Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

blues (suite)

De plus, la blue note apparaît aussi dans des improvisations et des orchestrations de thèmes étrangers par leur structure harmonique au blues. Il y a une façon « bluesy » de jouer que l’on retrouve dans nombre d’œuvres de jazz et qui amplifie l’importance du blues dans l’histoire du jazz. Il convient d’ailleurs de signaler que, lorsque des compositeurs européens comme Ravel (Concerto en sol) ou Darius Milhaud (la Création du monde) cherchèrent à évoquer la musique négro-américaine, ils citèrent le blues.

Si, pour les chanteurs surtout, le blues exprime un état d’âme spécifique, une sorte de cafard où le désespoir est balancé par un bon sens fataliste particulier à la société nègre, l’extension, dans tous les styles de jazz, de l’utilisation de cette trame harmonique et de ses dérivés exclut que le blues soit forcément un morceau lent ou triste.

La présence de thèmes de blues aussi bien dans le jazz de La Nouvelle-Orléans qu’aux époques du swing et du be-bop, suivies des retours du hard-bop, du cool, du funky, du free, et sa prédominance au temps du rock and roll et dans les œuvres populaires contemporaines confirment que le blues est, grâce à son ambiguïté tonale et modale, l’invention musicale la plus originale du peuple négro-américain.

Les textes de blues

C’est l’environnement quotidien qui fournit au chanteur-conteur de blues le thème de ses récits. Ainsi, les artistes campagnards (country blues) évoquent la situation misérable du métayer et de l’ouvrier agricole, le désastre des mauvaises récoltes, la prolifération du charançon (boll weevil), les inondations catastrophiques, la construction des digues, la crainte du cyclone. Cherchant à fuir cet enfer économique et social que représentait le Sud pour le peuple noir, l’émigration vers le Nord suscite un grand nombre de pièces où les routes et surtout les trains deviennent symboles de vie meilleure ; comme, en fait, ces migrations n’aboutissaient pas toujours, le thème du vagabond (hobo) revient très souvent.

Dans les faubourgs, la misère s’entoure d’un faux luxe d’artifices. L’alcool, le jeu, la drogue et leur cortège de misères fournissent aux chanteurs un fond inépuisable où la mélancolie est compensée par le renoncement. La contestation et notamment les conséquences de la ségrégation ne sont que rarement abordés directement. La métaphore, le sous-entendu, la comparaison équivoque, le clin d’œil sont les véritables armes de l’interprète. Plus tragiques sont les souvenirs rapportés par ceux qui ont connu la prison ou le bagne ; ce sont des leçons de résignation pour ceux qui seraient tentés de transgresser la loi. La guerre et la maladie, surtout la tuberculose (avant 1945), deviennent prétextes de méditations sur la vie et la mort. Néanmoins, en dehors des motifs économiques et historiques, à côté de chants qui glorifient des personnages légendaires ou réels (John Henry, Nat Turner, Roosevelt, Joe Louis...), l’amour est une source d’inspiration permanente. La femme qui vous quitte, le ménage à trois, l’homosexualité, les superstitions des voyantes offrent une gamme presque illimitée de situations où les vocalistes de blues découvrent l’occasion d’exposer une philosophie immuable : la vie est triste, cruelle, mais chanter sa douleur revient à s’en libérer, et, puisque nous sommes tous logés à la même enseigne, autant s’accommoder de ces conditions. Ainsi, le blues n’est ni désespéré, ni révolté, ni joyeux, ni optimiste.

C’est la complainte fataliste d’une race qui cherche à assumer pleinement son propre destin.

Le boogie-woogie

C’est en 1928, à Chicago, que des pianistes de bar découvrirent une manière originale d’interpréter le blues, en redoublant les basses (longues, brèves), c’est-à-dire en exprimant, à la main gauche, huit notes par mesure, tandis que la main droite improvisait des variations simples ou des riffs, parfois en syncope. Très apprécié par les danseurs, ce style, surnommé boogie-woogie, fut adopté aussi par des guitaristes, des chanteurs et, pendant la période swing, fut illustré par des arrangements pour grands orchestres (Roll’em de Benny Goodman [1937], Boogie-Woogie de Tommy Dorsey [1938]). Les principaux pianistes de boogie-woogie sont Pinetop Smith (considéré comme le créateur du style en 1928 avec Pinetop’s Boogie-Woogie), Big Maceo, Joshua Altheimer, Jimmy Yancey, Cow Cow Davenport, Cripple Clarence Lofton, Sammy Price, Memphis Slim, Albert Ammons, Pete Johnson, Meade Lux Lewis, Amos Milburn. De plus, un certain nombre de virtuoses non spécialistes — en particulier Count Basie, James P. Johnson, Mary Lou Williams, Earl Hines et Fats Waller — ont souvent affectionné cette manière de traiter le blues.

Par son caractère obsessionnel et la concentration rythmique qui en résulte, les traits du boogie-woogie se retrouvent souvent dans le rock and roll et la pop music. Les organistes se plaisent à utiliser cette forme de blues pour souligner leurs lignes de basse.

F. T.

 Big Bill Broonzy, Big Bill Blues (Éd. des Artistes, Bruxelles, 1955). / P. Olivier, Blues Fell This Morning (Londres, 1960 ; trad. fr. le Monde du blues, Arthaud, 1962). / S. B. Charters, The Bluesmen (New York, 1967).


Quelques grands interprètes du blues


William « Big Bill » Broonzy,

chanteur et guitariste américain (Scott, Mississippi, 1893 - Chicago 1958). Vingt et unième enfant d’une famille de paysans, il joua à Chicago, à partir de 1920, avec Memphis Minnie, Tampa Red, Leroy Carr, Big Maceo, Memphis Slim, Little Brother Montgomery, Kokomo Arnold, Big Boy Crudup et Charlie Jackson. Il exerça aussi divers métiers d’appoint avant d’être découvert par la critique et de devenir célèbre auprès du public blanc. Présenté au Carnegie Hall, à New York, en 1939, il participa ensuite à de nombreuses tournées aux États-Unis et en Europe.

Guitariste aux doigts déliés et agiles, chanteur à la voix chaude et souple, Big Bill Broonzy ajouta à son répertoire original du Mississippi des œuvres d’autres régions. Il a ainsi préservé de l’oubli un grand nombre de thèmes anciens.

Enregistrements : Big Bill Blues (1936), Slow Blues (1957).


John Lee Hooker,