Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brandes (Georg) (suite)

Georg Brandes est le fils aîné d’une famille de gros négociants israélites. En 1859, à Copenhague, il commence ses études universitaires, essentiellement consacrées à l’esthétique. L’école romantique, danoise et française, intéresse Brandes, mais, très vite, Kierkegaard et Goethe deviennent ses auteurs préférés. Ses années universitaires sont marquées par une activité littéraire particulièrement féconde. Mais le jeune Brandes se tourne également vers la philosophie : il subit l’influence de Hegel, de Taine et de Stuart Mill, mais ce sont surtout les philosophes passionnés (Kierkegaard, Nietzsche) qui l’engagent existentiellement. C’est au moment où il part pour Paris (1866) que Brandes découvre Taine, celui qui sera son principal interlocuteur dans sa thèse de doctorat l’Esthétique française contemporaine (1870). En France, il prend conscience du retard de la Scandinavie dans le domaine littéraire : il faut que quelqu’un l’initie aux critères d’une littérature plus réaliste, et Brandes décide qu’il sera celui-là. Après un second voyage en France et en Italie, il ouvre, en novembre 1871, à l’université de Copenhague, une série de conférences sur les Grands Courants dans la littérature du xixe s., qu’il réunira ensuite en six volumes (1872-1890). Il y expose ses idées esthétiques, affirmant la nécessité pour la littérature d’être intimement liée à la réalité. Ces conférences tracent un véritable programme d’action philosophique et littéraire. La réaction est vive, et même violente dans les milieux bourgeois. Le critique se voit refuser une chaire à l’université. En revanche, autour de lui se groupe une élite qui va former une nouvelle école littéraire. Brandes collabore à la Nouvelle Revue danoise, qui sera le point de ralliement du naturalisme. En 1883, il rédige son célèbre ouvrage les Hommes de la percée moderne. Mais, à partir de 1889, il tend à s’isoler, soit que la nouvelle génération symboliste le rejette tout comme il la refuse, soit que, sans cesse engagé dans de nouveaux combats, il finisse par se lasser de l’indifférence du public. Il évolue alors vers une ascèse individualiste : la pensée de Nietzsche lui revient comme une révélation essentielle. Il traite dans un nouveau cycle de conférences du Radicalisme aristocratique. Le culte de la personnalité de l’homme exceptionnel occupe le centre de sa pensée. Il consacre des biographies passionnées à Shakespeare (1895), Goethe (1915), Jules César (1918), Michel-Ange (1921). À la fin de sa vie, il n’est plus pour la nouvelle littérature nordique un chef d’école écouté, mais on ne lui conteste pas le mérite d’avoir pris une part essentielle à l’éclosion de la littérature moderne en Scandinavie.

S. C.

 H. Fenger, Georg Brandes et la France (P. U. F., 1963). / F. Durand, Histoire de la littérature danoise (Aubier, 1967).

Brandt (Willy)

Homme d’État allemand (Lübeck 1913).


D’origine modeste, Karl Herbert Frahm est élevé par son grand-père, ancien ouvrier agricole et chauffeur de camion. Très jeune, il s’affirme comme militant socialiste et, dès 1931, il passe à la fraction extrémiste des sociaux-démocrates (parti socialiste des travailleurs). À l’avènement du nazisme, il s’exile en Norvège ; il se fait même naturaliser Norvégien et prend le nom de Willy Brandt. Secrétaire d’une organisation de solidarité socialiste, il est délégué à ce titre, et aussi au titre de journaliste, sur le front d’Espagne. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est en contact avec la résistance allemande. En 1945, il fait partie de la mission militaire norvégienne à Berlin.

En 1947, Willy Brandt reprend la nationalité allemande. Membre de la SPD, il a perdu de son extrémisme d’avant guerre : très éloigné du communisme, il se sent proche du socialisme Scandinave. Rapidement, il s’impose au sein de son parti, qu’il représente à Berlin-Ouest dès 1948 ; vice-président (1954), puis président (1958) du comité exécutif de la SPD, il devient président de son parti pour la R. F. A. en 1964 ; il est réélu à ce poste en 1968 et en 1970.

Mais c’est à Berlin — dont il veut faire un « bastion du monde libre » — que sa carrière se joue et que sa renommée se forge. Député de Berlin au Bundestag de 1950 à 1957, maire de Berlin-Ouest de 1957 à 1966, il se montre, face aux Soviets et à leurs alliés, à la fois ferme, prudent et optimiste. Tenant de la politique des « petits pas », il est persuadé que « des relations économiques et culturelles avec l’Est ne doivent pas nécessairement mais peuvent accélérer un processus de détente et d’apaisement ». Son modèle est J. F. Kennedy, l’homme de la « stratégie de la paix ».

Partisan du rattachement de Berlin à la République fédérale, il dénonce, en septembre 1958, les entraves apportées au trafic avec l’Allemagne occidentale et tente, en vain, par une entrevue directe avec Khrouchtchev (1959), d’obtenir de l’U. R. S. S. qu’elle garantisse au moins le maintien du statu quo dans l’ancienne capitale du Reich. Par ricochet, la proposition russe de faire de Berlin-Ouest une ville libre sous le contrôle de l’O. N. U. est rejetée par les Occidentaux. La politique de Brandt reçoit un coup très dur quand les autorités est-allemandes, désireuses de mettre fin à la migration de leurs ressortissants vers l’Ouest, édifient le « mur de Berlin », dit le « mur de la honte » (1962).

Fin novembre 1966, avec K. G. Kiesinger, de la CDU, Willy Brandt, désigné par la SPD, met sur pied un projet de gouvernement de « grande coalition » qui doit succéder au gouvernement Erhard. Dans le cabinet ainsi formé, et présidé par le chancelier Kiesinger (1er déc.), Willy Brandt, qui quitte la mairie de Berlin-Ouest, devient vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères. Très « européen », partisan de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun et d’un renforcement de l’alliance franco-allemande, Willy Brandt reste attaché à sa politique de lent rapprochement avec l’Est. Il souhaite notamment qu’un modus vivendi entre Bonn et Berlin-Est reçoive une sanction internationale. Cependant, l’occupation de la Tchécoslovaquie en août 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie met quelque peu cette politique en veilleuse.

Le 21 octobre 1969, Willy Brandt est élu chancelier de la R. F. A. par 251 voix sur 495 ; il forme un gouvernement de coalition libéral-socialiste (FDP), les chrétiens-démocrates entrant dans l’opposition. C’est un libéral, Walter Scheel, que Brandt place aux Affaires étrangères.