Besançon (suite)
Active et riche, Besançon fut aussi une remarquable ville d’art, trop longtemps méconnue : peut-être en raison d’une certaine austérité de sa physionomie architecturale. Mais les quartiers anciens, homogènes et bien conservés avec leurs hôtels, leurs églises baroques, leurs quais, leurs places et leurs fontaines, composent, dans un paysage pittoresque, un ensemble d’une dignité et d’une harmonie rarement égalées.
Les principaux vestiges de la cité antique se groupent, avec la cathédrale médiévale, dans la partie haute de la ville, sur les premières pentes du massif rocheux qui porte la citadelle. Ce sont les colonnes d’un nymphée, auquel aboutissait l’aqueduc principal de la ville, et la « porte Noire », arc de triomphe élevé sous Marc-Aurèle. Un important autel chrétien du ive s. subsiste dans la cathédrale. Celle-ci, construite au milieu du xiie s., est un vaisseau à deux absides opposées, sans façade, qui atteste les étroites relations de Besançon avec l’art rhénan.
Mais le visage actuel de la ville se dessine au xvie s., époque brillante où la faveur des juristes comtois, fonctionnaires et hommes de confiance de Charles Quint enrichit la ville et l’ouvre aux courants nouveaux de la pensée et de l’art. C’est le chanoine Ferry Carondelet, conseiller de l’empereur et ami d’Erasme, dont le tombeau renaissant orne la cathédrale qui lui doit en outre une œuvre maîtresse de Fra Bartolomeo, la Vierge entourée de saints, dans laquelle il figure comme donateur. Ce sont surtout les deux Granvelle, hommes d’État de renommée internationale. Le père, Nicolas Perrenot (1486-1550), d’origine paysanne, conseiller au parlement de Dole, devient chancelier de l’empereur. Il fait construire de 1534 à 1547 le palais qui abritera ses richesses d’art : collection célèbre réunie par un amateur insatiable autant qu’éclairé. Son fils Antoine (1517-1586), le cardinal, protecteur de Christophe Plantin et de Juste Lipse, premier ministre des Pays-Bas et vice-roi de Naples sous Philippe II, enrichit encore les collections du palais. Devenu musée historique, celui-ci dresse encore, au centre de la ville, sa façade à pilastres d’une sobre noblesse. D’autres édifices publics — palais de justice attribué au Dijonnais Hugues Sambin (1518 - v. 1601), hôtel de ville à la sévère façade de bossages (1569-1573), porte Rivotte, porte des Carmes avec sa fontaine où le duc d’Albe paraît en Neptune — appartiennent à la même époque. Mais, surtout, la Grande-Rue, qui descend vers le Doubs, et le faubourg de Battant, quartier des vignerons qui la prolonge sur l’autre rive, conservent une majorité de maisons très typiques du xvie ou du début du xviie s.
La crise européenne de la guerre de Trente Ans va créer dans l’histoire de Besançon une coupure décisive. En 1648, le traité de Westphalie attribue formellement la ville à l’Espagne. Elle partagera désormais le destin de la Comté. Conquise en 1668, puis de nouveau en 1674, elle devient française à la paix de Nimègue, et Vauban rénove ses fortifications, laissant une citadelle agrandie, des quais qui donnent aux rives du Doubs une grande noblesse, et une ceinture de bastions qui protègent la tête de pont de Battant. Supplantant Dole, capitale historique de la Comté, Besançon reçoit le parlement (1676), la Chambre des comptes, la Monnaie, l’université (1691).
Le xviiie s., avec l’administration intelligente des intendants, marque une ère nouvelle d’activité architecturale et d’urbanisme. À la succession des églises qui jalonnent le passage du baroque (Saint-François-Xavier, 1680-1688 ; Saint-Maurice, 1712-1714 ; Notre-Dame, 1720) au classicisme (la majestueuse Sainte-Madeleine de Nicolas Nicole [1702-1784] ; Saint-Pierre, à plan de croix grecque, 1782-1786) répond celle des monuments civils. Les uns sont des créations locales (hôpital Saint-Jacques, palais épiscopal), qui se distinguent souvent par leurs grilles magnifiques. D’autres sont l’œuvre d’architectes parisiens en renom : Victor Louis établit les plans de l’Intendance (préfecture actuelle, 1771-1778), Nicolas Ledoux construit le théâtre (1777-1784). La création de places et de promenades contribue à l’agrément de la ville.
Le musée des Beaux-Arts de Besançon se vante à bon droit d’être le plus ancien de France : les restes de la collection Granvelle, dispersée par les héritiers, furent acquis par la municipalité et rendus accessibles aux visiteurs dès 1694 (Descente de croix du Bronzino, retable de Bernard Van Orley, portrait du chancelier de Granvelle par Titien). La collection léguée par l’architecte bisontin Adrien Paris (1746-1819) est d’une richesse exceptionnelle pour la connaissance du xviiie s. français (série de sanguines et de sépias de Fragonard et d’Hubert Robert). À ces joyaux s’ajoute la donation du peintre Jean Gigoux (1806-1894). Les centaines de tableaux que ce Bisontin, romantique estimable, légua au musée assurent à celui-ci une diversité rare : les Hollandais et les Espagnols, Chardin et Lawrence y voisinent avec le xixe s. français.
P. G.