Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Besançon (suite)

Active et riche, Besançon fut aussi une remarquable ville d’art, trop longtemps méconnue : peut-être en raison d’une certaine austérité de sa physionomie architecturale. Mais les quartiers anciens, homogènes et bien conservés avec leurs hôtels, leurs églises baroques, leurs quais, leurs places et leurs fontaines, composent, dans un paysage pittoresque, un ensemble d’une dignité et d’une harmonie rarement égalées.

Les principaux vestiges de la cité antique se groupent, avec la cathédrale médiévale, dans la partie haute de la ville, sur les premières pentes du massif rocheux qui porte la citadelle. Ce sont les colonnes d’un nymphée, auquel aboutissait l’aqueduc principal de la ville, et la « porte Noire », arc de triomphe élevé sous Marc-Aurèle. Un important autel chrétien du ive s. subsiste dans la cathédrale. Celle-ci, construite au milieu du xiie s., est un vaisseau à deux absides opposées, sans façade, qui atteste les étroites relations de Besançon avec l’art rhénan.

Mais le visage actuel de la ville se dessine au xvie s., époque brillante où la faveur des juristes comtois, fonctionnaires et hommes de confiance de Charles Quint enrichit la ville et l’ouvre aux courants nouveaux de la pensée et de l’art. C’est le chanoine Ferry Carondelet, conseiller de l’empereur et ami d’Erasme, dont le tombeau renaissant orne la cathédrale qui lui doit en outre une œuvre maîtresse de Fra Bartolomeo, la Vierge entourée de saints, dans laquelle il figure comme donateur. Ce sont surtout les deux Granvelle, hommes d’État de renommée internationale. Le père, Nicolas Perrenot (1486-1550), d’origine paysanne, conseiller au parlement de Dole, devient chancelier de l’empereur. Il fait construire de 1534 à 1547 le palais qui abritera ses richesses d’art : collection célèbre réunie par un amateur insatiable autant qu’éclairé. Son fils Antoine (1517-1586), le cardinal, protecteur de Christophe Plantin et de Juste Lipse, premier ministre des Pays-Bas et vice-roi de Naples sous Philippe II, enrichit encore les collections du palais. Devenu musée historique, celui-ci dresse encore, au centre de la ville, sa façade à pilastres d’une sobre noblesse. D’autres édifices publics — palais de justice attribué au Dijonnais Hugues Sambin (1518 - v. 1601), hôtel de ville à la sévère façade de bossages (1569-1573), porte Rivotte, porte des Carmes avec sa fontaine où le duc d’Albe paraît en Neptune — appartiennent à la même époque. Mais, surtout, la Grande-Rue, qui descend vers le Doubs, et le faubourg de Battant, quartier des vignerons qui la prolonge sur l’autre rive, conservent une majorité de maisons très typiques du xvie ou du début du xviie s.

La crise européenne de la guerre de Trente Ans va créer dans l’histoire de Besançon une coupure décisive. En 1648, le traité de Westphalie attribue formellement la ville à l’Espagne. Elle partagera désormais le destin de la Comté. Conquise en 1668, puis de nouveau en 1674, elle devient française à la paix de Nimègue, et Vauban rénove ses fortifications, laissant une citadelle agrandie, des quais qui donnent aux rives du Doubs une grande noblesse, et une ceinture de bastions qui protègent la tête de pont de Battant. Supplantant Dole, capitale historique de la Comté, Besançon reçoit le parlement (1676), la Chambre des comptes, la Monnaie, l’université (1691).

Le xviiie s., avec l’administration intelligente des intendants, marque une ère nouvelle d’activité architecturale et d’urbanisme. À la succession des églises qui jalonnent le passage du baroque (Saint-François-Xavier, 1680-1688 ; Saint-Maurice, 1712-1714 ; Notre-Dame, 1720) au classicisme (la majestueuse Sainte-Madeleine de Nicolas Nicole [1702-1784] ; Saint-Pierre, à plan de croix grecque, 1782-1786) répond celle des monuments civils. Les uns sont des créations locales (hôpital Saint-Jacques, palais épiscopal), qui se distinguent souvent par leurs grilles magnifiques. D’autres sont l’œuvre d’architectes parisiens en renom : Victor Louis établit les plans de l’Intendance (préfecture actuelle, 1771-1778), Nicolas Ledoux construit le théâtre (1777-1784). La création de places et de promenades contribue à l’agrément de la ville.

Le musée des Beaux-Arts de Besançon se vante à bon droit d’être le plus ancien de France : les restes de la collection Granvelle, dispersée par les héritiers, furent acquis par la municipalité et rendus accessibles aux visiteurs dès 1694 (Descente de croix du Bronzino, retable de Bernard Van Orley, portrait du chancelier de Granvelle par Titien). La collection léguée par l’architecte bisontin Adrien Paris (1746-1819) est d’une richesse exceptionnelle pour la connaissance du xviiie s. français (série de sanguines et de sépias de Fragonard et d’Hubert Robert). À ces joyaux s’ajoute la donation du peintre Jean Gigoux (1806-1894). Les centaines de tableaux que ce Bisontin, romantique estimable, légua au musée assurent à celui-ci une diversité rare : les Hollandais et les Espagnols, Chardin et Lawrence y voisinent avec le xixe s. français.

P. G.

besoin

Sensation d’un manque poussant les êtres vivants à des comportements dont la finalité vise à sa cessation.


La supposition que les besoins de l’homme relèvent d’une nature immuable ou d’une essence historiquement constituée fonde l’anthropologie* et ses disciplines dites « sciences humaines » : économie politique, sociologie et leurs variantes psychosociologiques. Elle a été contrebattue sur le plan politique par les adversaires de la « société de consommation », qui dénoncent la vacuité du bonheur-bien-être, et sur le plan scientifique par les courants « structuralistes », qui tiennent pour imaginaire l’idée d’une essence humaine. Le besoin est d’ordinaire conçu comme sentiment d’un manque, et cette position subjective l’inscrit dans le registre du psychisme ; mais, par une ambiguïté constitutive, il désigne également le manque objectif, ce qui fait défaut à l’équilibre, à la conservation ou au développement d’un organe ou d’un être. Cette ambiguïté permet de réduire le psychique au biologique. La faim et la soif en sont les prototypes les plus prégnants. Le dessèchement de la muqueuse du pharynx provoque une excitation, portée à la conscience comme sentiment de soif, que la boisson peut étancher. Sur ce modèle, peut-on se proposer le bonheur par la production de biens et des services adéquats aux manques et aux tensions des pulsions et des désirs de la vie psychique ? C’est bien ce que prétend l’idéologie productiviste, à l’Est comme à l’Ouest. La production essaie de répondre aux besoins donnés ; les études de motivations et autres enquêtes sociologiques en donnent le savoir objectif ; les besoins étant donnés et connus, le bonheur est affaire de stratégie de développement et de politique de répartition. On a objecté que, dans les économies de profit, seuls sont pris en considération les besoins solvables et les investissements rentables, ce qui entraîne la production d’objets superflus (gadgets) ou secondaires (luxe) au détriment des besoins urgents (nourriture et logement, santé et éducation) des couches défavorisées et des peuples sous-développés. Marx a montré que les besoins, loin d’être donnés par la nature humaine à la production des biens susceptibles de les satisfaire, sont imposés par la production au consommateur. « La production produit les biens, la manière de les consommer et jusqu’au désir de ces produits. » La condamnation de la « société de consommation » remet a l’honneur cette analyse, quand elle fait grief à la publicité de conditionner nos aspirations. La consommation est encore récusée dans sa prétention de répondre à une demande objective, par le fait que les biens convoités sont exhibés comme signes d’appartenance à une couche sociale. Faire connaître et reconnaître le prestige et la réussite est leur véritable fonction. La consommation, toujours différentielle, est le support et le signe de l’inégalité sociale. La finalité de la production s’est vue contestée, comme imposant et satisfaisant de faux besoins, les vrais étant ignorés et insatisfaits. Le nom de Marcuse est associé à cette problématique. Mais comment penser ces « vrais » besoins ? On doit à J. Lacan la réfutation la plus profonde de l’usage illégitime de la notion de besoin dans les sphères psychiques et sociales. Lacan a « démonté » cette notion en l’articulant sur celles de « demande » et de « désir ». Le besoin est une énergie purement organique, la pulsion et le désir sont eux à l’œuvre dans les processus psychiques. Le besoin n’existe donc jamais à l’état pur chez l’homme. D’abord il se formule dans le langage et s’adresse à autrui sous forme de demande. Celle-ci vise en fait tout autre chose que l’objet qui pourrait combler un manque. Le désir qui investit la demande en fait, selon les termes de Lacan, « demande d’une présence ou d’une absence. Elle est avant tout demande d’amour ». La demande ne peut jamais être éteinte, parce que le désir latent qui l’anime n’a pas d’objet qui puisse le combler ; il n’est désir ni de quelque chose ni de quelqu’un, mais maillon d’une chaîne sans fin. Ce qui renverse l’idéal productiviste et sa notion idéologique de besoin.

A. S.