Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

biotope (suite)

La hiérarchie des biotopes

On doit à Richard Hesse (1924) un essai de classification en sous-unités et en superunités des « composants-supports » de la biosphère. Celle-ci est scindable initialement en trois systèmes différents, ou biocycles (marin, eau douce, terrestre), puisque chacun d’eux présente des conditions d’habitat particulières pour les êtres vivants qui s’y trouvent. Ces systèmes sont distincts les uns des autres, bien que certaines espèces animales (Saumons, Anguilles parmi les Poissons, Amphibiens, Insectes) appartiennent à deux biocycles au cours de leur vie. Chacun des biocycles est ensuite subdivisé en superbiochores, biochores, subbiochores, biotopes, faciès. Ainsi les plages de vase, de sable, de graviers, de galets sont autant de biotopes plus ou moins bien délimités, pouvant présenter des variations, ou faciès. L’ensemble de ces plages, qui correspondent à un type de rivage marin non rocheux, représente une entité supérieure au biotope, appelée subbiochore (Hesse). Les rivages rocheux constituant de la même manière un subbiochore, la réunion des deux types de côtes forme un biochore. De semblables subdivisions étant applicables aux fonds marins, le littoral marin et le fond marin édifient ensemble un superbiochore. En réalité, on parle plus communément encore des microbiotopes, qui peuvent être quelquefois assimilés aux faciès de Hesse. Ces microbiotopes concernent par exemple un rocher ou même chacune des faces de ce rocher, dont l’exposition au soleil, au vent, à la pluie est différente. Ils désignent aussi bien d’ailleurs une quelconque anfractuosité, une coulée de sève provoquée par la blessure d’un arbre, un cadavre ou le tronc d’un arbre en décomposition, etc.


Un exemple : les rivages sablonneux

Les biotopes, ainsi définis, sont donc distingués, classés, délimités en faisant appel en premier lieu à des critères d’ordre édaphique, topographique et climatique, qui caractérisent la nature physique du milieu. Ainsi, pour le littoral marin, des zones plus ou moins parallèles au découpé des rivages peuvent être distinguées, ce qui permet de définir, par exemple dans la région du Cotentin, les biotopes suivants (H. Chevin, 1966) :
a) la plage : étendue de sable, interrompue ou non par des rochers, que la mer découvre à marée basse et où se trouvent les « varechs d’échouage » ; b) le haut de plage, constitué par des formations végétales de faible largeur et parallèles au rivage ; c) la dune externe, de dénivellation importante ; bordant le rivage, elle est fortement soumise à l’action des vents venus de la mer ; d) les dunes fixées, constituées par une succession de dénivellations plus ou moins importantes, et dont la couverture végétale est fortement influencée par l’exposition du terrain ; e) les mielles, qui appartiennent encore à l’arrière des dunes fixées. Elles sont mises en culture et sont suivies par les terrains anciens de l’intérieur.


Communautés et écosystèmes

Les biotopes sont favorables ou défavorables au développement de communautés végétales (phytomes ou phytocénoses) et de communautés animales (zoomes ou zoocénoses). De la sorte, ils sont aussi délimités et définis par la qualité du monde vivant qui s’y maintient de façon plus ou moins constante. On y reconnaît les espèces « dominantes », « influentes », « récessives » et même les espèces « accidentelles ». Cette classification a été établie selon les méthodes phytosociologiques classiques, ou d’après une terminologie dérivée de celle de F. S. Bodenheimer (1955).

Les communautés végétales et les communautés animales constituent la communauté biotique et le biome des auteurs de langue anglaise, la biocénose des Européens. Pour tout synécologiste, à tout biotope correspond une communauté vivante plus ou moins caractéristique. L’ensemble de ces deux entités forme un écosystème, concept introduit par A. G. Tansley (« The Use and Abuse of Vegetation Concepts and Terms » dans Ecology XVI, 1935) pour désigner les communautés sous l’aspect de leurs échanges d’énergie et de matière. Pour certains, le biotope doit contenir des ressources suffisantes pour assurer le maintien de la vie (Davis, 1960), et, dans ce cas, la biocénose vit en autarcie. Pour d’autres, le biotope peut n’être qu’un support physique, les consommateurs dominants trouvant leur nourriture dans une productivité primaire venue de l’extérieur. C’est le cas du banc d’Huîtres, dont l’étude conduisit Mobius (1877) à introduire le terme de biocœnosis dans la littérature scientifique. C’est aussi le cas de la biocénose cavernicole*, qui, composée typiquement de Troglobies, n’en comprend pas moins des hôtes occasionnels, ou Trogloxènes, et des hôtes plus ou moins adaptés à la vie cavernicole, ou Troglophiles. Ces derniers ouvrent la biocénose sur le monde extérieur.


Biotope et adaptation

Il existe évidemment de multiples interactions entre le biotope et sa biocénose. En particulier, la diversité des organismes vivants qui s’y trouvent est d’autant plus faible que la contrainte sélective du biotope est plus élevée. C’est d’ailleurs dans les biotopes aux conditions de milieu sévères que l’on trouve les types d’adaptation les plus élaborés, ayant des caractères communs indépendamment de la position systématique des espèces animales et des espèces végétales de la biocénose. Par exemple, l’absence de lumière dans les cavernes conduit chez les Insectes à une dépigmentation, à l’atrophie des ailes et des yeux, à l’allongement des soies, à des modifications de forme du corps et des appendices (René Jeannel, 1943). De même, les animaux des torrents présentent des moyens de résistance et d’ancrage sans lesquels ils ne pourraient se maintenir dans un tel biotope, caractérisé par de fortes actions mécaniques de l’eau (Georges Lemée, 1967).

J.-R. L. B.

 R. Hesse, Tiergeographie auf Ökologischer Grundlage (Iéna, 1924 ; 2e éd., avec W. C. Allee et K. P. Schmidt, Ecological Animal Geography, New York, 1951). / F. S. Bodenheimer, Problems of Animal Ecology (Londres, 1938 ; trad. fr. Précis d’écologie animale, Payot, 1955). / R. Jeannel, les Fossiles vivants des cavernes (Gallimard, 1943). / H. G. Andrewartha et L. C. Birch, The Distribution and Abundance of Animals (Chicago, 1954). / J.-M. Pérès, Océanographie biologique et biologie marine (P. U. F., 1963). / H. Chevin, Végétation et peuplement entomologique des terrains sablonneux de la côte ouest du Cotentin (Thèse, Cherbourg, 1965-66). / W. Kühnelt, Grundriss der Ökologie unter besonderer Berücksichtigung der Tierwelt (Iéna, 1965 ; trad. fr. Écologie générale, concernant particulièrement le règne animal, Masson, 1969). / G. Lemée, Précis de biogéographie (Masson, 1967). / R. Dajoz, Précis d’écologie (Dunod, 1970). / R. Molinier et P. Vignes, Écologie et biocénotique (Delachaux et Niestlé, 1971).