Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

adolescence (suite)

Révolte contre l’environnement social et besoin de recréer les valeurs

Après un début marqué par le narcissisme, l’effervescence de la rumination intérieure, le débat du moi avec lui-même, le romantisme, l’adolescence est surtout caractérisée par toutes les formes de la révolte, car on ne se pose soi-même qu’en s’opposant, on ne s’affirme qu’en niant. Les périodes antérieures d’opposition (l’âge du « contre » de la troisième année, l’âge « ingrat » de la pré-puberté) ne disposaient pas, pour aller jusqu’au bout de leur mise à l’épreuve des limites, de la puissance physique, que l’individu découvre et détient en revanche à l’adolescence. Quoiqu’elle porte nécessairement la trace de la façon dont se sont opérées (et dont ont été résolues) ces phases antérieures d’opposition, la révolte de la seconde partie de l’adolescence comporte des critiques sur tous les fronts : critiques de la famille, critiques de la société, des valeurs, de la religion, de tout ce qui est admis par la société et les adultes.

Critiques à l’égard de la famille. Devenu capable de juger, ne manquant pas de manifester cette attitude en toute occasion, l’adolescent met naturellement d’abord en jugement sa famille, et plus souvent en accusation. Cette négation est sans doute nécessaire pour qu’adolescents et adolescentes puissent parvenir à une construction personnelle des valeurs et, finalement, s’émanciper. Les parents perçoivent d’ailleurs parfaitement ce mouvement comme un mouvement d’émancipation, et, en règle générale, ils y résistent. Disons tout de suite que, lorsque ce mouvement échoue, c’est-à-dire lorsqu’il y a une retombée dans une dépendance favorisée par le caractère, par les circonstances ou par la structure du milieu familial, l’émancipation ultérieure devient problématique. De ce point de vue, on peut dire que l’opposition aux valeurs familiales et aux personnes dans la famille est normale, et que la fin de l’adolescence représente la période sensible à la réalisation de l’autonomie. Il s’agit en effet, du point de vue de l’évolution psychologique, d’une mise en question d’un certain système antérieur de dépendance pour établir un nouveau système de relations familiales.

Révolte contre la société. Cet aspect de la révolte est en fait surdéterminé, c’est-à-dire que plusieurs motivations concourent au même résultat : généralisation de l’attitude d’accusation envers la famille et de négation des valeurs familiales, protestation et rancœur contre la prolongation d’un être-en-instance qui pérennise les relations de dépendance, mise en accusation de la société par rapport aux idéaux romantiques de la première phase de cette période, volonté de s’affirmer et dénonciation de toutes disciplines, lois et conventions. C’est le classique anticonformisme de l’adolescence. De là toute une série d’attitudes qui retentissent naturellement dans la politique ; les adolescents rejoignent généralement les partis extrémistes.

Révolte contre l’univers. Nous sommes là devant ce que l’on appelle classiquement l’« âge philosophique », c’est-à-dire la mise en question de la signification de l’univers et de la vie elle-même. Adolescents et adolescentes s’interrogent anxieusement sur les raisons de leur être-là ; ils ont le sentiment aigu de l’absurdité de l’existence et ils rationalisent, intellectualisent cette absurdité dans certaines « philosophies » où se mêlent l’angoisse de l’être en détresse et l’angoisse de l’absurde. Bien entendu, les valeurs religieuses subissent, lorsqu’elles ont été précédemment construites, le contrecoup de cette révolte. L’adolescence est une période de « sécheresse » de la foi, du refus révolté de la religion comme institution et même une mise en accusation de Dieu.

Recréation des valeurs. Aspect positif de toute cette effervescence destructrice, le besoin de recréer des valeurs aboutit, chez des personnalités riches et fécondes, à une inspiration authentique et à des réalisations de qualité, renouvelant les manières habituelles de sentir, de penser, de s’exprimer. Des œuvres d’art de génie renouvelant le genre ont ainsi été créées ou esquissées à cette période de l’existence.

« Vivre sa vie ». Il y a dans l’expression vivre sa vie, pour les adolescents et les adolescentes, une espérance et une volonté, une impatience et une exigence. Il y a aussi l’intuition de possibilités quasi infinies, le souci d’une indépendance à conquérir, l’espérance de ne plus avoir de compte à rendre à personne, c’est-à-dire d’avoir enfin la libre disposition de soi-même. La liberté vécue sur le thème de la libération devient une valeur et peut-être la valeur primordiale qui supplante toutes les valeurs traditionnelles, puisqu’elle les nie. Depuis les plus petits accrochages avec l’environnement familial, tels que « pouvoir entrer et sortir à n’importe quelle heure », « avoir les amis que l’on a décidé d’avoir et pas les autres », etc., jusqu’aux aspirations les plus profondes, comme « choisir sa vie comme on l’entend », « choisir le métier ou la carrière qui plaît », etc., toute la gamme des conflits possibles se joue à cette période. Tout ce qui contredit la libre expression de cette liberté, dans ses formules parfois les plus extravagantes, est vécu comme contrainte injuste et frustration illégitime. D’innombrables actes et d’innombrables engagements, l’abandon à d’innombrables tentations sont effectués à cet âge uniquement pour « se prouver à soi-même qu’on est libre ». Un certain nombre de barrières sociales sont violemment niées ou mises en accusation seulement parce qu’elles restreignent le champ illimité des possibles, et par là la liberté.


Aspect psychopathologique

La dissocialité. Les attitudes de révolte, d’intolérance à la frustration, de refus des contraintes par besoin illimité de liberté favorisent naturellement le passage à la dissocialité, c’est-à-dire à la rupture de l’engagement social. La dissocialité est le refus du « contrat social de base », par lequel on accepte de jouer un rôle social, d’avoir une fonction et des responsabilités, de participer. Suivant les péripéties de l’histoire personnelle, les données du caractère et le degré d’acuité du conflit familial et social, les voies de la dissocialité se différencient : délinquance, vagabondage, prostitution, choix ostentatoire d’une existence marginale.

La fuite du réel, de l’angoisse et de l’avenir. Elle se manifeste par différentes formes de régression plus ou moins névrotique, ou par les toxicomanies (recherche de « paradis artificiels »).