Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernin (le) (suite)

Ce qui fonda en fait la réputation du Bernin, ce fut l’abandon définitif, dès ses œuvres de jeunesse, du style maniériste attardé qui dominait alors à Rome. À des œuvres qui ne sont que des variations sur des motifs dérivés de Michel-Ange et de Raphaël, tantôt figées dans un académisme un peu guindé, tantôt nuancées d’une recherche d’élégance pleine de réminiscences de la première renaissance florentine, il oppose des créations d’une grande liberté de conception, où une exceptionnelle virtuosité technique est mise au service d’un sentiment très vif de la nature et de la vie. Déjà perceptibles dans la plus ancienne sculpture conservée du jeune Gian Lorenzo, Jupiter allaité par la chèvre Amalthée (1615), et dans Énée et Anchise (1618-19), exécuté en collaboration avec son père, ces qualités éclatent dans les autres œuvres également destinées au cardinal Scipion Borghèse : Pluton enlevant Proserpine (1621-22), David (1623) et surtout Apollon et Daphné (1622-1624).

L’achèvement de ce groupe célèbre, le plus admiré de ceux qui étaient destinés à la Villa Borghèse, marqua une étape décisive dans la carrière de l’artiste. En 1624, le nouveau pape Urbain VIII confia au Bernin le soin d’ériger un baldaquin au-dessus de l’autel majeur de Saint-Pierre de Rome ; cette première commande officielle (car la commande du catafalque de Paul V, en 1621, appartient au mécénat des Borghèse) inaugurait en fait une série de réalisations et de projets par lesquels l’artiste s’imposa comme le maître d’œuvre attitré du Saint-Siège. Au cours de cinq pontificats successifs — et si l’on excepte une brève disgrâce au début du règne d’Innocent X, en 1644-1646 — le Bernin consacra le meilleur de sa prodigieuse activité à la gloire de l’Église, aux exigences des grandes familles romaines et à la Ville éternelle, qu’il ne quitta que pour un bref voyage en France, en 1665. Face à une carrière où plusieurs grandes entreprises de nature souvent fort différente ont été menées de front et où toute tentative pour déceler soit une évolution progressive continue, soit une succession de périodes caractérisées semble vouée à l’échec, le seul moyen d’approche est typologique : en partant du plus simple, la statuaire isolée, au plus complexe, le grand ensemble monumental, il sera possible de préciser la personnalité artistique, voire l’esthétique du Bernin.


Statues, groupes et bustes

De façon assez paradoxale, mais très significative, le Bernin, qui dut sa jeune gloire à des œuvres indépendantes de tout contexte architectural, n’exécuta plus guère, par la suite, de statues de ce type. Si l’on excepte la grande figure de la Vérité (Villa Borghèse), la statue équestre de Louis XIV (parc de Versailles, 1665), qui fut d’ailleurs un relatif échec, quelques effigies pontificales et les grandes statues décoratives du pont Saint-Ange à Rome, les statues du Bernin sont placées soit dans des niches, soit au-dessus d’un autel ou dans les piliers d’angle d’édifices à coupole, typiques de l’architecture religieuse du temps. À la première catégorie appartiennent la Sainte Bibiane (Rome, église du même nom, 1624), la Vierge à l’Enfant (Paris, église des Carmes, 1652) et la Sainte Barbara (Rieti, cathédrale, 1657). Il faut placer dans la seconde catégorie le Saint Longin (Rome, basilique Saint-Pierre, 1630-1638), les prophètes Daniel et Habacuc (Rome, Santa Maria del Popolo, 1655-1657), la Madeleine et le Saint Jérôme (Sienne, cathédrale, 1662).

Mais, plus encore que dans ses statues, c’est dans ses bustes que le Bernin a donné sa pleine mesure en matière de sculpture indépendante. Il existe certes toute une catégorie de bustes qui ne sont que l’élément central d’un monument funéraire plus ou moins important (Giovanni Battista Santoni, Rome, Santa Prassede, v. 1615 ; Giovanni Vigevano, Rome, Santa Maria sopra Minerva, 1631). Cependant, le Bernin se sent incontestablement plus à l’aise lorsqu’un cadre imposé ne vient pas briser le mouvement impétueux dont il sait animer ses portraits : il faut citer au premier rang les deux bustes du cardinal Scipion Borghèse (Rome, Villa Borghèse, 1632) et la belle série des bustes du pape Urbain VIII échelonnés de 1623 à 1644, où l’accent est mis tantôt sur le caractère affable et souriant du personnage, tantôt, comme dans le bronze du musée du Louvre, sur la finesse et l’énergie de cet habile politique. Deux bustes, pourtant, l’emportent peut-être sur tous les autres. Le plus important est celui du jeune Louis XIV (Versailles, 1665) où, en perfectionnant une formule qu’il avait déjà ébauchée avec le buste de François Ier d’Este (Modène, 1651), le Bernin donne le type le plus accompli du grand buste baroque. À cette effigie triomphale et officielle, trop souvent imitée peut-être, on peut préférer le buste de Costanza Buonarelli (Florence, Bargello, 1635), épouse d’un collaborateur de l’artiste et dont le Bernin fut éperdument épris ; la véhémence avec laquelle est exprimée la vitalité de cette jeune femme rend vaine toute question sur la beauté réelle du modèle.


Les monuments funéraires

On « ne » compte qu’une quinzaine de monuments funéraires dans l’œuvre du Bernin, y compris ceux pour lesquels il a seulement donné des dessins et supervisé l’exécution (tombeau du cardinal Pimentel, Rome, Santa Maria sopra Minerva, 1654) et les simples « épitaphes », le plus souvent conçues comme un jeu tumultueux de draperies encadrant le portrait du défunt en médaillon (tombe de Maria Raggi, Santa Maria sopra Minerva, 1643). Pourtant, la place occupée par le Bernin dans l’évolution de l’art funéraire est considérable grâce à trois créations d’importance exceptionnelle. Avec les tombeaux d’Urbain VIII (Rome, Saint-Pierre, exécuté en deux campagnes, 1628-1631 et 1639-1647) et d’Alexandre VII (Saint-Pierre, 1671-1678), l’artiste met en effet au point les formules qui seront adoptées par la suite dans la plupart des tombes pontificales et nombre de monuments de grands personnages : la statue du défunt, exalté sur un haut socle, domine les allégories des vertus, dont les attitudes s’équilibrent en une savante dissymétrie. Le jeu des pierres de couleur, l’opposition entre la blancheur des marbres et l’éclat du bronze, totalement ou partiellement doré, imprègnent ces tombeaux d’une sorte de joie triomphale que la présence d’un squelette, symbolisant le Temps, ne parvient pas à troubler. Certes, le Bernin a beaucoup emprunté à la tradition michelangélesque et surtout à l’interprétation qu’en avait donnée Giacomo Della Porta au tombeau de Paul III, mais il a introduit le mouvement et la vie dans un genre où une certaine austérité, sereine ou tragique, était de règle.