Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Bohême (suite)

La philosophie française des lumières a rencontré un large écho dans les milieux cultivés de l’Autriche. La Révolution française éveille donc des sympathies et des espoirs dans certaines couches de la bourgeoisie et du peuple. Mais l’exécution de Louis XVI et de Marie-Antoinette provoque une impression d’horreur dans une population attachée à l’idée monarchique et rejette vers la réaction les partisans modérés de l’ère des lumières. Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, la Bohême partagera loyalement le destin de l’État autrichien.


Le réveil national

Les années 1815-1848, que l’on appelle le Vormärz parce qu’elles précèdent mars 1848, transforment profondément la Bohême.

Plus que toute autre région de l’Autriche occidentale, le pays est touché par les premiers effets de la révolution industrielle. Les régions allemandes du pourtour s’industrialisent les premières, autour des mines de charbon et de lignite de la Bohême du Nord, à Aussig (Ústí nad Labem), Brüx (Most) et Pilsen (Plzeň). L’industrie textile traditionnelle, qui a connu dès le xviiie s. l’âge de la manufacture, se transforme en une industrie moderne, tandis que se mécanise la filature du coton à Reichenberg (Liberec). Les premiers entrepreneurs de la Bohême sont surtout des Juifs allemands, comme Liebieg, passé en quelques années de marchand de laine et de coton à la situation de grand industriel de Liberec. La population tchèque de la Bohême centrale reste plus à l’écart du mouvement. Des nobles commencent bien à développer après 1830 la culture de la betterave à sucre et à créer sur leurs terres les premières sucreries. Mais Prague reste un centre artisanal, avec une seule industrie importante : l’impression des étoffes, pratiquée dans des moyennes entreprises (Portheim), et qui est en crise à partir de 1844.

Les années 1815-1848 voient le réveil national du peuple tchèque, propagé dans les villes et les campagnes par des hommes modestes, les « éveilleurs », prêtres, instituteurs ou paysans. Ce réveil national s’affirme d’abord sur le plan de la culture. La langue tchèque a perdu le rôle de langue littéraire qu’elle a joué au xive s. Elle reste la langue du peuple des campagnes dans le centre de la Bohême, mais elle est exclue des châteaux de la noblesse et des salons de la bourgeoisie au profit de l’allemand et du français. Jusqu’au début du xixe s., les villes sont des centres de germanisation, et tout citadin tchèque qui veut faire carrière doit adopter la langue allemande. Tout change avec le romantisme et avec la naissance de l’histoire. Les Tchèques redécouvrent leur langue et leur passé. L’ancien jésuite Josef Dobrovský (1753-1829) publie une histoire de la langue et de la littérature tchèques. Josef Jungmann (1773-1847) contribue par son dictionnaire tchèque-allemand à fixer sous une forme nouvelle et scientifique la langue écrite, tout en l’enrichissant par des emprunts à d’autres langues slaves. En 1817 et en 1818, la découverte des manuscrits de Dvůr Králové et de Zelená Hora, faux créés par le bibliothécaire Václav Hanka (1791-1861), entretient le courant d’enthousiasme en faveur de la littérature populaire en langue tchèque. Mais la littérature tchèque renaît aussi avec d’authentiques écrivains, le Slovaque Jan Kollár (1793-1852), auteur de l’épopée lyrique la Fille de Slava (1824), et le poète Karel Hynek Mácha (1810-1836), auteur de Mai (1836).

Les Tchèques redécouvrent leur passé, en même temps que la grandeur du monde slave. Le Slovaque Pavel Josef Šafařík (1795-1861) écrit alors ses Antiquités slaves. Le Morave František Palacký (1798-1876) publie sa grande Histoire de la nation tchèque, en allemand à partir de 1836, en tchèque à partir de 1848. Le Musée de Bohême, créé en 1818 sous le patronage de la noblesse éclairée, les Šternberk, les Thun, encourage ce mouvement culturel.

La renaissance politique ne peut progresser au même rythme dans une Autriche tenue à l’écart de toute agitation par la censure. Si un grand noble allemand de Bohême, le comte Franz Anton von Kolowrat (1778-1861), partage après 1826 le pouvoir avec Metternich, en prenant le contrôle des affaires intérieures, l’ensemble des Allemands de Bohême ne participe pas non plus à la vie politique. Aussi, c’est une opposition bohême commune qui fait revivre après 1840 la diète de Bohême. Dans la Société pour le développement de l’industrie en Bohême, créée en 1833, les deux nationalités coopèrent, mais l’élément tchèque domine avant 1848. Dans le club politique secret le Repeal collaborent radicaux tchèques et allemands. Depuis les années 1820 et sous l’influence du comte Lev Thun (1811-1888), s’élabore une doctrine d’austroslavisme qui affirme la volonté des Slaves de l’Empire de maintenir et de défendre l’Autriche, mais qui réclame pour eux l’égalité avec la population de langue germanique. Jusqu’en 1865, l’austroslavisme va constituer l’essentiel du programme politique du peuple tchèque.


La révolution de 1848

Le succès de la révolution française de février 1848 provoque à Prague une brusque prise de conscience. Dès le 11 mars, une réunion populaire tenue à Prague adresse une pétition au souverain pour réclamer le respect des libertés, le renforcement des pouvoirs de la diète, l’égalité de la langue tchèque avec la langue allemande. Un comité, le comité de Saint-Venceslas, est élu par l’assemblée populaire et se transforme, le 10 avril, en un Comité national de cent membres, rassemblant des Tchèques et des Allemands. Mais l’union entre les deux nationalités ne peut être durable. Les Allemands de Bohême envoient des délégués au Parlement de Francfort, qui se donne pour programme la réalisation de l’unité allemande. Ils semblent donc renoncer à une Autriche indépendante. Palacký, dans sa célèbre lettre du 11 avril, proclame le refus des Tchèques de se rendre à Francfort : l’Autriche doit exister et protéger, dans un État juste et égalitaire, l’existence de tous les peuples de l’Europe centrale.