
Dans Léonce et Léna, aussi, Büchner renverse les perspectives, et derrière les masques de la comédie, sous le sceptre carnavalesque du fou de Gozzi, on sent battre des cœurs ; il est vrai que tous les personnages ont beaucoup lu ; ils parodient, se parodient, se moquent de la parodie. L’esthétique de Georg Büchner le sépare de ses contemporains. Reprenant ce qu’avait ébauché Lenz, il a donné au théâtre l’exemple d’un style à la fois lucide, contrasté, audacieusement réaliste, en marge de toutes les conventions « bourgeoises », prompt à démasquer, mais cherchant au fond de la disharmonie, du contraste et de la polémique une lueur d’humanité. De Frank Wedekind à Brecht, tous les dramaturges du xxe s. lui doivent quelque chose.
P. G.
H. Mayer, Georg Büchner und seine Zeit (Berlin, 1947 ; 2e éd., 1960). / G. Baumann, Georg Büchner, die dramatische Ausdruckswelt (Göttingen, 1961).