Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

batteurs de jazz (suite)

(Pontiac, Michigan, 1927). Après avoir travaillé avec la plupart des solistes importants des années 50, il devient célèbre comme membre du quartette de John Coltrane. Une indépendance totale des quatre membres lui a permis d’imposer un accompagnement qui, en fait, a la richesse et la complexité d’un solo permanent.
enregistrement : Africa (avec Coltrane, 1961).


Jo Jones

(Chicago 1911). Jonathan Jones, dit Jo Jones, fait partie de l’orchestre de Count Basie de 1935 à 1948 et enregistre avec tous les grands solistes de l’ère « swing ». Chef de file du jazz classique, il équilibra la pulsation vers l’égalité des quatre temps et fut en grande partie responsable de l’évolution des sections rythmiques.
enregistrements : One O’Clock Jump (avec Basie, 1937), Caravan (1955), I Got Rhythm (1958).


Gene Krupa

(Chicago 1909 - New York 1973). Dès 1927, il commence d’accompagner les plus grands jazzmen blancs : Eddie Condon, Red Nichols, Bix Beiderbecke, Benny Goodman et Tommy Dorsey. Héritier des batteurs Nouvelle-Orléans, il s’est adapté aux exigences des grands orchestres et, à force de virtuosité et de puissance, a fait du solo de batterie un spectacle complet.
enregistrement : Sing Sing Sing (avec Benny Goodman, 1937).


Sunny Murray

(Philadelphie 1937). Compagnon de Cecil Taylor, d’Archie Shepp et d’Albert Ayler, James Arthur Murray, dit Sunny Murray, se révèle, à partir de 1965, comme le plus représentatif des batteurs du jazz free. Renonçant à toute régularité rythmique ou, au contraire, à toute nuance dans l’accompagnement, il utilise surtout la caisse claire et la grande cymbale.
enregistrements : Spirits (avec Ayler, 1964), Angels and Devils (1969).


Max Roach

(New York 1925). Dès 1942, Maxwell Roach, dit Max Roach, joue avec tous les grands solistes bop. En 1954, il crée un quintette avec le trompettiste Clifford Brown. Après la mort de celui-ci (1956), il continue de se produire à la tête de petites formations. À une technique héritée de Catlett, il a adapté les découvertes de Kenny Clarke. On lui doit d’avoir révélé les possibilités mélodiques de la batterie.
enregistrements : Daahoud (avec Clifford Brown, 1955), Freedom Now Suite (1960), Caravan (avec Duke Ellington, 1962).


Zutty Singleton

(Bunkie, Louisiane, 1898 - New York 1975). Accompagnateur de Louis Armstrong (1929), Fats Waller, Jelly Roll Morton, Roy Eldridge, Mezz Mezzrow, Henry Red Allen, Sidney Bechet et Bill Coleman, Arthur James Singleton, dit Zutty Singleton, est l’un des premiers batteurs à introduire des accentuations complexes, des effets de cymbale ou de grosse caisse.
enregistrements : Sugar Foot Strut (avec Louis Armstrong, 1928), Moppin’ and Boppin’ (avec Fats Waller, 1943), Drum Face (1951).


Chick Webb

(Baltimore 1907 - id. 1939). Au début des années 30, William Webb, dit Chick Webb, dirige à Harlem un grand orchestre et devient une idole du public noir. Sa popularité s’accroît lorsqu’il engage la chanteuse Ella Fitzgerald en 1934. Bien qu’infirme, il réussit à s’imposer par sa puissance physique et la rigueur de son swing comme le premier batteur de grand orchestre.
enregistrement : Harlem Congo (1937).


Tony Williams

(Chicago 1945). Révélé aux côtés de Miles Davis en 1963, Anthony Williams, dit Tony Williams, le quitte en 1969 pour former son propre trio. Reléguant grosse caisse et cymbale charleston au rôle d’accessoires, tandis qu’il assure le soutien fondamental sur la grande cymbale fixe, il apparaît comme un des batteurs les plus exemplaires des années 60.
enregistrements : Walkin’ (avec Miles Davis, 1963), Luminous Monolith (avec Sam Rivers, 1964), Emergency (1969).

Baudelaire (Charles)

Poète et écrivain français (Paris 1821 - id. 1867).


Vingt-cinq ans d’activité créatrice. Un siècle de gloire, d’une gloire bien vivace, comme l’a montré le centenaire célébré en 1967-68.

Tous les guignons : une prédisposition aux troubles artériels cérébraux ; une physiologie fragile de bilioso-nerveux (Verlaine employant le vocabulaire médical de l’époque), sur quoi se greffent les conséquences de la syphilis, de l’alcoolisme, de l’opiomanie — sous la forme du laudanum ; l’incompréhension familiale, qui se traduit par la dation d’un conseil judiciaire, laquelle réduit ce majeur à l’état de mineur et ce dandy à des mensualités disproportionnées à ses goûts ; la misère vécue dans des garnis (plus de trente domiciles à Paris), avec la crainte perpétuelle des créanciers ; l’hostilité de la France de Napoléon III et de la Belgique de Léopold Ier à une poésie qui ne soit pas la versification des préceptes du bon sens ; une condamnation en correctionnelle pour les Fleurs du Mal.

Et toutes les chances : son génie, confessé par ses camarades dès qu’il eut vingt ans ; ses dons — dignes du siècle de l’Encyclopédie, auquel le reliait son père —, qui lui permettaient de reconnaître Delacroix et Wagner, et de se reconnaître en eux ; un sens infaillible du beau : dans son écriture, dans ses dessins, dans les reliures dont il faisait habiller ses livres et jusque dans le choix de son linge ; un voyage dans l’océan Indien, subi dans la lassitude, mais d’où il a rapporté images et sensations persistantes ; des amis comme seule en montre la fable (Poulet-Malassis, son éditeur ; Asselineau, son premier biographe) et des admirateurs qui, de son vivant, se nommaient Verlaine et Mallarmé ; une légende, créée à dessein, qui écartait de lui les imbéciles ; et une conscience déchirée qui l’a mis en résonance avec un monde déchiré où cherchait à naître un monde nouveau.

Baudelaire a été l’homme et le poète de toutes les contradictions. En quoi il reste de notre temps, et pour longtemps. Il l’est aussi par la conscience critique qu’il a eue de son activité littéraire.


Masques et promesses

Fort jeune, Baudelaire écrit de nombreux vers, dont nous ne connaissons sans doute qu’une faible partie. Ernest Prarond, qui a été son ami en 1842-43, se rappellera qu’à cette époque des pièces importantes des Fleurs du Mal étaient déjà composées. Le même Prarond publiera en 1843 un recueil en collaboration avec Gustave Le Vavasseur et Auguste Dozon, autres amis et contemporains de Baudelaire. Celui-ci est appelé à payer sa quote-part de poésie au recueil ; in extremis, il se récuse. Pourtant, il avait en chantier, cette même année, un drame en vers, Idéolus, dont Prarond était l’autre artisan. Mais l’eût-il signé de son nom ? Le drame ne dépassa pas la deuxième scène du deuxième acte. En 1844, Baudelaire esquisse un pas vers les coulisses ; il coopère à la rédaction des Mystères galans des théâtres de Paris, libelle anonyme ; il y égratigne des auteurs et des actrices. Et de la fin de 1844 au début de 1846, il accepte ou provoque la publication de sonnets, d’inspiration xviiie s. ou, mieux. Régence, sous le masque d’un masochiste de la littérature : Alexandre Privat d’Anglemont. Autre masque : c’est dans l’Artiste qu’il publie le premier sonnet qu’il signe, mais il le signe Baudelaire Dufaÿs, utilisant, déformé, le nom de jeune fille de sa mère. Il deviendra même Pierre de Fayis (Defayis est le vrai nom de sa mère). Puis il annonce, il promet : de 1845 à 1847 les Lesbiennes, titre pétard ; de 1848 à 1852 les Limbes — titre énigmatique —, qui recouvrent une partie des futures Fleurs, dont le titre ne sera trouvé qu’en 1855. Le 9 avril 1851, le jour de ses trente ans, Baudelaire sort de la clandestinité : dans un quotidien de Paris, le Messager de l’Assemblée — il y a des amis —, il publie d’un coup, et là où le lecteur reconnaît d’accoutumée son roman-feuilleton, onze pièces des Limbes. Il passait pour un critique d’art, un dilettante : il devient un poète. Ou il allait le devenir. Le manuscrit des Fleurs du Mal est prêt (bien que Baudelaire ne cesse de le réviser), sous la forme d’une copie calligraphiée par un professionnel. Mais Baudelaire a découvert Edgar Poe ; il lui consacre une longue étude dans la Revue de Paris en mars et avril 1852 et commence à traduire des contes qu’il intitulera Histoires extraordinaires (publiées dans un quotidien en 1854-55), puis Nouvelles extraordinaires, tandis qu’il complète les Fleurs des poèmes que lui inspirent Mme Sabatier (« la Présidente », chère à Gautier, Flaubert, etc.) et l’actrice Marie Daubrun (qui fut aussi la maîtresse de Théodore de Banville, autre ami de Baudelaire). Alors qu’il s’est presque fait oublier comme poète, il obtient de Buloz la publication de dix-huit « Fleurs du Mal » dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1855. Critique d’art, traducteur de Poe, poète ? Il ne choisit pas ; il complète ses titres : critique littéraire, moraliste des drogues, critique musical, et il tente une voie nouvelle avec les Petits Poèmes en prose. Toujours harcelé, toujours vaincu, encore vainqueur. À partir de 1857, il est sacré poète par les Fleurs du Mal, et il s’étonne — ou feint de s’étonner — d’être condamné. Poète en chambre, poète pour estaminet littéraire, le voici poète au prétoire. Nous retrouverons plus loin ses contradictions poétiques, marquées par sa lucide exigence.