Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Blasco Ibáñez (Vicente) (suite)

La jeunesse, de son temps, faisait ses premières armes dans la presse. À seize ans, Blasco fonde un hebdomadaire, puis un autre, et il écrit des contes et des légendes en castillan ou en valencien. À vingt ans il se frotte aux révolutionnaires ; à vingt-trois ans il devient un leader et doit s’exiler à Paris. Au retour, il se proclame républicain et fédéraliste, et traite sans égards ses compagnons de lutte. La prison à laquelle on le condamne lui vaut une grande popularité. Il monte alors un grand journal, El Pueblo (le Peuple).

Le démon de la littérature et le démon de la politique partagent son temps et son cœur. Après quelques poèmes, une pièce de théâtre et des romans-feuilletons du genre historique, enfin voici, en feuilleton, puis sous forme de livre, un petit chef-d’œuvre, Arroz y tartana (Riz et tartane, 1894), sur la bourgeoisie besogneuse et ostentatoire. C’est le premier d’une très belle série, les romans valenciens, les romans du terroir. L’année suivante sort Flor de mayo (Fleur de mai), une histoire de pêcheurs contrebandiers, nourrie d’une expérience personnelle, sa traversée à Alger. Procès et duels, exil en Italie. Blasco raconte crûment, à la manière naturaliste, les lâchetés et les audaces de la pègre qu’il avait rencontrée en prison (Cuentos valencianos [Contes valenciens], 1897) ainsi que la sombre querelle des terriens et des propriétaires fonciers (La barraca [Terres maudites], 1898). Il a découvert à Milan la grande musique, le bel canto et l’amour bohème : il écrit donc Entre naranjos (Sous la pluie blanche des orangers, 1900). Cependant, par trois fois il est élu député (1898, 1899, 1901). Meetings, duels, recueil de contes, polémiques. Blasco lit Salammbô (qui date de 1862) et écrit Sonnica la cortesana (Sonnica la courtisane, 1901), qui se passe au temps d’Hannibal, à Sagonte, près de Valence. C’est alors qu’il s’éprend de la peinture impressionniste ; et il s’inspire de ses procédés dans Cañas y barro (Paludes, 1902), son roman le mieux venu.

La provinciale Valence était trop étroite pour son exubérance. Romancier, Blasco traite de problèmes sociaux : La catedral (de Tolède) [1903], El intruso (1904), qui se passe à Bilbao, La bodega (la Cité des futailles, 1905), La horda (la Horde, 1905). Cinquième et sixième élection aux Cortès. Mais la littérature l’emporte sur la politique. En 1908 paraît Sangre y arena (Arènes sanglantes), une histoire de toréador, puis en 1909 Los muertos mandan (Les morts commandent), sur les Juifs convertis de Majorque. Dans le sillage de sa renommée, Blasco traverse quatre fois l’Atlantique, se met en tête de créer en Argentine une, puis deux colonies « a-crates », « Cervantès » et « Nouvelle-Valence », où le paternalisme se marie à l’anarchie. C’est l’échec et la banqueroute (1914). La Grande Guerre relance de nouveau son inspiration : partisan des Alliés, il écrira désormais pour le droit et la civilisation. Les États-Unis font un sort à Los cuatro jinetes del Apocalipsis (les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, 1916). Les romans de Blasco triomphent au cinéma.

Désormais, les honneurs et la vie mondaine freinent sa verve et gâtent son talent : il écrit pour les dames et les touristes.

Au dernier moment, un regain de l’humeur politique vient troubler sa bonne conscience. Blasco prend parti en 1924 contre la dictature de Primo de Rivera et lance un manifeste pour la république, tandis que, de front, il produit des romans aux intrigues excitantes, mais trop bien articulées (El papa del mar, 1925, ou Benoît XIII excommunié ; A los pies de Venus, 1926). Il meurt en 1928 dans son domaine de Menton, Fontanarosa, qu’il voulut léguer aux romanciers du monde.

Blasco, ce grand tempérament, passa pour un génie, certes point en Espagne, mais partout à l’étranger. Comme l’on vivait alors un grand roman, l’accession au pouvoir politique de la petite bourgeoisie, et une épopée, la guerre, il comblait le sentiment le plus profond de ses lecteurs, car il les représentait en même temps comme des héros et des victimes : héros sans le vouloir, victimes fières de leur sacrifice. Et puis, avec cette fausse lucidité du sceptique, il les convainquait que toujours il en avait été de même, au temps d’Hannibal et au temps de César Borgia.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette conception épico-bourgeoise de l’histoire ? Tout juste les cinq romans valenciens (1895-1902), mais qu’il faut lire souvent dans les premières éditions, avec leur métier naturaliste ou impressionniste ; car Blasco, succombant au leurre des publics internationaux, les récrivit lui-même, parfois, dans un style neutre et plat, à leur mesure.

Que reste-t-il ? Une œuvre bien de son temps.

C. V. A.

 C. Pitollet, Vicente Blasco Ibáñez, ses romans et le roman de sa vie (Calmann-Lévy, 1921). / J.-L. León Roca, Vicente Blasco Ibáñez (Valence, 1967).

Blasis (Carlo)

Danseur, chorégraphe et théoricien de la danse italien (Naples 1795 - Cernobbio, Côme, 1878).


La carrière de danseur et de chorégraphe de cet élève de Dauberval, de Pierre Gardel et de Salvatore Vigano, bien que jalonnée de succès, n’a pas l’importance de son œuvre didactique, à laquelle se réfère encore l’enseignement de la danse. Artiste cultivé et même érudit — il rédigea des ouvrages sur de nombreux sujets fort éloignés de la danse —, Blasis fut l’ami des sculpteurs Antonio Canova, Lorenzo Bartolini et Bertel Thorvaldsen, ainsi que du chorégraphe August Bournonville.

Fixé à Marseille avec sa famille, il commence à y étudier la danse, puis se rend à Bordeaux, où il débute (1816). Il est à l’Opéra de Paris en 1817, parcourt l’Italie, où il remporte de nombreux succès (Rome, Milan, Venise), puis se rend en Angleterre en 1827. Il manie fort bien le français, et c’est dans cette langue qu’il rédige son premier ouvrage, Manuel élémentaire théorique et pratique de l’art de la danse, commencé lors d’un séjour à Paris et publié à Milan en 1820. Le ton général de ce manuel révèle l’enthousiasme qu’il ressent devant l’évolution de la danse, devant sa technique chaque jour plus rigoureuse, devant les attitudes et les gestes nets, la précision et la rapidité d’exécution, la virtuosité des pirouettes. Aussi peut-on lui reprocher, lui qui admire tant la rigueur, d’user d’une terminologie et de définitions parfois un peu vagues. Son Manuel complet de la danse (1830) est la traduction du Code of Terpsichore, rédigé par l’Anglais R. Barton sous « sa surveillance immédiate » en 1828 et revu par Pierre Gardel. Blasis publie Notes sur la danse en 1847. Ce qui n’était avant lui que recherche intuitive va devenir avec lui théorie, puis lois. La danse est une géométrie que dessine le corps toujours en équilibre. C’est la formule de cet équilibre que Blasis détermine. Dans son enseignement, il met surtout l’accent sur cette nécessité absolue qui permet d’atteindre la perfection du geste, du pas. Les sauts des danseurs, les pas sur pointes des danseuses sont contrôlés ; des positions de départ, et surtout d’arrêt, sont fixées. Pédagogue remarquable, Blasis, secondé par sa femme, Annunziata Ramaccini (1807-1892), enseigna de 1837 à 1850 à Milan, puis à Paris, Varsovie, Lisbonne et Moscou, où il publia un ouvrage en russe (1864). Sa méthode, en dépit de quelques modifications (dues à certaines particularités nationales), est encore en usage actuellement ; les exercices d’entraînement, s’ils n’ont pas conservé le même ordre, sont les mêmes, et ce dans le monde entier. Carlo Blasis eut de très nombreux élèves, et les théâtres d’Europe et d’Amérique de son époque revendiquèrent comme tels leurs premiers danseurs et leurs premières danseuses. On peut dire qu’à l’heure actuelle la presque totalité des enseignants de la danse ont été à son école par l’intermédiaire de l’un de ses disciples, Giovanni Lepri, professeur d’Enrico Cecchetti (1850-1928), qui forma à l’école impériale de Saint-Pétersbourg, Anna Pavlova, Carlotta Zambelli, Olga Preobrajenska, Vaslav Nijinski, Serge Lifar, Leonid Massine, Michel Fokine, puis Ninette De Valois, Alicia Markova, Anton Dolin, etc., pédagogues réputés dont bien des étoiles contemporaines suivirent les classes.

H. H.