Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Bruges (suite)

À la suite de l’assassinat du comte de Flandre Charles le Bon (1127), dont elle condamne les auteurs, Bruges intervient dans la désignation de ses successeurs, Guillaume III Cliton, puis (1128) Thierry d’Alsace. Elle arrache à ce dernier de nombreux privilèges financiers (exemption de cens), économiques (suppression du péage grevant son commerce) et juridiques (liberté de choisir le droit applicable à ses habitants). Il existe donc dès cette époque un échevinage particulier à la ville, dont les membres viagers (annuels en 1241) assurent son administration.

Bien que Philippe d’Alsace (1168-1191) tente de limiter leurs droits en les précisant, vers 1190, dans une charte (keure) qui leur interdit de modifier leurs institutions sans son consentement, les riches Brugeois restent maîtres de leurs destinées économiques. Aussi prennent-ils en charge les travaux réalisés à la fin du xiie s. pour prévenir l’ensablement de leur port : endiguement de la Reie ; création, par Philippe d’Alsace, de l’avant-port de Damme (1180), qui doit son nom au barrage (dam) établi au débouché de cette rivière dans le Zwin ; construction, enfin, d’une écluse à double système de portes verticales, permettant, depuis 1180, aux navires à faible tirant d’eau (moins de 6 pieds) d’accéder à Bruges, où la grue, immortalisée par Memling, facilite leur déchargement et celui des allèges, qui chargent à Damme les cargaisons des navires de fort tonnage.


Une grande ville marchande

Techniquement bien équipée, dotée, par ailleurs, en 1200, de foires s’insérant du 23 avril au 22 mai dans un cycle annuel auquel participent Torhout, Lille et Messines, Bruges bénéficie en outre de l’annexion au domaine royal capétien de l’Artois* (1180) : cela lui permet d’enlever à Saint-Omer le marché des laines anglaises, que ses marchands revendent avec bénéfice aux drapiers flamands, d’Ypres et de Gand en particulier. Les liens noués avec l’Angleterre favorisent également leur pénétration dans la France de l’Ouest ; dès le xiiie s., les Brugeois participent au transport des vins de Gascogne avant de gagner les ports de la Seine, où ils achètent le blé, les fromages normands ou les vins français. Par contre, ils trafiquent peu avec l’Allemagne du Nord (marché réservé à Gand), et leur présence est rarement mentionnée en Italie, en Espagne et aux foires de Champagne. Aussi, leur rôle au sein de la Hanse des dix-sept villes est-il très effacé, alors qu’ils s’assurent le contrôle de la Hanse flamande de Londres, dont le « comte de la Hanse » (« hanzegraaf ») doit être obligatoirement choisi parmi des membres brugeois ; ceux-ci se font accorder en outre l’exclusivité de l’accès à l’échevinage de leur ville (1241).

Mais, à l’heure même de son double triomphe économique et politique, l’oligarchie marchande de Bruges se heurte à l’hostilité des rivales étrangères, qui entendent se réserver le monopole du trafic sur leur propre territoire. Ne pouvant bientôt plus y accéder, ses membres se sédentarisent, se transformant en courtiers, en hôteliers pour recevoir dans leur propre ville leurs concurrents, dont ils soumettent les activités à quelques règles précises : interdiction de revendre sur place les denrées qu’ils y ont acquises et d’y pratiquer un commerce de détail ; mais autorisation du « gasthandel » (commerce de forain à forain), expressément reconnu en 1309 et auquel Bruges doit d’être devenue au xive s. sinon le « marché mondial » du Moyen Âge, tout au moins le plus grand marché de l’Occident chrétien, ne serait-ce qu’en raison de la richesse humaine et financière des Pays-Bas, qui absorbent l’essentiel de ses importations.

Les avantages du mouillage de Damme, les facilités de logement et de stockage offertes par Bruges, l’assurance de pouvoir y acheter des draps flamands, le fret de retour de qualité et relativement bon marché en l’absence d’intermédiaires, tous ces facteurs contribuent à expliquer l’affluence des marchands étrangers.

Dès 1270, les Anglais s’assurent à Bruges une place prépondérante, qu’ils renforcent en 1294 lorsqu’ils instituent l’étape des laines : celle-ci est confiée à deux reprises à Bruges (1325-26 et 1340-1350), où sont conclus de toute façon les contrats unissant marchands flamands et marchands d’outre-Manche. Ceux-ci y sont bientôt rejoints par leurs collègues allemands de la Hanse teutonique, qui empruntent soit la voie terrestre Cologne-Bruges, soit la voie maritime Lübeck-Hambourg-Bruges, par laquelle arrivent les produits de la Baltique (ambre, blé, bois de Prusse, fer et cuivre de Suède), de la Russie (fourrures de Novgorod) et de la mer du Nord (bière de Brême et de Hambourg, morue de Norvège) en échange des produits du Midi atlantique (sel de Bourgneuf et de Brouage, puis de Setúbal, vins gascons, fer ibérique), transportés par les marins des ports aquitains, portugais (première mention en 1212) ou basques (depuis 1230). Enfin, depuis 1277 et l’arrivée à Damme des premières galères génoises, bientôt suivies par les navires vénitiens, réunis en un convoi annuel dès 1315-16, les marchands italiens font affluer à Bruges les produits de leur péninsule (velours de Gênes, brocarts de Venise et, au xve s., alun de Tolfa) comme ceux de l’Orient (épices, sucre de canne, tissus précieux byzantins, vins grecs, etc.).

Tout naturellement, ces colonies étrangères se constituent en « nations », ou « consulats », dotés d’une administration interne qui se réserve le jugement de ses membres, l’échevinage de Bruges ne connaissant que les causes opposant des marchands de nationalités différentes. La compagnie anglaise des « marchands de l’Étape » (exportateurs de laine), celle des « marchands aventuriers » (exportateurs de drap depuis le début du xve s.) et le « comptoir » des marchands hanséates représentent les plus puissantes de ces nations, la deuxième utilisant, si nécessaire, contre Bruges l’arme efficace du blocus économique par transfert de son siège dans une autre ville (Aardenburg, 1307-1309 ; Dordrecht, 1358-1360 ; Utrecht, 1388-1392 ; Anvers, 1436-1438 ; Deventer, 1451-1457).

Disposant en général de « loges » fondées dans la seconde moitié du xive s., les Italiens se sont rarement constitués en nations, à l’exception des Génois (dirigés par un massier depuis 1395) et des Vénitiens.