Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Belgique (suite)

De 1847 à 1870 (avec une interruption de 1855 à 1857), les libéraux sont au pouvoir ; la principale préoccupation de ces grands bourgeois est alors l’essor économique du pays et sa défense militaire. Les catholiques leur succèdent de 1870 à 1878. La question scolaire est pour eux au premier plan ; ils veulent lier la liberté d’enseignement à la liberté du culte et multiplient les écoles chrétiennes. À ce « cléricalisme » va répondre chez les libéraux, au pouvoir de 1878 à 1884, une politique laïque, fortement teintée d’anticléricalisme. La lutte atteint son paroxysme en 1879, quand une législation libérale (« les lois de malheur ». diront les catholiques), inspirée par Frère-Orban, crée dans chaque commune une école primaire publique laïque face à l’école confessionnelle.

Sous la direction de l’épiscopat, les catholiques unissent alors leurs efforts contre les « maçons » et, à la faveur d’une loi électorale qui élargit considérablement le droit de suffrage, triomphent aux élections de 1884. Désormais, le parti catholique gérera les affaires publiques d’une manière ininterrompue jusqu’à la Première Guerre mondiale et demeurera presque constamment majoritaire, même après l’octroi au pays du suffrage universel (1918). Il faut dire que le parti catholique s’est renouvelé — sur le plan social notamment — avec l’apport de la Ligue démocratique belge d’Arthur Verhaegen (1847-1917) et du groupe de la Jeune-Droite, animé par Jules Renkin, Henry Carton de Wiart (1869-1951). Michel Levie et né des préoccupations sociales de Rerum novarum.


La montée de l’extrême gauche. Le problème ouvrier

Un premier courant révolutionnaire s’était développé en Belgique entre 1831 et 1848. Mais la grande crise agricole, économique, sociale et financière de 1846-47, qui frappa particulièrement les Flandres, n’aboutit pas, en 1848. comme dans plusieurs pays européens, à une action révolutionnaire. Le mouvement démocratique, partisan du suffrage universel, parfois teinté de saint-simonisme ou de fouriérisme, était trop faible et trop animé de l’étranger pour triompher. Après 1848, la Belgique fut décidément dans les mains d’une bourgeoisie soucieuse, par le libéralisme économique, de pousser le pays sur la voie de l’économie moderne. Cette bourgeoisie y réussit, mais en méconnaissant trop souvent les réalités sociales, souvent très dures, notamment dans l’industrie wallonne.

Longtemps les intérêts ouvriers sont abandonnés au mutuellisme et à des associations diverses, tandis que monte un socialisme, qui se recrute surtout, dès les années 60, dans le prolétariat usinier.

Divers essais d’organisation aboutissent à la fondation, à Bruxelles, en avril 1885, d’un parti ouvrier belge (P. O. B.) par une centaine de délégués représentant une soixantaine d’associations ouvrières. Ses statuts et son programme sont fixés par le congrès d’Anvers (août 1885) ; en décembre, le P. O. B. lance un quotidien, le Peuple. Toutefois, ce n’est qu’au congrès de Quaregnon, en 1894, qu’il reçoit sa charte : celle-ci réclame la socialisation des moyens de production, la suppression des classes sociales, l’émancipation économique, morale et politique du prolétariat.


L’essor économique

Durant trente ans, la situation économique de la Belgique est stationnaire, voire précaire, compte tenu des retards techniques, de la concurrence britannique et de l’instabilité politique. Les gouvernements croient trouver dans le protectionnisme et les traités de commerce (avec la Hollande en 1846 et la France en 1854) un palliatif à ces problèmes, jusqu’à ce que le cabinet libéral Frère-Orban, en 1857, opte délibérément pour le libre-échange. Les octrois sont abolis et le péage sur l’Escaut est racheté par l’État, ce qui provoque le réveil d’Anvers.

Les résultats de cette politique vont faire l’admiration de l’Europe. L’agriculture, naturellement riche, aux procédés hardis, atteint des rendements qui sont parmi les plus élevés d’Europe ; de 17 millions de tonnes en 1880, la production de houille passe à 24 millions en 1908 ; l’industrie métallurgique wallonne et l’industrie textile flamande atteignent un niveau élevé ; le volume du commerce extérieur quadruple entre 1850 et 1880. L’économie, en expansion, est favorisée par un réseau ferroviaire qui devient rapidement le plus dense du monde et qui est bien doublé par le réseau navigable. Les capitaux belges s’investissent à l’étranger : compagnies de tramways en Europe ; usines en Asie, en Afrique, en Amérique ; les banques belges sont parmi les plus prospères du monde. Dans les villes, les quartiers bourgeois se couvrent d’opulentes habitations. L’essor démographique double l’essor économique : de 3 500 000 en 1815, la population passe à 7 640 000 en 1913. Bref, à la veille de la Première Guerre mondiale, la Belgique présente le visage d’une nation prospère.

La prospérité de la bourgeoisie au pouvoir a un envers : le paupérisme.


La question sociale, la promotion ouvrière

Dans ce pays de bas salaires et de longues journées de travail, que Karl Marx — qui y a vécu — qualifie de « paradis du capitalisme », le travailleur ne jouit d’aucune protection juridique ou politique ; cependant on lui prêche volontiers l’épargne (création de la Caisse d’épargne en 1865).

Un tournant : la loi de 1867, qui reconnaît le droit de grève et de coalition, mais qui maintient le délit d’atteinte à la liberté du travail. À la faveur de cette loi, des syndicats naissent.

C’est le début d’une lutte inévitable qui va se développer sur deux terrains : le suffrage électoral et la législation sociale. Socialistes, avec E. Vandervelde, J. Destrée, E. Anseele, et catholiques sociaux, avec A. M. Beernaert, H. Carton de Wiart, G. Kurth, l’abbé A. Pottier, vont animer ce combat.

Opposé au système censitaire, le P. O. B., sous la pression de grèves multipliées, force l’adoption du principe du suffrage universel (1892), mais la Constituante élue alors le tempère par le vote plural, qui accorde une ou deux voix supplémentaires aux électeurs pères de famille jouissant d’une certaine aisance ou titulaires d’un certificat d’enseignement secondaire (1893). Le corps électoral décuple, tandis qu’est révisée, dans un sens libéral, la composition du Sénat.

En même temps qu’il donne une représentation parlementaire aux socialistes, ce système aboutit, aux élections de 1894, à l’effacement du parti libéral. Il ne s’agit que d’une étape. La gauche réclame plus, et le ministère du comte Paul de Smet de Naeyer (1843-1913) fait adopter, en novembre 1899, le scrutin de liste par province, avec représentation proportionnelle.

Peu férus de théories, les socialistes belges agissent beaucoup. Ils fondent coopératives, mutualités, syndicats, « maisons du peuple » ; ils fomentent de nombreuses grèves (les plus célèbres sont celles de 1886 dans le Borinage et le pays de Liège) ; le 10 août 1890, le serment de Saint-Gilles marque une nouvelle étape sur la voie menant à l’émancipation des travailleurs.