Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barraqué (Jean) (suite)

Adepte de la « forme ouverte », créateur de ce qu’il appelle les « séries proliférantes », Barraqué met ce souci architectural, à la fois libre et rigoureux, au service exclusif d’une expression individuelle que l’on ne peut pas ne pas qualifier de romantique, étant bien entendu qu’il ne s’agit nullement ici d’un style néoromantique. Dans un langage entièrement neuf, il donne un « commentaire lyrique de soi-même » en un discours dont la monumentalité contraste avec les recherches souvent byzantines de notre époque, dont l’éloquence est d’une grande richesse avec son mélange de raffinement et de barbarie, de transparence et de densité, et dont la poésie intense comme la dramaturgie intérieure constituent l’une des plus saisissantes réalisations actuelles d’une musique en constant renouvellement. C’est un des grands inspirés de l’école française moderne.

Barraqué est, en outre, l’auteur d’analyses musicales remarquables des grands chefs-d’œuvre classiques, ainsi que d’un livre très lucide sur Debussy (1962), qu’il place dans sa véritable lumière.

C. R.

Barrès (Maurice)

Écrivain français (Charmes, Vosges, 1862 - Neuilly-sur-Seine 1923).


Son tempérament rêveur, accentué par les années mélancoliques au collège de la Malgrange et au lycée de Nancy, ses goûts raffinés le prédisposaient à l’égotisme, à l’exaltation de ce qui se révèle très tôt à son regard comme « la seule réalité tangible » : le moi. Il en poursuivra la réalisation à travers tous les registres de l’humain, au stade de l’individu, de la province, de la nation, de l’âme. Avec la sensibilité, la fougue, la perfection d’écriture dignes de ses maîtres romantiques et parnassiens, il nous entraîne dans les pas d’un « pèlerin » d’une nouvelle sorte, sur les chemins du « culte du moi » : Sous l’œil des Barbares (1888), Un homme libre (1889), le Jardin de Bérénice (1891). S’arracher à l’influence des « barbares », de « M. X... » (les vieux maîtres : Renan et Taine), de tous ceux qui n’offrent à la jeunesse, en guise d’idéal, que des recettes de succès social ; ayant dégagé le moi de toutes les « alluvions qu’y rejette sans cesse le fleuve immonde des barbares », lui trouver un champ d’action, en développer toutes les virtualités, c’est à quoi va s’employer le héros devenu un homme libre. Sa méthode tient en une formule : « Sentir le plus possible en analysant le plus possible. » De la même manière que Philippe dans le Jardin de Bérénice, que Delrio dans Du sang, de la volupté, de la mort (1894), à travers l’Espagne, à Venise (Amori et dolori sacrum, 1902), jusqu’en Orient, Barrès est alors à la recherche de sensations, d’états d’âme dont la préciosité morbide et le spleen élégant marqueront la sensibilité de la fin du siècle. Pourtant tout n’est pas que mélancolie exaltée dans cette œuvre. Barrès a travaillé à se « refaire des certitudes ». Il a agrandi les limites de son moi. Aux jouissances esthétiques et romantiques commence à s’ajouter l’idée que la vie ne vaut que par l’action. À la griserie fascinante qu’exerce sur lui son « mal d’Asie » s’oppose, et s’impose, le sentiment de son appartenance à cette Lorraine où il trouve « équilibre » et « plénitude ». Le moi individuel puise sa substance au plus profond de la terre des aïeux, car « bien des générations reposent là, au cimetière, mais leur activité persiste ». On ne peut donc couper l’homme de son terroir sous peine de voir se dévoyer les vertus de la race.

Ainsi vont naître les Déracinés (1897), œuvre intéressante non seulement parce qu’elle nous livre la peinture d’un moment social de la France, mais aussi par les problèmes d’une actualité encore brûlante qu’elle soulève. Le traditionalisme de Barrès fondé sur sa croyance absolue en la pérennité des valeurs ancestrales ne pouvait que déboucher en toute logique sur un nationalisme barrésien de même essence. On comprend donc qu’au moment où il s’engage dans l’action et dans la politique ce soit sous la bannière du boulangisme, car, ainsi qu’il l’écrit dans l’Appel au soldat (1900), il considère ce mouvement « comme une étape dans la série des efforts qu’une nation, dénaturée par les intrigues de l’étranger, tente pour retrouver sa véritable direction ». Sa philosophie nationale explique également la frénésie verbale qui le saisit à la vue d’une république en train de se corrompre par la faute de mœurs parlementaires qu’il va fustiger dans un pamphlet d’un lyrisme féroce, Leurs figures (1902). De la vénération des « divinités rurales et potagères » à la haine de l’étranger et à l’antisémitisme, le passage lui est facile. Barrès antidreyfusard rejoint le Barrès antiallemand. Les articles virulents de la Cocarde annoncent les Bastions de l’Est : Au service de l’Allemagne (1905), Colette Baudoche (1909), où il exalte la défense de la latinité des provinces de l’Est contre l’envahisseur prussien.

Mais bien avant de clore avec le Génie du Rhin (1921) cette série d’ouvrages, Barrès a ressenti qu’il manquait encore quelque chose à la pleine réalisation de son moi, que ne pouvait lui donner le nationalisme par « manque d’infini ». Dès 1913, avec la Colline inspirée, il se tourne vers « les lieux élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse », à la recherche « ... d’un poème qui fasse croire et d’une étoile fixe au ciel ». Ce livre insolite et plein de rêveries mystiques révèle en fait les problèmes d’une âme où s’affrontent le romantisme païen et la discipline de l’ordre romain. Par ailleurs, le désir de protéger l’Église en tant que patrimoine national, qui se manifeste dans la Grande Pitié des églises de France (1914), se transforme peu à peu en aspiration à la connaissance d’un au-delà de l’âme. Il semble que soit venue l’heure du bien dont parle François Mauriac à son sujet et, malgré un dernier sursaut de son romantisme, malgré cette grande « orchestration de plainte, de pleurs, et d’extravagance » que constitue Un jardin sur l’Oronte (1922), c’est avec le Mystère en pleine lumière (1923, publié trois ans plus tard) que se clôt la vie de Barrès, porte-parole de toute une jeunesse, à qui son époque accorda succès, honneurs et gloire. Cette gloire, la génération née à la veille de la Première Guerre mondiale la lui a contestée, et le silence qui s’est étendu pendant plusieurs décennies autour de son œuvre, sinon de sa personnalité, semblait donner raison à Montherlant quand, deux années à peine après sa mort, il publiait son étude Barrès s’éloigne. Mais consciente ou non, acceptée ou non, l’influence de Barrès ne s’en retrouve pas moins chez nombre de nos romanciers modernes. Par-delà des attitudes politiques ou philosophiques apparaissant discutables, dépassées, voire dangereuses, on redécouvre l’actualité des problèmes qu’il avait déjà posés (régionalisme et décentralisation), la vérité de ses jugements sur une Université qui ne crée qu’un « prolétariat de bacheliers » et la nécessité de cette « énergie » dont il a fait la grande affaire de sa vie.

D. S.-F.