Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Berlin (suite)

La création du Reich, dont Berlin est la capitale, en confirmant l’hégémonie prussienne dans toute l’Europe centrale, accentue encore davantage le caractère de métropole, et cela sur tous les plans, y compris sur celui de la politique étrangère (congrès de 1878, conférence « africaine » de 1884-85). En 1880, il y a plus de 1 million d’habitants dans une ville qui comprend, à côté de quartiers aérés et imposants, un nombre de plus en plus élevé d’immeubles sordides, dont la disposition (« Vorderhaus », bourgeois, et « Hinterhaus », prolétarien) accroît les tensions sociales. En 1910, ses habitants sont au nombre de 2 millions, vivant du commerce (grands magasins), des transports (réseau ferré métropolitain à partir de 1877, installations portuaires), de la banque, des assurances et surtout de l’industrie (métallurgie, industries électriques avec A E G, arts graphiques, habillement). Toutefois, grâce aux annexions de communes urbaines, facilitées plus qu’en France par la loi, de nombreux Berlinois vivent encore de la terre, ce qui contribue sans doute à émousser les conflits sociaux et à faire des nombreux sociaux-démocrates de loyaux sujets de l’empereur d’Allemagne, roi de Prusse.

Cependant que la vie politique se partage entre Potsdam (la Cour) et Berlin (Reichstag), et que la vie religieuse, jamais très intense, s’anime avec le christianisme social, antisémite, la vie intellectuelle atteint un très haut développement tant avec des écrivains typiquement berlinois, faisant partie de la « Heimatdichtung » si germanique, qu’avec des hommes connus hors de ces frontières, dont, entre autres, Fontane et Hauptmann. Le théâtre (Max Reinhardt) devient un produit spécifiquement berlinois et en même temps une denrée d’exportation. La science moderne se crée pour une bonne part à l’université et dans les instituts de recherche (1879 : technische Hochschule), mais le nouveau type du Berlinois, identifié bien à tort avec le militarisme des Hohenzollern, n’attire pas la sympathie des Allemands, qui lui reprochent son réalisme souvent cynique et son esprit rude et mordant (« Berliner Schnauze »), ou encore ses goûts socialistes et son mode de vie souvent trop prolétarien, illustré par les dessins de Heinrich Zille (1858-1929) et de Käthe Kollwitz (1867-1945). Cela a pour résultat d’accroître chez les habitants de Berlin, de provenance récente ou d’ancienne extraction, le sentiment non pas tant d’être supérieurs, mais d’être autres, plus dynamiques (Tempo ! Tempo !) et plus adaptés à la vie moderne ; une entité se constitue ainsi, très originale et fort peu « allemande », en tout cas fort peu alémanique.


Depuis 1919

L’entité berlinoise survit à la guerre et surtout aux soubresauts de l’après-guerre et aux troubles sanglants (révolte des spartakistes en janvier 1919, tentative de coup d’État de droite [le putsch de Kapp] en mars 1920). Capitale de la République et aussi du plus grand de ses États, la Prusse, Berlin connaît de son côté les « roaring twenties ». La ville est réorganisée administrativement en 1920. Le « Gross-Berlin » englobe 7 villes suburbaines, 56 communes et 29 grands domaines agricoles. La capitale est subdivisée en 20 arrondissements (Bezirke) qui subsistent encore. Par cette gigantesque Eingemeindung (annexion), la ville compte 4 millions d’habitants, répartis sur 878 km2, avec une densité de 4 550 habitants au kilomètre carré. Berlin présente, en apparence, ce paradoxe d’être une ville où les densités urbaines sont parmi les plus élevées des villes allemandes, tout en possédant également des espaces verts dont beaucoup de villes n’ont pas l’équivalent. L’explication réside dans les constructions en hauteur, qui permettent de réserver à proximité des surfaces d’agrément assez étendues.

Pourvu, au fil des années, d’un remarquable réseau de transports urbains et suburbains, Berlin est alors l’une des villes d’Europe les plus « courues » entre les deux guerres. Ses théâtres, ses écrivains, ses acteurs de cinéma et ses metteurs en scène, ses journalistes et ses auteurs d’airs à succès (Walter Kollodziezski, dit Kollo [1883-1940], Paul Lincke [1866-1946], etc.) contribuent à faire de la ville un creuset où vivent maintenant (1925) plus de 4 millions d’habitants ; le centre devient le Berlin de l’administration et du commerce, la périphérie et la banlieue abritant les usines, toujours plus nombreuses et plus grandes (Siemensstadt), et les blocs d’habitations (les « grands ensembles » des architectes Bruno et Max Taut). L’époque nazie confirme l’essor de Berlin, rendue indépendante du Brandebourg en 1933 par décision de son gauleiter Goebbels, et Reichshauptstadt d’un État qui ne cesse de s’étendre ; les grands travaux, le développement des autostrades et de l’aéroport de Tempelhof, et le couronnement des jeux Olympiques de 1936 contribuent à diluer une opposition de gauche encore très forte avant 1933.

Les plans ambitieux visant à faire de Berlin la capitale d’une Europe allemande sont réduits à néant par la guerre, par les bombardements et surtout par la bataille de Berlin (23 avr. - 2 mai 1945) ; conquise par l’armée rouge et les unités polonaises, la ville est en ruine (un tiers des logements détruits).

Subissant depuis 1945 les influences diverses de la « guerre froide » et de la détente, Berlin est une ville partagée et en partie isolée de l’État qui l’entoure, la République démocratique allemande (R. D. A.). D’abord seuls occupants, les Russes cherchent à remettre en route la vie municipale et la vie intellectuelle (Kulturbund, Aufbau-Verlag). Depuis juillet 1945, les quatre Alliés qui se partagent Berlin mènent une politique très peu nette ; après avoir été, du temps du Conseil de contrôle, une sorte de capitale de l’Allemagne, la ville se transforme peu à peu, dans sa moitié orientale, en capitale de la République démocratique allemande, cependant que la moitié occidentale vit d’une vie qui apparaît à beaucoup comme artificielle (notamment du point de vue économique). Marquée par le blocus de 1948-1949, par les troubles du secteur russe en juin 1953, par la construction d’un mur entre Berlin-Ouest et Berlin-Est (été 1961), par l’élection de son ancien maire, W. Brandt, comme chancelier de la République fédérale d’Allemagne, l’histoire de Berlin est bouleversée par les suites de la guerre et les rapports entre les deux Grands. Un accord intervient en 1971 entre les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’U. R. S. S., réglant la circulation, suivant certaines conditions, des personnes et des marchandises civiles entre la R. F. A. et Berlin-Ouest à travers la R. D. A., et la possibilité pour les Berlinois de l’Ouest de se rendre à l’Est et en R. D. A. dans des conditions comparables à celles que connaissent les ressortissants des autres nationalités.

Plus que jamais, et presque autant qu’au moment de sa fondation, Berlin appartient aux confins, et son avenir dépend de l’évolution des relations germano-slaves.

J.-B. N.