Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

blindé (suite)

Le commandement britannique acquiesce, et il créera en juin 1917 l’arme nouvelle, le Royal Tank Corps, aux ordres du général Elles avec le lieutenant-colonel John Fuller (1878-1966) comme chef d’état-major. Les idées de Churchill seront suivies, mais Haig n’attendra pas d’avoir tous ses engins pour les engager ensemble par surprise. Le 15 septembre 1916, pendant la bataille de la Somme, il lance à Flers 49 tanks « Mark I » à l’assaut des positions allemandes. La plupart tombent en panne, et les résultats sont éphémères. Les chars français seront engagés pour la première fois le 16 avril 1917 : c’est la fameuse attaque du commandant Louis Bossut (1873-1917) près de Berry-au-Bac. L’affaire a été montée avec d’importants moyens (132 chars Schneider), mais le terrain se découvre plus difficile que prévu, et quelques chars seulement, rescapés des pannes et des coups d’artillerie, parviennent sur l’objectif.

Quand la guerre s’achève, les Anglais ont environ 600 chars. Les Français, outre les Schneider et les Saint-Chamond — véritable artillerie d’assaut —, ont engagé près de 3 000 chars légers Renault, conçus essentiellement pour l’accompagnement d’infanterie et qui ont joué un rôle essentiel dans la victoire de Foch en 1918 (150 ont été cédés aux Américains). Par contre, les Allemands ont délibérément négligé ce nouvel engin, dont ils n’ont, avant l’armistice, fabriqué que quelques exemplaires (type « A 7 V » [32 t]).


Les enseignements de la Première Guerre mondiale

Les conclusions tirées des engagements de chars ont été fort variées. L’idée première était de les employer pour la rupture, afin d’obtenir cette impossible percée du front qui devait amener la décision. Mais la production en masse des chars Renault conduisit à en faire avant tout un engin d’accompagnement de l’infanterie, dont il devenait une sorte de bouclier « blindé ».

Le malheur a voulu qu’en France l’instruction sur l’« emploi tactique des grandes unités » (1921) et celle sur les « chars de combat » (1929) se limitent pratiquement à cette mission. Les généraux ayant alors voix prépondérante étaient ceux qui avaient mené les combats infanterie-chars de 1918. Dès 1920, toutefois, Estienne (comme Foch) voyait beaucoup plus haut et beaucoup plus large et espérait bien de cette conjonction du feu et du mouvement un rôle non seulement tactique, mais aussi stratégique.

Ces idées furent reprises et entretenues par les écrivains militaires anglais Basil Liddell Hart (1895-1970) et John Fuller, et elles n’avaient pas échappé au général von Seeckt (1866-1936) quand il instruisait une armée allemande « interdite de chars » (1920-1926) ; mais l’écho en France était resté faible. En 1933, cependant, la cavalerie faisait admettre par le ministre la transformation de trois divisions à cheval en « divisions légères mécaniques » (D. L. M.). Cette évolution intéressait le général Martin, directeur des études à l’École d’application des chars (1931-1934), qui avait alors comme stagiaire le chef de bataillon Charles de Gaulle*. La thèse hardie du général Estienne ne pouvait rencontrer plus magistral avocat : en 1934, de Gaulle va donc exposer comment l’arme blindée devrait, à son avis, se préparer à jouer un rôle décisif dans la guerre de demain. Mais il intitule son livre Vers l’armée de métier, et l’opinion est heurtée par cette remise en doute du principe de l’« armée nationale », tandis que le gouvernement refuse, sous ce prétexte, d’étudier le plan de Gaulle au moment où l’énorme exigence financière de la ligne Maginot le rend incapable d’envisager d’autres dépenses militaires.

Le livre du futur général de Gaulle venait renforcer les thèses de Liddell Hart et de Fuller (qui aboutissent en 1935 à la création du Royal Armoured Corps britannique), tout en fournissant à leur disciple, le général allemand Guderian (1888-1954), un merveilleux encouragement à faire admettre son livre révolutionnaire Achtung ! Panzer (Attention chars !, 1937). Depuis trois ans, Hitler est au pouvoir, et la théorie de la guerre des blindés présentée par Guderian lui paraît tellement bien fournir l’outil de sa politique de conquête qu’il décide la mise sur pied des trois premières Panzerdivisionen (1935), tandis que la guerre d’Espagne (1936-1939) donne à l’état-major allemand un remarquable champ d’expériences pour l’emploi de la nouvelle arme.

Un avertissement prophétique

Le 25 mai 1919, le général Jean Estienne adressait au G. Q. G. de Pétain un rapport d’ensemble sur les chars exprimant clairement les principes qui, méconnus par l’état-major français, feront en 1940 la victoire de l’arme blindée... allemande : « La bataille commencera par une bataille de chars [...]. Les masses de chars seront éclairées par des chars rapides, des motocyclistes et des autos blindées, accompagnés par leur artillerie très mobile et dotée d’affûts à moteur [...] ; les avions interviendront dans la lutte avec leurs bombes [...]. » — « Réfléchissez, dira le même Estienne dans une conférence prononcée à Bruxelles le 7 mai 1921, au formidable avantage [...] que prendront sur les lourdes armées du plus récent passé 100 000 hommes capables de couvrir 80 km en une nuit [...]. Il suffit pour cela de 8 000 camions ou tracteurs et de 4 000 chars à chenilles montés par une troupe de choc de 20 000 hommes [...]. »


La Seconde Guerre mondiale ou la guerre des blindés


La guerre éclair des Panzer (1939-1942)

Le 20 avril 1939, à la parade donnée pour les cinquante ans du Führer, le général anglais Fuller a été invité. Au moment où les Panzer défilent, Hitler se penche vers lui : « Que pensez-vous de vos enfants ? », et Fuller de répondre : « Ils ont tellement grandi que je ne les reconnais plus ! » Le 1er septembre 1939, six divisions blindées allemandes attaquent la Pologne, qu’elles conquièrent en trois semaines. Le 10 mai 1940, dix Panzerdivisionen (2 700 chars) se lancent sur la Belgique et la France. Entre-temps, l’Allemagne a abandonné la construction des chars trop légers (« Kw I » et « Kw II ») et amplifié celle du « Kw III » de 15 t.