Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

Le traité de Campoformio (18 oct. 1797) devait assurer quelques mois de paix entre la France et l’Autriche. Le 8 février 1798, le général Bernadotte prend possession à Vienne de son poste d’ambassadeur de la République française ; il n’assure ces fonctions que pendant deux mois, mais Beethoven paraît dans ses salons et c’est Bernadotte qui, le premier, lui donne l’idée d’écrire une œuvre à la gloire du héros du siècle : Bonaparte. Les tendances idéalistes de Beethoven, son adhésion aux idées de liberté, de fraternité humaines propagées par la Révolution française, sa soif d’indépendance ne peuvent que l’inciter à réaliser un tel projet. Bonaparte incarne à ses yeux le monde nouveau qui vient de naître avec la Révolution ; il symbolise l’idéal suprême vers lequel tendent son cœur d’homme et son âme d’artiste. C’est probablement à lui qu’il pense en écrivant la Symphonie héroïque, et c’est son nom qu’il inscrit tout d’abord en guise de dédicace sur la première page de son manuscrit. Mais lorsqu’il apprendra que Bonaparte, le 18 mai 1804, s’est fait proclamer empereur, il s’écriera, pris d’une violente colère : « Ce n’est donc rien qu’un homme ordinaire. Maintenant il va fouler aux pieds les droits des hommes, il ne songera plus qu’à son ambition ; il voudra s’élever au-dessus de tous les autres et deviendra un tyran. » Puis il remplacera la dédicace primitive par le titre définitif : Sinfonia eroica. Par ce geste, Beethoven s’affirme et se découvre en tant qu’homme et artiste : il obéit moins aux sollicitations du monde extérieur qu’il ne projette en lui ses pensées personnelles et ses propres états d’âme. À partir de ce moment, l’ère de la musique pure s’achève, et Beethoven ne voit plus dans son art que le support du message qu’il désire transmettre aux hommes : message de paix, de fraternité, d’amour, tous élans qui viennent se fondre dans sa conception panthéiste de l’univers.

Les premiers symptômes d’une surdité croissante s’étaient manifestés dès 1796. Jusqu’en 1800, il évite d’en parler. Wegeler et le pasteur Amenda recueillent ses premières confidences. Le mal s’aggravant, il lui faut bientôt renoncer à paraître en public. Plus tard, en 1819, son infirmité sera telle qu’il ne lui sera plus possible de tenir la moindre conversation orale, et il aura recours pour se faire comprendre de ses interlocuteurs à des « carnets de conversation ». Il ne semble guère douteux que cette affection ait exercé une influence profonde sur l’évolution de son langage musical et de son style. Au sein des maux qui l’accablent, la musique reste le seul refuge. La composition de sa Léonore coïncide avec le moment où se fortifient ses idées de liberté, de fraternité humaines. Désormais, son œuvre sera la projection de lui-même : il s’y livrera tout entier.

Lorsqu’en 1808 Jérôme Bonaparte lui propose la succession de J. F. Reichardt (1752-1814) à Kassel, avec un traitement annuel de 600 ducats, Beethoven hésite. Il est sur le point d’accepter. Mais la haute société viennoise s’émeut. Quelques amis — le Dr Dorner, Gleichenstein, la comtesse Erdödy — s’efforcent de le retenir. À l’issue de négociations difficiles, Beethoven se voit octroyer par l’archiduc Rodolphe (son élève), le prince Lobkowitz et le prince Ferdinand Kinsky une pension annuelle de 4 000 florins, en contrepartie de laquelle il s’engage à ne quitter Vienne qu’à titre occasionnel : tournées ou villégiatures. De ces avantages, Beethoven ne bénéficiera pas très longtemps : l’irrégularité des versements, jointe à la dévaluation de la monnaie, lui cause de constants soucis matériels, auxquels viennent s’ajouter les déboires sentimentaux, familiaux, voire patriotiques. L’aventure amoureuse avec Therese Malfatti, l’issue malheureuse de son séjour et de ses relations avec Marie Erdödy, la seconde occupation de Vienne par les Français en mai 1809 et l’humiliation patriotique qu’il en éprouve, le bruit du canon et des mines qui aggrave ses douleurs auriculaires lui rendent la vie difficilement supportable. La paix de Vienne ayant été signée le 14 octobre, les troupes françaises quittent la ville le 20 novembre, et Beethoven se remet au travail : le 5e concerto et le 10e quatuor voient enfin le jour, tandis qu’il met en chantier Egmont, où il extériorisera sa passion de la liberté.

Après l’échec de ses projets de mariage avec Therese Malfatti, voici venir en mai 1810 Bettina Brentano. Cette jeune fille de 25 ans arrive comme un rayon de soleil dans la vie du musicien abandonné. La nature des relations qui s’établirent entre la jeune amie de Goethe et Beethoven a suscité bien des controverses ; cependant, l’éloge qu’elle fit de son nouvel ami dans sa correspondance favorisa sans aucun doute la rencontre du poète et du compositeur qui eut lieu à Teplice le 19 juillet 1812, treize jours après la lettre à la mystérieuse « immortelle bien-aimée ». Cette entrevue et les trois suivantes (20, 21, 23 juillet) se soldent par une déception mutuelle ; Goethe, désormais, affectera d’ignorer Beethoven. Celui-ci rentre à Vienne en novembre, rapportant avec lui le manuscrit de la 8e symphonie, qu’il vient d’achever.

Les années 1813-1815 marquent pour Beethoven l’apogée de la gloire grâce à l’incroyable succès d’une œuvre de circonstance assez médiocre, la Bataille de Vittoria. Du jour au lendemain, Beethoven devient un personnage illustre : on reprend sa Léonore sous le titre nouveau de Fidelio, et il sera bientôt considéré comme le musicien officiel du congrès de Vienne.

La mort de son frère Kaspar Karl, le 15 novembre 1815, bouleverse son existence ; il lui faut assurer la tutelle de son jeune neveu et lutter pour le soustraire à l’autorité d’une mère que les tribunaux reconnaîtront finalement indigne. À ce souci s’ajoutent les innombrables procès qu’il doit engager pour conserver sa pension. « Résignation, note-t-il alors, résignation la plus profonde à ton destin. » Dans cette période de détresse, dont nous informent les notes du Journal et les Souvenirs de Fanny del Rio, qui vient d’entrer dans sa vie (1816), il ne composera guère que le cycle de lieder À la bien-aimée lointaine et la sonate op. 101. Sa santé devient plus chancelante que jamais : il passe l’été de 1818 à Mödling et, durant sa cure, entreprend la composition de la messe en , ainsi que celle de la sonate op. 106. « Nostalgie ou désir, délivrance ou accomplissement, note-t-il, la musique est là de nouveau. » Il sacrifiera désormais « toutes les petitesses de la vie à son art ». Il se réfugie en lui-même, et c’est à la lumière de cette vie intérieure que vont s’élaborer les œuvres ultimes. Les trois dernières sonates de piano op. 109, 110 et 111 voient respectivement le jour en 1820, 1821 et 1822, les 33 variations sur une valse de Diabelli sont de 1823. À ce moment, Beethoven achève les trois premiers mouvements de la 9e symphonie, dont les premières esquisses remontaient à 1816. Il ne la terminera qu’au printemps 1824, en couronnant le final de l’Ode à la joie. C’est alors qu’il envisage une dixième symphonie, un Faust, un Requiem, et des quatuors : de tous ces projets, il ne pourra réaliser que le dernier.

Sa santé s’altère ; la maladie de foie dont il souffre empire, et, comble de l’adversité, son neveu Karl tente de se suicider au cours de l’été 1826. Cependant, la force créatrice de Beethoven est plus vive et ses projets sont plus nombreux que jamais.

En décembre 1826, à la suite d’un fort refroidissement, il doit s’aliter. Une fluxion de poitrine se déclare, bientôt compliquée d’hydropisie, sur un organisme déjà rongé par la cirrhose. Beethoven meurt le 26 mars 1827, accompagné dans son agonie par les éclairs et les coups de tonnerre d’un terrible orage.