Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bebel (August)

Socialiste allemand (Deutz, près de Cologne, 1840 - Passugg, Suisse, 1913).


Fils d’un sous-officier prussien, August Bebel obtient une bourse d’études, mais il lui faut apprendre le métier de tourneur sur bois. Reçu compagnon après quatre années d’apprentissage, il entreprend un tour d’Allemagne. En 1861, établi à son compte à Leipzig, il adhère à une société d’artisans. Sous l’influence de Wilhelm Liebknecht, il s’affilie à l’Internationale. En 1867, Bebel est élu député au Reichstag de la Confédération de l’Allemagne du Nord ; il participe au congrès de Nuremberg (1868), au cours duquel les socialistes allemands adhèrent à la Ire Internationale, et à celui d’Eisenach (1869), qui voit la fondation du parti ouvrier social-démocrate. Adversaire de la politique de Bismarck, lorsque le second Empire s’effondre, le 4 septembre 1870, il proteste contre la poursuite de la guerre franco-allemande et refuse les crédits. Accusé de haute trahison, Bebel est condamné, le 27 mars 1872, à deux ans de détention. Il les emploie à lire Marx, Engels, Lassalle, mais aussi Platon et Aristote, Thomas More et Machiavel, Darwin et Haeckel. Libéré, il monte avec un associé une petite entreprise, qu’il dirige jusqu’en 1889. En 1875, il participe au congrès de Gotha, où le parti lassallien et le parti marxiste fusionnent pour former le parti social-démocrate allemand. Réélu au Reichstag (sauf en 1882), Bebel anime l’opposition et, après la mort de Liebknecht (1900), devient le chef incontesté du parti social-démocrate.

Il oppose au principe d’une armée permanente les milices populaires, dénonce les excès colonialistes, notamment en Afrique orientale, réclame une législation sociale plus développée, juge inutile la flotte de guerre voulue par Guillaume II. Autodidacte, il écrit sur la guerre des paysans aussi bien que sur la civilisation musulmane. Sa grande œuvre, la Femme et le socialisme (1883), connaîtra cinquante éditions en trente ans. Lorsque Eduard Bernstein expose ses conceptions révisionnistes, Bebel les combat. La formation d’une extrême gauche, avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, le ramène vers des positions centristes, au congrès de la IIe Internationale à Stuttgart (1907), puis au congrès national du parti social-démocrate à Essen.

Lorsqu’il meurt, en 1913, il a fait de la social-démocratie allemande le plus fort parti du Reich et de l’Internationale. Militant plus que penseur original, Bebel alliait un grand sens du possible à une vision paradisiaque d’un socialisme qu’il attendait d’un effondrement du capitalisme, mais dont le contour demeurait vague.

G. L.

 H. von Gerlach, August Bebel (Munich, 1909). / H. Bartel (sous la dir. de), August Bebel ; eine Biographie (Berlin, 1963). / G. Hennig, August Bebel, Todfeind des preussisch-deutschen Militärstaats (Berlin, 1963).

be-bop, ou re-bop, ou bop

Onomatopée dérivée d’une figure de batterie et qui désigne un style de jazz né vers 1944 à New York.



Les premiers jazzmen contestataires

À la fin des années 30, la technique et l’invention des grands improvisateurs de jazz atteignaient une telle perfection qu’il semblait impossible de faire mieux — en tout cas dans la même direction. Estimant que les solistes avaient un besoin urgent de formules neuves, de jeunes musiciens commencèrent de se réunir au club « Minton’s » de Harlem. Les plus connus furent le guitariste Charlie Christian, le pianiste Thelonious Monk, les trompettistes Benny Harris, Idrees Sulieman et Joe Guy, et le batteur Kenny Clarke. Parallèlement à ces séances de travail et d’expérimentation qui ne comptaient qu’un petit groupe d’amis (on peut même parler de « complices » ou d’initiés dans la mesure où ces musiciens décourageaient certains curieux par leur irrespect de toute tradition), le jazz, dès 1942, se transformait dans les clubs de la 52e rue à New York. Les thèmes classiques étaient transposés harmoniquement, les improvisateurs se livraient à des exercices de vélocité et à toutes sortes d’excentricités mélodiques. Tous ces musiciens avaient en commun un profond désir de lutter contre la commercialisation et la vulgarisation de leur art. D’où un parti pris évident d’ésotérisme, lié de façon plus ou moins inconsciente à un élément de protestation sociale. Le bop cherchait à débarrasser le jazz des techniques traditionnelles d’une certaine routine, et les « boppers » ne cachaient pas leur souci d’anticonformisme — même du point de vue de la mode ; nombre de musiciens, par exemple, se distinguèrent en adoptant le béret basque, les lunettes à monture épaisse et la barbiche. Le trompettiste John « Dizzy » Gillespie — de manière comique — et Thelonious Monk — que l’on devait surnommer « le Prophète » — furent les principaux artisans de cette mode. De plus, du point de vue idéologique, le bop coïncida également avec les premières conversions de Noirs américains à l’islam. Et l’on vit nombre de musiciens renoncer à leurs nom et prénom pour s’inventer des patronymes à consonance arabe.


La révolution musicale

Le be-bop diffère des styles qui l’ont précédé par l’abandon de la continuité rythmique et l’élargissement des bases harmoniques. La section rythmique n’assure plus le battement des quatre temps de façon régulière et souligne ou ponctue les phrases des solistes d’accentuations insolites. Le batteur désarticule son jeu en ponctuations brutales sur la caisse claire et la grosse caisse, tandis que les cymbales enveloppent les brisures d’un bruissement permanent. Pour relancer les solistes, le pianiste jette des accords en dehors des quatre temps. Seul le bassiste continue d’assurer le tempo. La guitare disparaît des sections rythmiques, qui, en revanche, s’augmentent parfois de percussions d’origine cubaine (conga, bongos, etc.). Du point de vue harmonique, des gammes par tons agrandissent la tonalité, et des accords de passage apparaissent. Les mélodies, souvent inspirées par des figures de batterie, sont découpées en brèves séquences comportant des sauts brusques, des dissonances et des effets de chromatisme. Paraphrasés et transposés harmoniquement par les boppers, les thèmes anciens deviennent méconnaissables. Ainsi, à tous les niveaux, le be-bop apparaît comme une étape évolutive décisive et irréversible de la musique négro-américaine. Après avoir provoqué l’étonnement et parfois l’hostilité, les découvertes rythmiques, mélodiques et harmoniques des boppers finirent par s’intégrer parfaitement au cours du jazz.