Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

Il arrive à Bonn pour voir mourir sa mère le 17 juillet et assister au démembrement progressif de sa famille : les deux frères qui lui restent, Kaspar Karl (1774-1815) et Nikolaus Johann (1776-1848), sont maintenant totalement à sa charge. Mais de solides amitiés l’entourent : celles de Franz Ries et du comte Ferdinand von Waldstein, celle aussi de Wegeler, dont le départ pour Vienne en septembre 1787 affecte assez profondément Beethoven. Mais c’est auprès des Breuning qu’il trouve le meilleur réconfort, et Anton Schindler (1795-1864) rappelle que, « dans les derniers jours de sa vie, il nommait les membres de cette famille ses anges gardiens ». Les dernières années qu’il passe à Bonn sont marquées par l’éveil de sa vie sentimentale : ce sont, à l’égard de Jeannette von Honrath, de Mlle von Westerholt ou de Barbara Koch, des passions de courte durée qui laisseront peu de traces dans le cœur de Beethoven. Seul le sentiment qu’il éprouve pour Lorchen von Breuning, et qui semble avoir été partagé, présente les caractères d’un premier amour ; le compositeur y pensait encore à la veille de sa mort et l’avouait avec franchise à Wegeler devenu depuis 1802 l’époux de la jeune fille.

À ces émois sentimentaux s’ajoute le bouillonnement d’idées que provoque en Rhénanie l’annonce de la Révolution française. Inscrit depuis le 14 mai 1789 à l’université de Bonn, Beethoven suit le cours de littérature allemande d’Eulogius Schneider (1756-1794), dont les poèmes révolutionnaires enflamment la jeunesse estudiantine.

Et tandis qu’en lui-même s’accomplit la formation de l’homme complet, Beethoven compose les premières œuvres de son génie naissant : le premier mouvement du concerto en pour piano, deux cantates funèbres ainsi que les versions primitives du sextuor pour 2 cors, 2 violons, alto et violoncelle (op. 81 b) et du trio violon, alto et violoncelle (op. 3). Au mois de juillet 1792, lors de son retour d’Angleterre, Haydn s’arrête à Bonn : Beethoven lui soumet une de ses cantates, et le vieux maître l’invite à poursuivre d’une manière suivie ses études. Quatre mois plus tard, Waldstein ayant obtenu que Beethoven retournât étudier avec Haydn, le compositeur prend le chemin de Vienne. Il quitte Bonn le 2 novembre, à la veille de l’occupation française, pour n’y plus revenir.


Beethoven à Vienne (1792-1827)

Quelques semaines après son arrivée (10 novembre) dans la capitale musicale de l’Europe centrale, Beethoven apprend la mort de son père, survenue le 18 décembre, mais le maintien par l’Électeur Max Franz de la maigre part de pension qu’il lui servait l’aide à surmonter provisoirement ses difficultés budgétaires. Nanti des lettres de recommandation de Waldstein, il entre en contact avec les plus hautes personnalités de Vienne et notamment avec Nikolaus Zmeskall von Domanovecs (1759-1833), secrétaire aulique à la chancellerie hongroise, dont l’amitié lui restera fidèle jusqu’à la mort. C’est lui qui conduit Beethoven chez Haydn ; le jeune musicien profitera peu des leçons du vieux maître, mais leurs entretiens seront pour lui d’un enseignement fécond. Il travaille à l’insu de Haydn avec J. Schenk, auteur de nombreux singspiels fort applaudis par le public viennois ; Haydn, lorsqu’il retourne à Londres en 1794, le confie à l’un des maîtres les plus réputés d’alors, Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809), organiste de la Cour et maître de chapelle de la cathédrale Saint-Étienne. Salieri pour la musique vocale, Wenzel Krumpholtz et vraisemblablement Ignaz Schuppanzigh (fondateur de l’ensemble qui exécuta en première audition tous les quatuors de Beethoven) pour le violon compléteront jusqu’en 1802 cette éducation.

L’annexion de la rive gauche du Rhin et le rattachement de l’électorat de Cologne à la France privent Beethoven du traitement qui lui avait été conservé. À vingt-trois ans, il se sent libre de toute attache. Malgré son indépendance farouche et son manque de sociabilité, il devra subir, fût-ce avec humeur, les inévitables contraintes que toute société impose à l’homme. Beethoven ne manquera pas d’en souffrir dans les milieux aristocratiques, où on le traite cependant avec considération. On l’apprécie pour son talent de pianiste et d’improvisateur, et les grandes familles viennoises cherchent à se l’attacher : il est, de 1793 à 1796, l’hôte du prince Karl von Lichnowsky et, un peu plus tard, à deux reprises, celui de la comtesse Erdödy (1802, puis 1808-1809). Il est reçu chez le baron van Swieten et le comte Rasumowsky, et devient l’intime de la famille von Brunswick, dont les jeunes filles vont être ses élèves. Il s’éprend successivement de quelques jeunes femmes rencontrées dans ce milieu ; elles resteront pour lui autant de « bien-aimées » lointaines, car leur condition sociale exclut irrémédiablement toute idée de mariage. Deux grandes passions dominent ces aventures passagères : Giulietta Guicciardi et Therese von Brunswick. La première, qui débuta en 1800, dura près de deux ans, et son issue malheureuse plongea Beethoven dans un profond désespoir. La seconde faillit aboutir, et il y eut même fiançailles ; mais en 1809, après trois ans de bonheur, ce fut la rupture sans qu’on ait jamais bien su qui en avait pris l’initiative. Entre ces deux amours se place la période d’angoisse qui faillit entraîner Beethoven vers le suicide, et dont nous percevons l’écho dans la lettre d’adieu destinée à ses frères que l’on retrouva dans ses papiers après sa mort et qui fut dénommée « testament d’Heiligenstadt ».

De tous ces remous intérieurs, les œuvres de Beethoven portent la trace ; on en discerne le reflet dans la sonate Au clair de lune comme dans l’Appassionata ; les symphonies, les sonates et les quatuors contemporains de son amour pour Therese von Brunswick retentissent, par contre, des accents de son bonheur.

Cependant, Beethoven poursuit la carrière de virtuose qu’il a commencée triomphalement à Vienne avec trois concerts consécutifs (mars 1795), auxquels ont succédé les tournées à Prague, Nuremberg, Leipzig, Dresde et Berlin, où il a eu l’occasion de rencontrer Zelter, le conseiller intime de Goethe. Son jeu hardi, fougueux et brillant l’oppose à ses rivaux en des tournois célèbres, pour lesquels tout Vienne se passionne, et dont les héros se nomment Gelinek, Steibelt, Josef Wölffl, Cramer, Clementi, Hummel. Sous le signe de la musique, de nouvelles amitiés se nouent : celle du pasteur Karl Amenda sera pour Beethoven l’une des plus précieuses et des plus profondes.

Deux facteurs nouveaux vont encore contribuer à orienter et à fixer la personnalité de Beethoven : la situation politique de l’Europe et la surdité du compositeur.