Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bossuet (Jacques Bénigne)

Évêque, orateur et écrivain français (Dijon 1627 - Paris 1704).



L’homme et l’artiste

Jacques Bénigne Bossuet appartenait par son père comme par sa mère à des familles de magistrats dijonnais d’anoblissement récent. Il fut tôt destiné à l’état ecclésiastique. Après avoir commencé ses études chez les jésuites de Dijon, il les termina à Paris au collège de Navarre. Il fut reçu docteur le 16 mai 1652 ; il avait été ordonné prêtre le 16 mars précédent. Pourvu d’un canonicat à Metz depuis 1640, il fit de longs séjours à Paris et fréquenta le fameux cabinet des frères Dupuy, qui était alors un des hauts lieux de l’érudition. Il semble qu’il ait songé un temps à une carrière intellectuelle ; il s’adonna à la controverse contre les protestants et se fit rapidement une belle renommée de prédicateur. Pourtant, les relations de sa famille lui avaient procuré des amitiés à la Cour et il pouvait espérer aborder aux hautes fonctions ecclésiastiques. De fait, le 10 septembre 1669, il fut nommé à l’évêché de Condom. Il ne mit jamais les pieds dans son diocèse et démissionna deux ans plus tard : dans l’intervalle, le 5 septembre 1670, il avait été nommé précepteur du Grand Dauphin. Pour son élève, il avait conçu un vaste plan d’instruction, plus grandiose que réellement pédagogique, que le manque d’intelligence et la paresse du fils de Louis XIV firent aboutir, après dix ans, à un échec total. Du moins, ce préceptorat eut pour Bossuet l’avantage de le faire entrer dans l’intimité du roi, et il en fut récompensé le 2 mai 1681 par l’évêché de Meaux, dont la proximité lui permettait de longs séjours à Paris et à Versailles. Il fut d’ailleurs un excellent évêque, conscient de l’importance de ses charges pastorales et s’y adonnant avec courage. Il est certain pourtant que ses activités intellectuelles et spirituelles, ses polémiques, les problèmes de politique religieuse tinrent en général la première place dans ses préoccupations, et cela jusqu’à sa mort. Atteint vers la fin de 1702 de la maladie de la pierre, à laquelle sans doute se joignit un cancer de la vessie, Bossuet connut une fin de vie douloureuse.

En première apparence, à travers cette biographie aux contours très simples, il se présente à nous comme un solide Bourguignon à la personnalité sans complications. Pourtant, son histoire offre de déconcertants mystères. À de certains égards, le roi et, plus tard, Mme de Maintenon ne semblent lui avoir accordé qu’une confiance limitée, ce qui explique que sa carrière à la Cour ait abouti finalement à la déception. Bossuet ne fut jamais initié aux grandes affaires de la politique royale, il ne fit même jamais partie du Conseil de conscience, il ne réussit pas à se faire nommer à l’archevêché de Paris, qu’il avait certainement désiré. Mais, même en faisant abstraction de ces côtés énigmatiques, il est malaisé de le juger objectivement. Sa foi chrétienne est profonde, et il est convaincu de la grandeur de sa mission religieuse, de la valeur de son sacerdoce. Sa piété est vraie, sincère, et l’expression qu’il lui donne correspond à la réalité de son être. Grand et généreux, Bossuet l’est incontestablement, et il est capable de bonté. Surtout, c’est un affectif, que ses attachements rendent faible jusqu’à l’aveuglement : sa conduite à l’égard de ses neveux, et spécialement à l’égard du peu moral abbé Bossuet, à qui il voulut transmettre son évêché, est d’une déconcertante faiblesse. Le précieux journal tenu à partir de la fin de 1699 par son secrétaire, l’abbé Ledieu, est le triste témoignage de la manière honteuse dont le vieillard fut exploité par la famille de rapaces qui l’entourait. Plus étonnante pour nous est sa servilité, ce culte de lâtrie inconditionnelle qu’il rend au roi, qu’un Fénelon ou un Saint-Simon jugent à sa juste valeur. Son ambition est plutôt un trait d’époque, caractéristique de la classe sociale, alors en ascension, à laquelle il appartient. En revanche, on demeure surpris de son extraordinaire violence, qui, dans la polémique, l’a rendu totalement injuste et l’a conduit à employer des procédés indubitablement diffamatoires. Pour être équitable à son égard, il faut tenir compte de ces contradictions et de ces incohérences de caractère.

Seul l’artiste en lui demeure au-dessus de tout éloge. En ce domaine, où l’éducation de son temps ne pouvait rien lui apporter, Bossuet révèle des dons prodigieux. Il suffit qu’il prenne la plume, fût-ce pour écrire à son intendant, pour produire une œuvre d’art. La beauté poétique des images, le relief de l’expression, le rythme et la musicalité donnent à sa phrase, ordinairement ample et symétrique, une incomparable grandeur, où l’ordre demeure toujours expressif et dynamique. Son registre est limité : Bossuet n’a pas la violence dramatique et concise d’un Pascal ; mais, dans sa ligne, il est inégalable et demeure l’un des sommets du classicisme français.


L’orateur

Toutes ces qualités devaient faire de Bossuet un grand orateur. Il est possible qu’en ce domaine la couleur poétique de son style ait amené un siècle épris de clarté géométrique à ne pas l’estimer à sa juste valeur. Il est exact qu’il ne fut guère invité dans les chaires les plus réputées du Paris de son époque ; on ne saurait parler pourtant à son sujet d’une rivalité avec l’austère et froid Bourdaloue, car la carrière de celui-ci commença lorsque celle de Bossuet était pratiquement finie, puisque ce dernier ne prêcha plus guère après sa nomination comme précepteur du Dauphin en 1670, sinon pour des pièces de circonstance et des sermons familiers à ses diocésains.

Aujourd’hui, nous serions tentés de mettre au premier rang ses Sermons, à cause de leur liberté de forme et de lyrisme. Il est vrai que nous n’en possédons que des notes, maintes fois revues et raturées, dont Bossuet se servait pour improviser un texte sans doute bien supérieur encore. Tels que nous les retrouvons à travers les éditions critiques, ils n’en ont pas moins une envolée incomparable. Bossuet ne les estimait pas au même niveau que nous, puisqu’il ne chercha jamais à les publier. Le seul qu’il rédigea intégralement et qu’il fit imprimer de son vivant, car l’opinion lui donnait la valeur d’un manifeste, est le célèbre Sermon sur l’unité de l’Église prononcé à l’ouverture de la fameuse Assemblée du clergé de 1681-82 : ce morceau d’apparat est d’une extraordinaire beauté. Bossuet ne cherche pas à renouveler les lois du genre : son éloquence se coule aisément dans les formes classiques et les plans stéréotypés. Son originalité est ailleurs et tient surtout à la richesse d’une doctrine nourrie de la Bible et des Pères aussi bien qu’à la surprenante vigueur du style, dramatique et poétique à la fois. À cet égard, Bossuet est plus proche de nous qu’il ne l’était des auditeurs de son temps.