Ady (Endre) (suite)
Le lecteur le moins averti ne peut manquer d’être frappé par l’abondance et la cohésion des symboles, par le retour incessant de thèmes obsessionnels caractérisés. Celui de l’or, toujours lié au sang, ne saurait trouver sa seule explication dans les difficultés financières du poète. Le cheval, qu’il traverse les pays de la mort ou qu’il porte le cavalier égaré à travers le labyrinthe de la sylve originelle, ne traduit pas uniquement sa nostalgie de la préhistoire magyare. L’art d’Ady ne cesse de s’épurer, mais ses images restent les mêmes comme si les différents objets de sa poésie n’étaient qu’autant de prétextes pour permettre à une réalité plus intime et partiellement inconsciente de s’exprimer. C’est que cette poésie est avant tout une extraordinaire revanche sur la vie. « Sans baisers parmi les baisers », « homme dans l’inhumanité », « parent de la mort », Ady s’efforce, tout au long de son œuvre, de dépasser le sentiment de frustration dont il souffre. Exilé de la vit » par sa maladie, il lui semble l’être également de son pays, dont il « frappe en vain les portes et les murs », et aussi de Dieu, qu’il cherche éperdument.
Il était naturel que sa poésie trouvât un écho dans une nation qui, du fait de sa langue et de son histoire, n’a jamais cessé tout à fait de se sentir un « corps étranger à l’Europe ». C’est en partie parce qu’il y avait coïncidence entre le destin de l’homme et celui de son peuple qu’Ady est devenu un poète national. Mais il est beaucoup plus que cela. Comme Freud et Kafka, il descend dans le gouffre au-dessus duquel Baudelaire n’avait fait que se pencher. Son angoisse devant la toute-puissance du temps prend naissance dans la condition même de l’homme de toujours :
Avec un crible gigantesque,
Le Temps vanne, vanne sans cesse.
Il ramasse à poignées des mondes
Et les crible avec allégresse,
Seuls s’en affligent ceux qui tombent.
(Adaptation de Jean Rousselot.)
Artiste conscient et poète inspiré, Ady, en qui on a pu voir le dernier chaman finno-ougrien, est non seulement le plus grand porte-parole de la Hongrie moderne, mais aussi un visionnaire dont les fantasmes apocalyptiques n’intéressent pas moins l’homme d’aujourd’hui que le Hongrois d’il y a un demi-siècle.
J.-L. M.
G. Ronay (assisté de E. Guillevic et L. Gara), Endre Ady (Seghers, coll. « Poètes d’aujourd’hui », 1967).