Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bismarck (Otto, prince von) (suite)

L’Église catholique allemande, encouragée par le pape Pie IX, s’oppose à l’application des lois de mai par une résistance passive. Comme les évêques « ignorent » les lois, les tribunaux infligent des amendes et des peines de prison. L’exercice du culte se trouve menacé ; les actes des prêtres nommés illégalement ne sont plus valables aux yeux de la loi. Pour remédier à cette situation, Bismarck fait nommer des administrateurs provisoires aux sièges vacants et donne au mariage civil seule valeur légale. En 1874-75, il ordonne une répression plus sévère, qui entraîne l’emprisonnement de centaines de prêtres. Le Zentrum, fort de ses 86 sièges obtenus en 1874 et des talents de son chef, Ludwig Windthorst (1812-1891), attaque durement la politique de Bismarck. Contrairement aux espoirs du chancelier, le clergé ne cède pas, et c’est Bismarck qui donne des signes de lassitude. Conscient de l’échec de sa politique, Bismarck songe à mettre fin au Kulturkampf dès 1877. Sensible à l’influence d’une partie de la cour prussienne, obligé de rechercher l’appui du centre pour sa réforme douanière, soucieux d’éviter la formation d’une coalition catholique, Bismarck voudrait déposer les armes sans « aller à Canossa ». L’avènement de Léon XIII (1878), pape conciliant, permet des contacts, malgré la rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et Berlin. Les premiers contacts (1878-79) avec le Saint-Siège et avec les chefs du centre aboutissent à un échec. Bismarck doit lâcher du lest : entre 1880 et 1883, il accepte des modifications partielles à la législation en vigueur, tout en maintenant les principes. Le gouvernement rétablit les crédits affectés à l’Église catholique ; les évêques suspendus reprennent leurs sièges... Bismarck fait de nouvelles concessions en 1886-87 ; le projet de révision des lois de mai est voté par le centre, en avril 1887, après intervention du Saint-Siège, qui met fin à l’intransigeance de Windthorst et de ses amis. La paix religieuse est rétablie. Si l’Église sort moralement renforcée de la crise, le prestige de Bismarck se trouve compromis par une reculade qui affecte fortement son autorité.


Bismarck et les socialistes

Impressionné, dès 1875, par les progrès de la social-démocratie, Bismarck, qui a tendance à confondre les socialistes avec les anarchistes, manifeste l’intention, depuis les élections de 1877, de briser le parti. Sa politique présente deux aspects complémentaires : détruire la social-démocratie grâce à une loi d’exception ; introduire quelques réformes sociales au profit des travailleurs, clientèle électorale des socialistes.

Exploitant habilement deux attentats anarchistes commis en mai et juin 1878 contre l’empereur Guillaume Ier, Bismarck obtient du nouveau Reichstag, élu en juillet 1878, le vote de la loi du 21 octobre 1878. Cette loi sera reconduite jusqu’en 1890. Elle interdit les groupements, qui servent aux sociaux-démocrates et aux communistes à attaquer l’État ou à ébranler l’ordre social. Elle interdit également les rassemblements, les démonstrations publiques, la presse socialiste ; les membres des groupements socialistes peuvent se voir signifier une interdiction de séjour dans certaines villes et régions. Mais la loi n’empêche pas les députés socialistes de siéger au Reichstag ; elle ne supprime pas le droit de coalition.

La loi du 21 octobre 1878 entraîne une désorganisation rapide du parti social-démocrate et des syndicats à direction socialiste. Dans les douze années de son application, 150 périodiques et 1 067 livres sont frappés, et de nombreuses personnes doivent quitter leur domicile. Malgré cette répression très dure, Bismarck n’atteint pas le but recherché, car les socialistes mettent sur pied une organisation illégale qui permet la propagation de leurs idées. De Suisse, de Belgique, de nombreuses publications passent en Allemagne. L’organe des socialistes, le Social-Démocrate, tiré à 12 000 exemplaires, à Zurich, puis à Londres, entre dans le Reich sous divers camouflages. La propagande clandestine porte ses fruits. Très vite, la social-démocratie retrouve et élargit sa clientèle électorale : tombée à 311 961 voix en 1878, elle obtient 549 990 voix en 1884, 763 128 voix en 1887. Devant cet échec, Bismarck réagit de deux manières. Pour désarmer les socialistes, il pratique la « politique du bout de sucre », dans l’intention d’amadouer la classe ouvrière et de la réconcilier avec l’État. C’est ainsi que, reprenant les idées des « socialistes de la chaire », il fait voter par le Reichstag une loi d’assurance contre la maladie (1883), une loi d’assurance contre les accidents (1884) et même une loi d’assurance vieillesse (1889). Ces lois passent malgré l’opposition des tenants du libéralisme économique et des socialistes. Ces derniers estiment les cotisations ouvrières trop lourdes par rapport à la part patronale, mais ils dénoncent surtout la manœuvre politique qui est à l’origine de la législation sociale bismarckienne. Cette législation, si elle a le mérite d’être la première en Europe, n’empêche pas de nouveaux progrès socialistes ; Bismarck s’efforce de les combattre par un renforcement de la répression. Il revient, à partir de 1886, à la « politique du fouet ». L’interdiction des rassemblements publics, la multiplication des poursuites judiciaires ne donnent pas les résultats escomptés. Les sociaux-démocrates obtiennent un véritable triomphe aux élections de février 1890, avec 1 427 300 voix et 35 sièges. L’empereur Guillaume II désapprouve, en 1890, les méthodes bismarckiennes, et l’opposition sur les questions sociales apparaît comme l’une des causes de la démission du chancelier.


L’essor économique de l’Allemagne

Le développement économique de l’Empire bénéficie des mesures imposées par Bismarck pour renforcer l’unité. Le chancelier, avec l’accord du parti national-libéral, représentant des milieux d’affaires, impose une unité monétaire, le mark (1873), et la création d’une banque d’Empire (1875). Il est moins heureux, en revanche, dans sa politique d’unification ferroviaire. Il arrive à étatiser, petit à petit, les chemins de fer prussiens, mais la résistance des autres États et le manque de moyens financiers ne lui permettent pas de racheter aux compagnies privées l’ensemble des voies ferrées allemandes.