Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

adolescence (suite)

Du point de vue psychologique et psycho-social

On a été amené à utiliser plusieurs critères pour définir l’adolescence, ces critères se complétant naturellement.


La recherche du moi et de la cohérence

Erik H. Erikson, puis Maurice Debesse ont souligné cet aspect. L’adolescence est une période non pas de tension vers un but, mais d’expérimentations, d’essais et d’erreurs, de progrès et de reculs. Le comportement serait caractérisé par l’instabilité des buts, des idées, des idéaux : « adultes un jour ou sur un point, adolescents et enfants un autre jour ou sur un autre point ». Les aspects différents de la personnalité grandissent à des allures différentes. Une difficulté particulière existe, de ce fait, dans la maîtrise des discordances et des divisions, dans l’établissement de rapports stables entre le corps, les aspirations, les possibilités, les rôles, etc. Selon Debesse, « il y a une discordance temporaire entre l’être et sa fonction, ce qui attise le problème de l’unicité », de l’auto-acceptation, de la représentation de soi dans un ensemble social immense. Pour cet auteur, la discordance serait au fond de ce qu’il a appelé le premier la « crise d’originalité juvénile ». Le moi se cherche, ce que l’on peut concevoir aussi bien comme une recherche d’identification personnelle que comme recherche d’une identité. Cette recherche s’effectue dans une sorte de combat dialectique avec la société.


Solitude et besoin d’être reconnu

Dans les débuts de l’adolescence, l’être jeune est souvent et en fait presque toujours seul : les parents sont lointains, absorbés par leurs tâches quotidiennes, ou incapables — parce qu’ils sont mal préparés à leur rôle ou parce qu’ils manquent de sensibilité ou d’imagination, ou encore par excès de scrupule — de se rendre compte qu’ils n’ont plus affaire à un bébé. Nous sommes là devant le phénomène liminaire qui fait la jonction entre le monde intérieur narcissique de l’adolescent pubère et son besoin de communication sociale, qu’il va chercher parmi ses pairs. Adolescents et adolescentes vivent habituellement à la maison, dépendent de leurs parents financièrement et, à d’autres égards, restent assujettis aux règles et aux exigences du monde familial ; mais leur esprit est ailleurs. Ce monde, en effet, est lié pour eux à leur enfance ; or, la conscience qu’ils ont « de n’être plus des enfants » les éloigne de leur environnement habituel ; d’où cette solitude, qui est à la fois goûtée par narcissisme et refusée, parce qu’anxiogène. Se sentant étranges, ils se sentent étrangers, et ils cherchent tout naturellement à se faire reconnaître dans un autre milieu que le milieu familial ou social habituel. C’est là l’origine d’un double processus : d’une part l’apparition de moments de marasme particulier, de désorientation ou de dépression, etc., et d’autre part un mouvement impétueux qui les lance à la recherche des autres « qui leur ressemblent », mouvement de participation à des groupes de même âge, par lesquels et dans lesquels ils seront reconnus pour finalement se reconnaître eux-mêmes.

D’une manière plus générale, on peut dire que les états affectifs chez les adolescents se succèdent rapidement et peuvent se trouver dissociés de toute cause apparente à ce point que les adultes en sont désorientés et sont incapables de comprendre ce qu’ils appellent des « lubies ». C’est à ce même phénomène qu’il faut rattacher la forte tendance à la mélancolie et ce que les auteurs allemands appellent la Weltschmerz, sorte de mal du siècle ou douleur de vivre, la tendance à étendre les conséquences de quelque échec que ce soit à tous les plans de l’activité, à donner des proportions catastrophiques à la déception ou à la frustration. Nous pouvons rattacher à cette tendance l’importance particulière que prennent les menus problèmes d’ordre physique à cet âge : l’acné*, l’obésité, les anomalies de la taille, du poids ou du corps, en général, deviennent des préoccupations disproportionnées, alimentant la rumination mentale solitaire.

En transition avec le mouvement vers autrui, il conviendrait de situer ici la tendance au « journal intime ». Selon les recherches des spécialistes, plus de 25 p. 100 des adolescents et des adolescentes tiennent à cette période un journal intime. Les autres, s’ils en ont quelquefois la velléité, y renoncent pour des raisons extérieures (paresse, sentiment de ne pas savoir écrire, peur que le journal ne soit découvert, etc.). Ne pouvant dialoguer avec qui que ce soit, l’adolescent ou l’adolescente se met à dialoguer avec lui-même, avec un autre lui-même, qui est le personnage principal de son journal, ce qui prouve une fois de plus à quel point il cherche à se connaître ou à se stabiliser. En parcourant certains de ces journaux (cf. les Journaux intimes de Michèle Leleu), on est frappé par la constance des questions concernant la personnalité même de leur auteur.

L’élan vers les autres adolescents est le deuxième aspect du même processus. Le mouvement vers les autres est une expression du désir de se faire connaître ou reconnaître, du désir d’approbation et de compréhension, essentiels à cette période. Ce phénomène est particulièrement aigu à l’époque contemporaine, où les moyens de communication de masse ont donné à tous les adolescents une sorte de représentation de leur immense groupe de référence, accentuant et dramatisant une sorte de « conscience de classe ». C’est ainsi que le groupe ou la bande qui jouait naguère un rôle important à cette étape du développement a pris de nos jours une dimension et un aspect particuliers par le fait que les motivations de l’adhésion sont différentes et, en un sens, sont devenues impersonnelles : on s’attache à un groupe ou on suit un mouvement parce que ce sont « des jeunes ».


La sexualité

Le bourgeonnement et le développement de la sexualité sont rapides et suscitent des motivations normalement puissantes. Naguère, le flirt était considéré comme un phénomène typique de l’adolescence. Le flirt comportait d’abord tous les jeux de la séduction et tout l’apprentissage des sentiments amoureux à l’occasion de relations interpersonnelles avec des partenaires de sexe opposé. Se faire connaître et se faire reconnaître par l’autre, dans une relation sentimentale, et déjà érotique, était une expérience importante. Par le flirt et à travers lui, adolescent et adolescente recherchent en quoi et comment ils peuvent plaire, jusqu’à quel point ils peuvent plaire, qu’est-ce qui plaît en eux. Soit dit au passage, on comprend pourquoi l’échec sentimental, lorsqu’il prend une importance particulière du fait de l’intensité de l’implication personnelle, atteint la personnalité même de l’adolescent ou de l’adolescente et met en question tout son être. De plus en plus, surtout par suite des transformations de la mentalité sociale générale et le développement des méthodes contraceptives, les expériences sexuelles directes remplacent le flirt, se font de plus en plus précoces, apportant en outre la satisfaction du scandale, qui comble l’esprit de révolte et d’anticonformisme. La pression des besoins sexuels est à l’origine de nombreux autres problèmes de la conscience adolescente, car ces besoins entrent en conflit avec d’autres, non moins naturels à cet âge, tels que le besoin d’idéal et même, comme le dit Gilbert Robin, celui d’une certaine pureté. Le conflit n’est pas rare en effet et, selon les interprétations psychanalytiques, attise et souvent réactualise les problèmes œdipiens : ceux-ci s’expriment en particulier, d’une part, par une rivalité grandissante à l’égard du parent du même sexe, laquelle s’accroît encore par la généralisation de l’agressivité à l’égard des adultes, et, d’autre part, par la « culpabilisation » de la sexualité, lorsque cette période réactive des conflits très antérieurs datant de l’époque de la découverte du sexe ou (pour les garçons) la peur archaïque de castration liée à la sexualité. Le débat peut prendre des formes pathologiques, et il arrive que l’adolescent ou l’adolescente effectue, devant l’horizon adulte marqué par la sexualité, un recul proportionnel à son dégoût ou à son angoisse. La fuite du réel se fait soit dans l’imaginaire, soit dans la régression à des comportements enfantins.