Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

affiche (suite)

L’arabesque victorieuse

En 1891, lorsque Toulouse-Lautrec* fait son entrée fracassante avec la Goulue au Moulin-Rouge, il apporte à l’affiche les préoccupations de l’avant-garde : la leçon reçue des estampes japonaises et de Gauguin s’exprime par des aplats de couleur vive cernés d’une arabesque souple et vigoureuse. Celle-ci, dont le triomphe se confond avec celui de l’Art* nouveau, devient l’organisatrice toute-puissante de l’affiche et, alors même quelle se dévergonde en fioritures, ne perd rien de son efficacité, du foisonnement anguleux de l’Américain Will Bradley (1868-1962) aux complaisances courbes du Tchèque Alfons Mucha (1860-1939). D’ailleurs, la réaction contre les excès de l’Art nouveau va venir non pas du courant réaliste (en France, H. G. Ibels, T. A. Steinlen), mais de ceux qui ont grandi dans le sérail, comme Lucian Bernhard, Thomas Theodor Heine, Julius Klinger et Jupp Wiertz en Allemagne, Koloman Moser en Autriche, John Hassall en Angleterre, Marcello Dudovich et Adolfo Hohenstein en Italie. L’arabesque se raréfie avec une belle sobriété chez les « Beggarstaff Brothers » (pseudonyme sous lequel collaborent les Anglais James Pryde [1869-1941] et William Nicholson [1872-1949]), feint de s’éclipser devant les verticales chez l’Allemand Ludwig Hohlwein (1874-1949), se concentre en dynamite chez le Français d’origine italienne Leonetto Cappiello (1875-1942). Mais le cubisme, puis les débuts de l’art abstrait, en favorisant la liquidation définitive de l’Art nouveau, tendent à substituer l’angle droit à l’arabesque.


L’avènement de la raideur

Le tournant se situe au lendemain de la guerre de 1914-1918, qui avait soumis l’affiche à une rude épreuve : répéter, à l’avantage de chacun des belligérants, la même propagande (à peu près seul, Hohlwein s’en tirera sans déchoir). Mais c’est la révolution russe qui donne naissance à la première affiche abstraite : le Coin rouge enfonce les Blancs (Lissitski*, 1919). En Allemagne, le Bauhaus* va codifier, sous la direction d’Herbert Bayer (né en 1900), la tendance rigoriste qu’illustrent dans le même pays Walter Dexel, Johannes Molzahn, Xanti Schawinsky, Joost Schmidt, Jan Tschichold, aux États-Unis Austin Cooper, en Hollande Pieter Zwart, en Suisse Théo Ballmer et Max Bill. De nos jours encore l’école de Zurich et, en Allemagne, Otl Aicher et Anton Stankowski illustrent cette tendance. Fréquemment, on constate que son aboutissement logique est l’affiche purement typographique. Un schématisme moins systématique, qui vise à réduire le personnage ou l’objet à un idéogramme élémentaire mais éloquent, caractérise entre les deux guerres la démarche de Wilhelm Deffke, O. H. W. Hadank, Ernst Keller en Allemagne, d’Ashley Havinden en Angleterre, de Jean Carlu, Charles Loupot et Sepo en France, de Federico Seneca en Italie. Son empreinte est sensible sur l’œuvre des deux grands affichistes de l’époque, en dépit de leur indéniable lyrisme : le Français Adolphe Mouron, dit Cassandre (1901-1968), dont l’invention graphique est soutenue par une technique presque infaillible, et l’Américain E. McKnight Kauffer (1890-1954), chez lequel la rigidité est combattue par le sens du dynamisme. Avec plus de fantaisie, Joseph Binder (Autriche, 1898-1972) poursuit l’aventure de Hohlwein, tandis que Herbert Matter (Suisse, 1907) adapte vigoureusement, vers 1935, le photomontage à l’affiche touristique. Même Paul Colin (France, 1892) n’échappe pas à la raideur ambiante, qui se transmettra à ses compatriotes Guy Georget, Jacques Nathan-Garamond et Raymond Savignac.


Le réalisme photographique

Le souhait, commun à la majorité des annonceurs, de voir l’affiche reproduire fidèlement les apparences de la marchandise célébrée va curieusement se trouver renforcé vers 1925 par le réalisme exacerbé de la Neue Sachlichkeit (« nouvelle objectivité ») allemande et par l’exactitude onirique d’une partie de la peinture surréaliste, de même que par la diffusion du photomontage à l’échelle internationale. Otto Baumberger à Zurich, mais surtout Niklaus Stoecklin à Bâle vont pousser jusqu’à une incroyable virtuosité le « trompe-l’œil » publicitaire. Le plus brillant élément de l’école de Bâle est certainement Herbert Leupin (né en 1916), rompu à tous les styles, élégant, drôle et précis. J. S. Anderson et Abram Games en Angleterre, Lester Beall et Leo Lionni aux États-Unis, Donald Brun, Hans Erni et Pierre Gauchat en Suisse, Léon Gischia en France, J. Lewitt et J. Him (ils signaient Lewitt-Him) à Varsovie puis à Londres contribuent à ce que cette exactitude bascule souvent dans l’irrationnel. Néanmoins, l’affiche photographique en couleurs va bientôt apparaître aux agences et aux clients, selon la loi du moindre effort, comme la solution idéale. En dépit de réussites incontestables, surtout lorsque l’utilisation de la photographie est déterminée par un véritable affichiste (le Suisse Josef Müller-Brockmann, par exemple), c’est à une telle paresse que l’on est redevable de la médiocrité actuelle des affiches commerciales françaises, devenue plus sensible encore depuis les événements de mai 1968.


La violence et le rêve

Ce n’est pas seulement la tension de ces journées de mai qui explique la fraîcheur et la qualité des affiches sérigraphiques alors composées, tirées et diffusées en quelques heures dans Paris, mais le fait que pour la première fois en France l’affiche se faisait le véhicule spontané d’une émotion. L’expressionnisme* n’a eu, en effet, aucune répercussion sur l’affiche française jusqu’alors, et si l’on veut découvrir des exemples comparables aux images de mai 1968, c’est en Europe centrale à la veille et au lendemain de la Première Guerre mondiale qu’il faut les chercher : en Hongrie avec Mihály Biró, en Autriche avec Oskar Kokoschka*, en Allemagne avec Heinz Fuchs et Max Pechstein, en Pologne avec Jan Mucharsky, en Tchécoslovaquie avec Josef Čapek. La seule exception à cette règle nous serait sans doute fournie par les affiches politiques du peintre américain Ben Shahn (mais il est né en Lituanie, en 1898). Sans doute pour les mêmes raisons qui avaient permis à la souffrance des peuples de s’exprimer par l’affiche dans cette partie du monde, après 1945 c’est en Hongrie puis en Pologne que l’influence du surréalisme sera la plus grande chez les affichistes. L’univers de désolation que décrivent les Hongrois György Konecsi et Gábor Papp est souvent, chez les Polonais, transcendé par une fantaisie libératrice. Ainsi en va-t-il de Jan Lenica, de Jan Młodożeniec, de Józef Mroszczak, mais davantage encore de Roman Cieślewicz (né en 1930), le plus puissant de tous. L’affiche polonaise fera école à Cuba, engendrant une production originale en grande partie consacrée à la propagande. En Europe, la réaction aux contraintes réalistes ou abstraites antérieures s’est manifestée par une faveur particulière pour les libertés du pinceau et une place plus grande faite à l’humour. Quant à l’affiche japonaise, en dépit de sa variété, elle se plaît dans un maniérisme ultra-décoratif et dans les couleurs bonbon.