Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bengale (suite)

La période musulmane

Les années 1199-1202 virent la fin du Bengale hindou quand celui-ci fut conquis par les armées de Muḥammad de Rhūr. Dès lors, du début du xiiie au xviiie s., du sultanat de Delhi à l’Empire moghol, le Bengale fera partie de l’Inde musulmane, soit comme unité administrative régionale, soit, lorsque le pouvoir central se relâchera, comme principauté pratiquement indépendante (notamment de 1338 à 1576). C’est dans cette période que se situe le règne du plus grand souverain musulman du Bengale : ‘Alā’al-Dīn Ḥusayn Chāh (1493-1519).

À la même époque se produisit un événement lourd de conséquences : l’installation de commerçants européens. Ce furent d’abord des Portugais qui, en 1579, avec l’autorisation de l’empereur moghol, s’établirent à Hūglī (Hooghly). Mais leurs exactions furent telles qu’en 1631 Chāh Djahān ordonna de s’emparer du comptoir portugais. Après de nombreuses persécutions, les Portugais furent autorisés à réoccuper Hūglī, mais leur rôle était à peu près terminé.

Autrement importante fut l’implantation britannique, d’abord à Huglī vers 1650 puis, à partir de 1690, dans ce qui devait être Calcutta et où fut construit Fort William en 1696.

Au début du xviiie s., la Compagnie des Indes orientales obtenait un firman impérial lui assurant le droit de libre commerce au Bengale. Mais la décadence du pouvoir moghol allait bientôt n’y laisser face à face que la Compagnie et le nabāb qui, de fonctionnaire impérial, s’était érigé en souverain indépendant. Le conflit éclata en 1756 lorsque le nabāb, s’étant emparé de Calcutta, y fit tuer de nombreux Anglais. Clive, par sa victoire de Plassey (1757), ouvrit la voie à la domination anglaise.


Le Bengale britannique

Dès lors, à partir du Bengale et plus spécialement de Calcutta, les Britanniques allaient économiquement et politiquement établir leur « empire des Indes ».

• L’implantation britannique. Économiquement, elle se fit d’abord sous une forme fiscale : en 1765, l’octroi par l’empereur moghol Chāh Ālam II du divāni (c’est-à-dire le droit d’administration financière, donc de perception fiscale) donna à la Compagnie une envergure nouvelle et à la Grande-Bretagne des ressources telles que certains auteurs, notamment l’historien américain Brooks Adams, considèrent que l’exploitation du Bengale a en quelque sorte financé la révolution industrielle en Angleterre. Excessif, le jugement n’en est pas moins révélateur de l’importance des « ponctions » britanniques. Signalons encore le développement de la culture de l’indigo par des Anglais qui passèrent des contrats, scandaleusement avantageux pour eux, avec les paysans bengalis, et de celle du jute, qui fournira les bases de l’industrialisation de Calcutta. Parallèlement, les négociants britanniques se voyaient attribuer un quasi-monopole des échanges commerciaux.

1793 marque une date capitale dans l’histoire du Bengale : par son « Permanent Land Settlement », lord Cornwallis, dans un souci de meilleure rentabilité administrative, attribuait aux collecteurs d’impôts un droit de propriété foncière sur les villages dont ils avaient la charge fiscale, créant ainsi le système zamīndārī, qui provoqua un bouleversement des structures agraires du Bengale.

La domination britannique entraîna aussi une sorte de désindustrialisation du Bengale : exportateurs de textiles, le Bengale et l’Inde durent bientôt en importer, ouvrant ainsi un immense marché à l’industrie britannique. Cette évolution eut comme conséquences la ruine de certaines villes jusqu’alors manufacturières (Dacca, Murshidābād) et le « retour à la terre » d’artisans bengalis ruinés, ce qui aggrava dans des proportions parfois tragiques la surcharge démographique pesant sur l’agriculture.

Politiquement, on peut distinguer les étapes suivantes :
1773. Le Parlement britannique, en vertu du « Regulating Act », installe au Bengale un gouverneur général, dont les pouvoirs sont étendus aux présidences de Madras et de Bombay ;
1833. Le gouverneur général du Bengale devient aussi celui de l’Inde britannique ;
1858. Après la « grande mutinerie » (révolte des Cipayes), la responsabilité directe du gouvernement de l’Inde et du Bengale est transférée de la Compagnie à la Couronne britannique, le gouverneur général devenant vice-roi des Indes ;
1905. Le vice-roi, lord Curzon, en décrétant le partage du Bengale, va y provoquer une série de réactions hypothéquant gravement l’avenir : exacerbation du conflit entre hindous et musulmans, développement du terrorisme en même temps que du régionalisme. Contrairement à ce que purent penser de nombreux leaders nationalistes, cette décision ne semble pas avoir été prise dans un dessein politique (« diviser pour régner »), mais plutôt pour des raisons administratives (le Bengale, avec ses 80 millions d’habitants, était beaucoup trop grand) et économiques (faire du Bengale-Oriental, sous-développé, un ensemble économiquement plus viable en y adjoignant l’Assam). Mais quelles qu’en aient été les motivations, le partage se révéla une faute politique majeure. D’ailleurs, en 1911, le Bengale était réunifié et la capitale transférée à Delhi sans que, pour autant, les effets néfastes en fussent supprimés.

• La réaction nationale. La force même de l’impact britannique entraîna un véritable réveil indien, dans lequel le Bengale devait jouer un rôle de premier plan.

Par le roman, le théâtre ou la poésie, les écrivains bengalis allaient non seulement perpétuer une tradition culturelle vivace, mais encore témoigner d’une véritable prise de conscience. Nombre d’ouvrages bengalis du xixe s. révèlent en effet les préoccupations sociales et nationales chez des auteurs aussi divers que B. C. Catterjī (1838-1894) [le Walter Scott du Bengale], M. S. Datta (1824-1873), Aurobindo Ghose et, le plus grand de tous, Rabindranath Tagore* (1861-1941), prix Nobel de littérature, incarnation de la culture nationale indienne en même temps que pionnier d’une sorte d’œcuménisme culturel (fondation de l’université de Śantiniketan, près de Calcutta).

La presse aussi joua un grand rôle au niveau de l’information et de l’éducation. Du Sambad Kaumudi, fondé en 1821 par Rām Mohan Roy, au Statesman de Calcutta, fondé en 1875, le xixe s. fut dans l’ensemble marqué par un bel essor de la presse bengali.

Culturelle, cette renaissance fut aussi religieuse : symbolisée dans son aspect mystique par Rāmakriṣṇa Paramahamsa (1836-1886), elle trouva une expression plus large chez Rām Mohan Roy (1772-1833).