Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bohême (suite)

De Georges de Poděbrady aux Jagellons

La mort d’Albert en 1439 ouvre la longue minorité de Ladislav le Posthume (v. 1440-1457). Duc d’Autriche, roi de Bohême et de Hongrie, le jeune roi ne sera jamais en mesure d’exercer la moindre autorité dans ses États.

Georges* de Poděbrady (1420-1471), chef de la noblesse utraquiste et originaire de la Bohême de l’Est, s’empare de la ville de Prague et tient en échec la noblesse catholique, que dirige en Bohême du Sud Oldřich de Rožmberk (1403-1462). En 1452, il se fait nommer administrateur du royaume de Bohême, et, lorsqu’en 1457 le jeune roi meurt, la diète de Bohême le choisit pour successeur. Tchèque et utraquiste, le nouveau roi ne peut conserver la couronne que par une habile politique de conciliation à l’intérieur et de paix avec ses voisins à l’extérieur. Il recherche l’amitié de la Pologne et de la Hongrie — il marie sa propre fille au roi de Hongrie Mathias Corvin — ainsi que l’alliance du roi de France Louis XI, lui proposant même, en 1464, de créer une ligue pacifique des États européens. Mais le pape Pie II, qui n’a vu dans les Compactata qu’un compromis provisoire et qui est inquiet des progrès de l’Unité des frères, dénonce en 1462 les Compactata, proclame Georges de Poděbrady hérétique et appelle à une nouvelle croisade contre la Bohême. En 1468, l’ambitieux Mathias Corvin réussit à s’emparer de presque toute la Moravie, de la Lusace et de la Silésie. Appuyé sur la noblesse catholique de Bohême, il se fait même proclamer roi de Bohême à Olomouc. Georges de Poděbrady meurt en 1471, alors qu’il a déjà redressé la situation militaire. Il restera dans la conscience populaire « le dernier roi national ».

Sachant que seul un puissant souverain peut encore sauvegarder l’indépendance de la Bohême, il a recommandé à la diète l’élection d’un prince polonais, Ladislas Jagellon, qui est solennellement proclamé roi à Kutná Hora en 1471. Mais le nouveau roi a à faire face à une grave crise sociale, qui s’exprime en 1483 par une révolte populaire à Prague et par des insurrections dans les campagnes. Dès 1491, il doit s’appuyer sur l’alliance de Maximilien d’Autriche, que scelle en 1522 le mariage du jeune Louis Jagellon et de l’infante Marie. Ce jeune roi, au cours d’un règne agité (1516-1526), fait écraser en 1517, par Lev de Rožmitál († 1535), une révolte populaire. Mais la menace turque représente un danger plus immédiat. En 1526, Louis, roi de Bohême et de Hongrie, est tué et vaincu par les Turcs à la bataille de Mohács. La voie est libre pour la dynastie des Habsbourg.


Le xvie siècle : Réforme et Renaissance

Ferdinand de Habsbourg a épousé Anne Jagellon, la sœur du roi défunt. Mais s’il est proclamé roi par la diète de Bohême au mois de décembre 1526, c’est parce qu’il a promis de respecter les privilèges et l’intégrité territoriale du royaume et de maintenir les Compactata. L’élection n’a pas été une simple formalité juridique, mais l’expression du choix politique de la diète d’un État indépendant.

Le xvie s. amène dans toute l’Europe centrale de profondes transformations politiques et sociales. Les Habsbourg, en ajoutant la Hongrie et la Bohême à leurs possessions traditionnelles, posent les bases d’un vaste État multinational. Surtout la société de l’Europe centrale connaît une évolution inverse de celle de l’Occident. Alors que les progrès du commerce international ont favorisé à l’ouest les progrès des villes marchandes, ils ont joué dans l’est de l’Europe en faveur des grands domaines. Alors qu’aux xive et xve s. les rentes en nature et en travail ont reculé devant les cens en argent, les seigneurs imposent de nouveau à leurs paysans le système de la corvée. Les paysans les plus riches, les laboureurs, sont tenus à la corvée avec attelage, tandis que les plus pauvres apportent seulement la force de leurs bras. Les grands domaines deviennent de puissantes unités de production. Pour se rendre indépendants des importations de poissons salés de la mer du Nord, les nobles transforment en étangs des terres humides de la Bohême du Sud. Ils installent aussi sur leurs domaines des brasseries seigneuriales, assurées de trouver un débouché dans la population paysanne.

Tandis qu’augmente la puissance économique des domaines nobles, les villes entrent en déclin. Lorsque Ferdinand Ier veut lever des troupes en Bohême contre les protestants de la ligue de Smalkalde en 1546, il se heurte à une révolte des États, de la noblesse de Bohême et des villes. Mais les révoltés manquent de conviction et se réfugient dans l’attentisme. Après l’écrasement des protestants de l’Empire à Mühlberg en avril 1547, Ferdinand marche sur Prague et met fin sans difficulté à la révolte. Les villes en paient le prix plus que les nobles. De vastes confiscations leur enlèvent l’essentiel de leurs possessions dans le plat pays ; elles perdent leurs privilèges et leur ancienne autonomie au profit de fonctionnaires royaux. Une législation restrictive pèse sur les corporations artisanales, qui perdent de leur influence économique. En même temps, l’arrivée massive de l’argent américain enlève aux villes minières leur position privilégiée en Europe et précipite leur déclin.

Pour ramener l’ordre dans le royaume et combattre les sympathies religieuses pour la Réforme, les Jésuites sont appelés en Bohême en 1556 et établissent leur résidence à Prague dans le Klementinum. Le xvie s. devient donc pour la Bohême une période de retour à l’ordre et à l’autorité. Prague connaît à la fin du siècle une nouvelle période de prospérité, lorsque l’empereur Rodolphe (1576-1611) s’installe de nouveau dans la vieille résidence royale, le Hradčany. Il y attire des savants comme Kepler et Tycho Brahe, des artistes qui accroissent encore sa prodigieuse collection de tableaux, des artisans et des batteurs d’or. Prague devient un des grands centres européens de l’art maniériste. Rodolphe accorde, par la lettre de majesté de 1609, la liberté religieuse à ses sujets de Bohême.