Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Botticelli (Sandro) (suite)

Quand Botticelli mourut, de jeunes artistes donnaient à la Renaissance une orientation nouvelle : Michel-Ange*, Léonard* de Vinci, Andrea del Sarto, Raphaël*. Sa peinture, déjà démodée, allait tomber dans l’oubli, et il faudra attendre le xixe s. pour qu’elle soit remise à la place qu’elle mérite.


Ligne, mouvement et couleur

Dans la Renaissance florentine, on discerne un grand courant dont des peintres comme Masaccio* et Uccello* furent les initiateurs au cours de la première moitié du xve s., et dont l’ambition principale était de représenter un monde où les apparences sensibles sont soumises aux lois de l’intelligence, où des volumes denses occupent un espace organisé rationnellement par la perspective géométrique.

D’une façon générale, Botticelli ne donne pas la primauté à cet effort, il va même souvent jusqu’à le contredire, non qu’il n’ait pas réussi à prouver qu’il en fût capable : l’Adoration des Mages des Offices et celle de la National Gallery de Washington offrent l’une et l’autre une composition magistralement calculée en profondeur et dont la stricte convergence obéit à un principe d’unité ; le Saint Augustin peint à fresque dans l’église d’Ognissanti à Florence (v. 1480) fait preuve, par le relief de la figure, d’une autorité qui rappelle Andrea* del Castagno, tandis que la représentation des accessoires y dénote un réalisme méticuleux et robuste, qu’il est assez rare de rencontrer dans l’œuvre du peintre.

Botticelli aurait pu persévérer dans ces recherches, mais sa vision vraiment personnelle est celle d’un monde plus arbitraire, qu’il a su parer d’une poésie fascinante. Les figures y sont non pas échelonnées selon les exigences d’un espace souverain, mais plutôt présentées sur un plan très rapproché du spectateur, devant un fond tendant à limiter la profondeur, qu’il emprunte ses éléments à l’architecture, à des rideaux ou même au paysage. Parfois ces figures épousent avec grâce la forme circulaire du « tondo » (Madone du Magnificat), parfois elles déterminent une composition en frise (le Printemps), parfois même elles s’ordonnent selon une mise en scène de type médiéval et d’intention théologique (fresques de la chapelle Sixtine, Nativité de Londres) ; mais ce qui les assemble, c’est un rythme souple et comme musical, traduisant le mouvement d’une sorte de danse qui empêche les formes de peser. Ce mouvement, essentiel au monde de Botticelli, est saisi par le trait, qui a plus d’importance que le volume. Nerveux, imprévu, d’une sensibilité très personnelle, il fait ondoyer la figure humaine ou parfois la tourmente, la brise selon le caprice du peintre ; il insiste sur les accidents des contours, sur les particularités asymétriques des visages ; mais son irrégularité lui évite précisément de se confondre avec l’arabesque décorative : il est l’expression de la pensée.

Cependant, la primauté du trait ne suppose pas, chez Botticelli, cette indifférence à la matière picturale qu’on prête souvent à l’école florentine. Le raffinement de sa facture et son goût pour la couleur apparaissent surtout dans une série de petits tableaux précieux comme des enluminures, qu’on rencontre tout au long de sa carrière, de l’Histoire de Judith à la Vie de saint Zénobe. Mais cela reste vrai des ouvrages de plus grand format, qu’ils soient peints à fresque, à tempera ou surtout à l’œuf. Le coloris y est tantôt éclatant, comme dans la Madone du Magnificat, tantôt plus mat, comme dans la Naissance de Vénus, ou un peu assourdi, comme dans le Printemps ; il est toujours harmonieux et transparent, et semble pénétré d’une lumière cristalline.


Humanisme et christianisme

Le style linéaire et la grâce inquiète de Botticelli feraient peut-être de celui-ci un précurseur des maniéristes du xvie s., s’il n’avait d’abord exprimé les exigences spirituelles de son temps. L’œuvre de Botticelli est tributaire de l’humanisme florentin, et plus particulièrement de la pensée néo-platonicienne qui florissait dans l’entourage de Laurent le Magnifique, ayant en Marsile Ficin son plus éloquent interprète. Selon cette pensée, il fallait voir dans le monde sensible le reflet du monde des idées. Aussi bien l’humanisme apparaît-il rarement chez Botticelli sous un aspect archéologique, exception faite pour la représentation de certains monuments, tels que l’arc de Constantin dans les fresques de la chapelle Sixtine, ou pour la reconstitution de la Calomnie d’Apelle d’après les textes de Lucien et de L. B. Alberti, exercice qui eût été laborieux sans le souffle dramatique qu’y a mis le peintre. Il s’agit plus souvent de mythes dont Botticelli, en accord avec ses mécènes, a cherché à exprimer le contenu, d’une manière parfois assez ésotérique. Le Printemps, par exemple, d’interprétation sujette à controverse, semble opposer de part et d’autre de Vénus l’amour charnel et les aspirations de l’âme. La Naissance de Vénus serait un hymne à la fécondité universelle, et Minerve et le Centaure un symbole des tendances contradictoires de la nature humaine.

Tout cela est dit avec une retenue qui prouve que Botticelli gardait les yeux fixés sur l’idéal chrétien. On passe sans heurt de ses tableaux profanes à sa peinture sacrée, où l’approfondissement du sujet n’est pas moins remarquable : humanisme et religion sont pour lui les deux faces d’une même recherche spirituelle. Mais la sérénité qui domine dans les Madones de la jeunesse fait place peu à peu à un climat d’inquiétude. Déjà la Madone à la grenade exprime le pressentiment de la Passion. Ce pessimisme s’accentue dans les dernières années du peintre avec la mise en question de l’humanisme. Il éclate sur un ton tragique avec les deux Pietà, et la Crucifixion du Fogg Art Museum clôt l’œuvre par une sorte de prédiction des malheurs de Florence.

B. de M.

 H. Ulmann, Sandro Botticelli (Munich, 1893). / H. P. Horne, Alessandro Filipepi, Commonly Called Sandro Botticelli (Londres, 1908). / A. Venturi, Botticelli (Rome, 1925 ; trad. fr., Crès, 1927). / Y. Yashiro, Sandro Botticelli (Londres, 1925 ; 3 vol.). / W. Bode, Botticelli (Leipzig, 1926). / C. Gamba, Botticelli (Milan, 1936 ; trad. fr., N. R. F., 1937). / L. Venturi, Botticelli (Massin et Lévy, 1937). / G. C. Argan, Botticelli (Skira, 1957). / A. Chastel, Botticelli (Milan, 1957 ; éd. fr., Plon, 1958). / R. Salvini, Tutta la pittura del Botticelli (Milan, 1958). / G. Mandel, L’Opera completa di Botticelli (Milan, 1967 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint de Botticelli, Flammarion, 1968).