Böcklin (Arnold) (suite)
Le sens caché de la vie
Ainsi, ses portraits (par exemple, celui de sa fille, Clara Bruckmann, 1876) sont-ils d’une rare vigueur. Mais, disait-il, « le portrait n’est pas de l’art », puisque le peintre n’invente pas son modèle. Et les paysans toscans, habitués aux paysagistes, n’étaient pas peu étonnés de l’apercevoir, dans le jardin de sa villa, assis devant son chevalet, mais les yeux fermés ! Böcklin, en effet, ne peignait d’ordinaire que dans son atelier. Servi par une mémoire prodigieuse, il n’usait point de modèles, recréant les corps, les végétaux, les rochers, auxquels son amour de la nature donnait une réalité si forte. La seule référence directe qu’il se permît était celle de sa collection de papillons, afin de vérifier la hauteur des tons employés.
Pour Böcklin, l’homme fait partie de la nature : s’il ne convient pas de cette dépendance, il s’expose à mésuser de la vie, dont lui échappera le sens secret. S’il vénère la nature, il recevra en échange la joie, car la nature fortifie le libre développement de nos instincts. Aussi, les petites divinités des eaux et des bois qu’affectionne Böcklin s’ébattent-elles volontiers sous nos yeux. Mais, de temps à autre, les jeux doivent laisser la place au recueillement : c’est l’heure mystique. Dans les pays germaniques, Böcklin s’inscrivait ainsi en faux contre l’idéalisme glacé d’un Anselm Feuerbach et la niaiserie bigote des nazaréens. Aussi, ses ennemis ironiseront-ils facilement à propos des trognes enluminées de Jeux de vagues (1883) par exemple. Pourtant, Böcklin n’est pas Jordaens, ni même Rubens ! C’est la nature dans toute son intensité et toute sa violence qui apparaît dans Triton et Néréide (1874), de même qu’elle se fait annonciatrice de mort dans Villa au bord de la mer (1865). Mais, si l’on a compris le sens de la vie, on doit accepter la mort d’un cœur tranquille : telle est la signification des six versions de l’Île des morts (1880-1890). D’ailleurs, sur la tombe de Böcklin, on peut lire : Non omnis moriar (« Que je ne meure pas tout entier »).
J. P.
➙ Symbolisme.
H. A. Schmidt, A. Böcklin (Munich, 1892-1901). / W. Barth, A. Böcklin (Frauenfeld, 1928). / F. Œstrich, A. Böcklin (Bergisch Gladbach, 1968).