Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

bouddhisme (suite)

Zhizang (Tche-tsang [549-623]), un des grands maîtres de l’école du Chemin moyen, expose la théorie de la double vérité :
1o Les gens du commun considèrent toutes choses comme ayant une existence réelle (you ou yeou) et ignorent qu’en vérité elles ne sont pas et qu’il y a seulement le non-existant (wu ou wou). Mais dire qu’elles ne sont pas est aussi faux, puisqu’elles sont d’une certaine façon. Il faut admettre que les choses ne sont ni you ni wu ;
2o Dire que les choses ne sont ni you ni wu reste encore une affirmation grossière. La vérité supérieure est que les choses ne sont ni you ni wu, ni non-you ni non-wu. En fin de compte, il ne faut rien affirmer ni nier. La vérité est dans la dialectique des deux, au-delà de tout jugement conceptuel.

L’école « Rien que la conscience » élabore une approche intellectuelle du salut. Selon elle, en saisissant peu à peu la structure véritable du monde, nous atteindrons la « Nature du Bouddha ». Cette approche n’est cependant pas suffisante, car notre vie psychique n’est pas uniquement intellectuelle. Il faut nous libérer aussi de nos attachements à ce monde et à notre « moi ». Il faut chasser et éteindre nos désirs, nos passions et nos pensées mêmes, qui sont des activités du « moi » illusoire. D’où la nécessité d’une règle rigoureuse de vie et l’exercice de la méditation. La méditation est une maîtrise de notre conscience, une tentative pour rejoindre la conscience pure. L’ultime union du « moi » avec l’Esprit universel est le nirvāṇa. Pour y atteindre, il faut toute une vie, ou même plusieurs vies d’effort. Après avoir traversé renaissances et morts, on s’élève peu à peu vers ce salut. On peut, à ce propos, penser à la Raison de Hegel, qui passe des formes inférieures vers les formes supérieures pour, à la fin, retourner à sa forme pure, entièrement libérée de la matière.

Les écoles du Nord donnent plus d’importance à la pratique, tandis que celles du Sud s’intéressent surtout à la compréhension théorique. Xuan Zang (Hiuan Tsang), grand pèlerin et traducteur des textes saints de l’Inde, fondateur de l’école « Rien que la conscience », regretta, à la fin de sa vie, de ne pas avoir consacré assez de temps à la pratique de la méditation. À l’opposé est l’école jingtu (tsing-t’ou « Terre pure »), qui enseigne qu’il suffit aux fidèles de penser avec ferveur à Amitābha et de prononcer continuellement son nom pour obtenir le salut. Cette école, très répandue parmi le peuple, a une idée très imagée et matérielle du nirvāṇa ; il s’agit pour ses adeptes d’un pays merveilleux et heureux où règne le Bouddha et où ils vont renaître après une vie parfaitement pieuse. On voit facilement combien cette idée est éloignée du vrai sens du nirvāṇa.


Le nirvāṇa

Pour qu’il y ait illumination, il faut avoir un sujet pour la recevoir. Comme le « moi » n’est que phénomène illusoire, le sujet de l’illumination ne peut être qu’un sujet transcendant, la « Nature du Bouddha ». L’illumination est la révélation de la « Nature du Bouddha », que chacun de nous possède. Au moment où nous aurons une profonde compréhension de la structure du monde et où nous atteindrons la libération de nos désirs et de nos passions, nous serons « illuminés » et nous obtiendrons le nirvāṇa, qui n’est pas un au-delà. Le monde du Bouddha est ici, dans le monde présent. Le nirvāṇa est l’identification de la conscience de l’individu avec l’Esprit universel. Il est comparable à « Dieu en lui-même ». Toutefois, il est difficile de le concevoir, et nous ne pouvons rien affirmer sur sa nature et son contenu. « Le nirvāṇa est calme. » Si le monde phénoménal cesse d’exister, ne reste-t-il pas une sorte de calme absolu, vide et immobile ? Certains confondent le nirvāṇa avec la mort.

Si le nirvāṇa est une prise de conscience personnelle, comment se pose alors le problème de l’« Autre » ? Puisque l’« Autre » est situé dans le monde extérieur, qui est illusion, est-il besoin de le sauver ? Quel est le rapport entre l’« Autre » et moi-même ? Il est vrai que l’« Autre » est une illusion dans ma conscience, qui est en soi une illusion. De même, je suis une illusion dans la conscience de l’« Autre », qui est aussi illusion. Le rapport entre l’« Autre » et moi-même est donc semblable à un ensemble de miroirs qui se reflètent les uns dans les autres. Tout l’univers se reflète en moi, et moi je suis dans chaque parcelle de l’univers, je m’identifie à lui. Ainsi, le microcosme contient le macrocosme tout en étant dedans. Tous les êtres appartiennent au même fond conscient. Nous sommes différents et semblables, multiples et un. Pour mon salut, donc, il faut aussi le salut de l’« Autre », de tous les autres. D’où l’immense compassion du Bouddha. D’où l’amour pour autrui. Le nirvāṇa en soi est « calme », mais le Bouddha revient au monde de la souffrance ; en fait, il ne l’a jamais quitté, puisque le nirvāṇa n’est pas un au-delà.


L’illumination

L’illumination (abhisaṃbodhi) est la connaissance de la conscience universelle. Cette connaissance n’est pas une connaissance au sens ordinaire. L’état de nirvāṇa étant inexprimable, cette connaissance est sans contenu ; elle est une expérience incommunicable par la parole. On est dans cet état ou on n’y est pas. L’illumination est subite.

On préconise généralement deux méthodes pour atteindre le nirvāṇa : l’une graduelle, l’autre subite. Nous avons expliqué dans les colonnes précédentes que, pour obtenir le salut, il faut un long effort intellectuel et moral. C’est la méthode graduelle. L’autre méthode ne lui est pas diamétralement opposée. En réalité, les subitistes n’excluent pas les efforts de longue haleine. Il y a une discipline à suivre. Mais, une fois la maturation atteinte, l’éclosion se fait, et, d’un bond, on est illuminé. Ce n’est pas à petites doses qu’on « accumule » l’illumination ; d’un coup, une lumière se projette sur tout, et tout prend un sens nouveau.