Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beaumarchais (Pierre Augustin Caron de) (suite)

L’année suivante voit Beaumarchais agent secret en mission à Londres, pour empêcher la publication d’un pamphlet contre Mme du Barry. Deux mois plus tard, au cours de l’été, se place l’épisode le plus rocambolesque de la vie de Beaumarchais. Il fait savoir au jeune Louis XVI qu’un certain Angelucci, juif vénitien, se prépare à publier un libelle sur la stérilité du couple royal. Il se propose généreusement de détruire l’édition anglaise et hollandaise du pamphlet pour assurer l’honneur du royaume. Ses services sont acceptés : M. de Ronac (anagramme de Caron) repart pour Londres, traite avec Angelucci, s’assure de la destruction de l’exemplaire, mais apprend qu’Angelucci en a gardé un autre et qu’il gagne l’Allemagne à franc étrier. Beaumarchais-Ronac s’élance à sa poursuite, rejoint le traître, lui enlève le fameux volume. La suite est un vrai roman : il s’apprête à rejoindre sa voiture, quand il est attaqué par des brigands, à cinq lieues de Nuremberg. Blessé, il réussit à échapper aux bandits grâce à l’aide de son postillon. Telle est du moins la version qu’il fait immédiatement circuler. Mais cette histoire de cape et d’épée n’est qu’une belle invention de M. de Ronac pour inspirer une haute idée de son zèle, en relatant les dangers mortels qu’il avait courus pour le service du roi. Beaumarchais rejoint Vienne, a une entrevue avec l’impératrice Marie-Thérèse... et, le soir même, se voit placé sous la surveillance de huit grenadiers et de deux officiers avec interdiction absolue de quitter sa chambre. La détention dure un mois.


Les chefs-d’œuvre

Libéré, le serviteur trop zélé de la cause royale retourne à Paris et présente son Barbier de Séville ou la Précaution inutile (février 1775). On en sait la donnée : le comte Almaviva s’est épris de la belle Rosine, gardée à vue par son tuteur, le docteur Bartholo. Il désespère de l’aborder, quand il est tiré d’embarras par son ancien valet, Figaro, passé maître en intrigues de toutes sortes. Grâce à ses bons offices, le comte, déguisé en soldat, puis en maître de chant, parvient à remettre un billet à Rosine malgré la surveillance attentive du docteur, berne Bartholo et épouse la jeune fille. Ce spectacle coloré et sonore n’a pas à la première représentation le succès qu’il mérite, car Beaumarchais avait étiré ses quatre actes en cinq et allongé les dialogues. Les coupures faites, la pièce triomphe sur la scène : « Oui, elle tombera... mais cinquante fois de suite ! », s’écrie la spirituelle Sophie Arnould. Infatigable, Beaumarchais se lance dans d’autres entreprises.

Après une nouvelle mission en Angleterre, pour acheter au célèbre chevalier d’Eon des papiers compromettants, il lève, sous la raison sociale Roderigue, Hortalez et Cie, une flottille de navires dont le premier emploi est le ravitaillement des insurgents d’Amérique (1776). L’affaire sombre comme ses bateaux. L’auteur du Barbier se tourne alors vers des activités moins délicates : il fonde avec un certain nombre d’auteurs la Société des auteurs dramatiques pour la défense de leurs droits (1777), puis crée la Société typographique et littéraire et publie à Kehl une édition complète des œuvres de Voltaire. Repris par le démon du théâtre, il fait jouer la Folle Journée ou le Mariage de Figaro. Non sans mal : le roi a interdit la pièce, y voyant une attaque contre les privilégiés. Enfin, le 27 avril 1784, tout Paris assiège la Comédie : gentilshommes et bourgeois dînent dans la salle pour être sûrs d’avoir des places. Fait sans précédent, soixante-douze représentations consécutives ont lieu. L’intrigue, plus neuve et plus hardie que celle du Barbier, roule tout entière sur la rivalité du maître et du valet : Figaro veut épouser Suzanne, la camériste de la comtesse, malgré le comte. « Un grand seigneur espagnol amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser et la femme du seigneur réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. » (Préface.)


Les dernières années

Les années passent, Beaumarchais est encore l’homme du jour. Remarié (1786) avec Mlle Willer-Mawlas, entré dans une nouvelle guerre de libelles avec l’avocat Nicolas Bergasse, il se fait, à la veille de la Révolution, construire près de la Bastille une magnifique demeure qui excite la malveillance populaire. Il obtient un succès d’estime avec son opéra Tarare (1787), mais bientôt les patriotes crient au scandale, protestent contre ses déclarations en faveur de la monarchie et de l’ordre. Pour retrouver les bonnes grâces du public, il donne l’Autre Tartuffe ou la Mère coupable (juin 1792) : la pièce, médiocre drame larmoyant où l’on voit un « grand machinateur d’intrigues » fomenter « le trouble avec art » dans la famille du comte Almaviva, rencontre un succès contestable. En ces heures troublées, Beaumarchais ne peut rester en repos : il s’engage dans une affaire où il exposera sa vie et qui lui fera perdre la majeure partie de sa fortune ; il achète à la Hollande 60 000 fusils pour armer les volontaires. Le secret transpire : l’ex-capucin François Chabot monte à la tribune de l’Assemblée pour dénoncer l’accapareur qui conserve des armes. Beaumarchais est arrêté et enfermé à la prison de l’Abbaye. Libéré, il part pour Londres, est décrété d’accusation, veut rentrer en France. Il change d’avis et se retire à Hambourg. Enfin, le 5 juillet 1796, il peut revenir à Paris et embrasser, dans sa splendide maison dévastée, sa femme, sa fille et sa sœur. Sa fortune restaurée grâce au remboursement de ses créances sur la République, il a une dernière joie : en mai 1797, la Mère coupable est reprise triomphalement. Deux ans plus tard, dans la nuit du 17 au 18 mai, il meurt d’une attaque d’apoplexie.


Un théâtre du bonheur : dynamisme et allégresse