Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bellini (les) (suite)

Giovanni Bellini

Dans la Venise de la seconde moitié du xve s., il incarne le génie de la Renaissance, mais d’une manière conforme aux traditions et aux goûts du milieu local. Une longue carrière et la diversité des influences subies expliquent les variations de son style, dont la maturation fut lente.


Les débuts et les premiers chefs-d’œuvre

C’est dans l’atelier paternel que G. Bellini apprit son métier de peintre. Mais il ne tarda pas à se laisser gagner par une influence qui devait le marquer profondément : celle de Mantegna*, dont sa sœur Niccolosa devint l’épouse en 1453. À travers l’art de son beau-frère, Giovanni fit connaissance avec le milieu savant et novateur de Padoue, lui-même tributaire de la culture florentine. De Mantegna, il adopta la composition serrée, la perspective rigoureuse, le dessin précis et tendu. Cependant, le monde de Bellini est moins minéral, moins archéologique et moins impassible que celui de Mantegna. Son coloris est plus profond, plus homogène, et joue déjà un grand rôle dans la traduction du relief. Il y a plus d’humanité dans les sentiments exprimés, tendresse, joie ou douleur. La nature est représentée, ce qui est nouveau, avec autant de vérité que d’amour ; souvent les compositions se détachent sur un fond de paysage où l’on reconnaît la campagne ou les collines de Vénétie.

Les premiers ouvrages sont de petits panneaux peints vers 1450, telle la Pietà de l’Académie Carrara, à Bergame, groupant selon un thème qui sera fréquent chez Bellini les figures à mi-corps de la Vierge, de saint Jean l’Évangéliste et du Christ au tombeau. On peut dater des années suivantes la Transfiguration dense et cristalline de la pinacothèque Correr, le Christ au mont des Oliviers de la National Gallery de Londres. C’est vers 1460 que se place l’admirable Pietà de la pinacothèque de Brera à Milan, peinte dans une gamme sourde qui en traduit le sentiment tragique. G. Bellini commence d’autre part à multiplier les variations sur un thème auquel il ne cessera de se consacrer : celui de la Vierge à l’Enfant, le plus souvent en buste, sur un fond tantôt neutre, tantôt emprunté à l’architecture ou au paysage (Vierge au manteau rouge du Castello Sforzesco, à Milan).

S’étant fait connaître par ces ouvrages, Bellini se vit confier, autour de 1465, des entreprises plus ambitieuses. Le polyptyque de Saint Vincent Ferrier, notamment (église des SS. Giovanni e Paolo), témoigne d’une forte personnalité. Sa prédelle comporte des scènes narratives animées ; un éclairage hardiment contrasté accentue la puissance plastique des figures de saints du registre principal.


La maturité

C’est entre 1470 et 1475 que Bellini dut se rendre à Rimini pour peindre la pala di S. Francesco, qui marque un tournant capital dans sa carrière. L’influence de Mantegna s’y efface devant celle de Piero* Della Francesca. Dans un espace plus ample, les figures ont plus de majesté, et l’enveloppe aérienne sensible vient atténuer la dureté de leurs contours. La Pietà qui formait la partie supérieure est à la pinacothèque du Vatican ; le musée de Pesaro conserve la prédelle et le panneau principal, qui réunit les figures du couronnement de la Vierge et celles de quatre saints sur un fond associant paysage et architecture, magistralement mis en perspective.

Les années suivantes devaient donner à Bellini la plénitude de ses moyens. Cette période est celle de l’équilibre entre la forme, dont la précision s’allie à un modelé plus moelleux, et les tons qui, chauds ou froids, sombres ou pénétrés de lumière, s’exaltent les uns les autres. Le climat spirituel est celui d’une méditation empreinte de gravité. Une profonde poésie émane du paysage, auquel les figures s’intègrent d’une manière plus parfaite. Son importance est primordiale dans plusieurs panneaux peints entre 1475 et 1485 environ, tels le Saint François recevant les stigmates (collection Frick, New York) et la lumineuse Transfiguration de la pinacothèque de Capodimonte, à Naples ; plus tardive est l’Allégorie mystique des Offices, à Florence.

Entre 1480 et 1490, Bellini peignit pour des églises vénitiennes deux de ses grands retables. La pala di S. Giobbe (Académie de Venise) dispose trois par trois en un seul panneau, dans une architecture symétrique, six majestueuses figures de saints encadrant une Vierge à l’Enfant assise sur un trône au bas duquel jouent trois gracieux anges musiciens. Bellini fixait ainsi (précédé par Antonello* de Messine, dans la pala di S. Cassiano) un type de composition qui donne toute son ampleur au thème vénitien de la conversation sacrée, et que lui-même allait reprendre avec la Madone des Frari, encore en place dans l’église de ce nom.

Dans la période comprise entre 1470 et la fin du siècle, la clientèle de Bellini lui fit peindre de nombreuses madones de petit format, d’un sentiment plus tendre encore que celles du début de sa carrière (Vierge à la prairie, National Gallery). Le thème de la conversation sacrée revient dans plusieurs tableaux. Parmi les autres compositions des dernières années du siècle, de format petit ou moyen, on citera la Circoncision de la National Gallery. Bellini a également montré sa maîtrise dans l’art du portrait, avec un don d’expression qui le rapproche d’Antonello.


Les dernières années

Loin de se consacrer à la répétition des formules qui lui avaient assuré le succès, Bellini sut renouveler son inspiration et son langage, tirant profit du contact avec de jeunes peintres tels que Giorgione* et Titien*. C’est ainsi que le Baptême du Christ de l’église S. Corona à Vicence (entre 1500 et 1510) lie plus étroitement encore les figures à un paysage où règne un sentiment élégiaque : la touche est plus fondue, les tons chauds prédominent. La pala di S. Zaccaria (1505, dans l’église vénitienne de ce nom) reprend le type de composition de la pala di S. Giobbe, mais avec un modelé plus vaporeux, qui utilise davantage les ressources du clair-obscur. De 1513 date le Saint Jérôme lisant avec saint Christophe et saint Augustin, de l’église S. Giovanni Crisostomo ; l’influence de Titien s’y affirme, comme dans l’Ivresse de Noé du musée de Besançon. Bellini aborda en 1514 le domaine mythologique avec le Festin des dieux (National Gallery de Washington), commandé par Alphonse Ier d’Este et que Titien remania. Les madones de cette époque témoignent des mêmes influences, ainsi celle de la Brera, à Milan. C’est aussi aux dernières années du peintre qu’appartiennent certains de ses plus beaux portraits, comme le doge Leonardo Loredan à la National Gallery de Londres et le présumé Pietro Bembo de Hampton Court, d’un romantisme accusé.